Réponse
de la bergère à la bergère… Marina TSVETAEVA (dont l’orthographe du nom varie
en fonction des éditions), répond, dans son court ouvrage à Natalie Clifford
BARNEY qui publia « Pensées d’une amazone » en 1920. La réponse fut
écrite en octobre 1932 et nous donne véritablement à réfléchir sur le
féminisme. Marina TSVETAEVA, auteure et poétesse russe (1892-1941), au dur passé, a choisi le français comme
langue d’écriture. Pourtant elle fait figure d’illustre inconnue dans
l’hexagone, parfois même rejetée par le mouvement surréaliste qui a cours à ce
moment-là.
L’ouvrage
se présente comme un récit épistolaire dans lequel l’auteure s’adresse
directement à Natalie Clifford BARNEY, par ce « Vous » tant empreint
de respect qu’il ne s’écrit qu’avec une majuscule à l’initiale. Tout comme le
motif de « l’Enfant », lui aussi magnifié tant il est désiré. « Mais l’autre, ce n’est pas être aimée en
Enfant qu’elle veut, c’est un Enfant à aimer ».
TSVETAEVA
met en avant la sororité, il ne s’agit pas de dénigrer l’ouvrage-cible, il
s’agit de préciser cette « lacune,
ce laissé en blanc, ce trou noir (…) l’Enfant». L’auteure nous conte la
détresse d’un couple lesbien confronté au désir d’enfant sans homme, où avoir
un enfant c’est avoir un avenir de couple, qu’elle oppose aux amants, eux
mourant tels Roméo et Juliette, tragiquement. Avoir un enfant sans homme, cet
ennemi, être légitime pour demander un enfant d’elle et de soi sans avoir
besoin de lui : « Les unes
commencent par aimer le donateur, les autres finissent par l’aimer, d’autres
encore finissent par le subir, d’autres finissent par ne le subir plus ».
Refus que l’un des corps ne soit souillé par la semence masculine.
Une réflexion bien en avance sur son temps
si l’on considère le débat qui existe toujours au XXIè siècle concernant la PMA
pour les couples homosexuels. L’adoption n’est pas une réponse pour TSVETAEVA,
les liens de sang répondent à ce besoin impérieux d’obtenir l’image de celle
que l’on aime, un prolongement de l’être adulé, « une petite toi à aimer ». Vouloir un enfant. En choisir le
géniteur. Le choisir parmi une liste d’ennemis potentiels, parmi le masculin,
l’autre, celui qui est en dehors des amours, qui n’a pas intérêt à entrer dans
l’intime, dans la vie, ni trop près ni trop longtemps.
Pour l’auteure, c’est l’Enfant qui sauve
l’homme, qui lui permet de changer de statut : d’être honni, fui, il
devient être désiré, que l’on appelle de tous ses vœux, pour avoir accès à cet
Enfant tant attendu. Il est aussi la perte du couple originel, de ces deux
femmes, l’âgée et la jeune comme TSVETAEVA les désigne. L’âgée mourra seule de
n’avoir pu combler le désir de la jeune qui sera partie avec l’homme et dont
elle s’accommodera : « c’est
(…) toute la chose qui est condamnée dans chaque cas d’amour entre femmes ».
Finalement, il n’y a pas plus contemporain
que ce texte. Alors même que la maternité, dans les années 70, était largement
décriée par les féministes de tout poil, elle est au centre de la réflexion de
l’auteure. Au XXIème siècle encore, cette question est centrale : les
mères ou les soupirantes maternelles côtoient les child free, ces
dernières accusant les premières d’annihiler la cause féministe par des désirs
paradoxaux de maternité, porte ouverte à la répression patriarcale.
Certaines vont se tourner vers Dieu, mais
« Une fois pour toutes, Dieu n’a
rien à voir dans l’amour charnel. Son nom, joint ou opposé à n’importe quel nom
aimé, qu’il soit masculin ou féminin, sonne comme un sacrilège. Il y a des choses
incommensurables : Christ et l’amour charnel. Dieu n’a rien à voir dans
toutes ces misères, sinon pour nous en guérir. Il a dit une fois pour
toutes : - Aimez-moi, l’Eternel. Hors cela – tout est vain. Pareillement,
irrémédiablement vain. Par le fait même d’aimer un humain de cet amour-là, je
trahis Celui qui pour moi et pour l’autre est mort sur la croix de l’autre
amour ».
Lettre choc, à lire juste après « La
femme brouillon » d’Amandine DHÉE dont la réédition en poche vient juste
de sortir. En un sens ils se font écho, sont complémentaires. Le texte
d’Amandine DHÉE parle du fait d’avoir un enfant alors que l’on ne sent pas la
« fibre » d’être mère, celui de Marina
TSVETAEVA traite du contraire : ne pas pouvoir être mère tout en le
désirant intensément.
Avant l’heure, TSVETAEVA enfonce une porte
fermée à double tour et nous donne à lire la seule chose que nous devons
retenir, nouEs, féministes, engagées ou non, mères ou non, hétérosexuelles,
bisexuelles, asexuelles, lesbiennes… toutes différentes dans nos désirs, NOS
CORPS NOS CHOIX, pour les Siècles des Siècles. Amen.
(Emilia
Sancti & Warren Bismuth)
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