VUILLARD n’a pas attendu le centenaire
pour nous présenter « sa » première guerre mondiale qui sort dès 2012.
Comme plus tard pour « l’ordre du jour » (Goncourt 2017), il creuse
jusque dans les racines du mal, les tréfonds, les causes, la situation
politique explosive. Retour sur 1870, l’humiliation française, et avant-goût
militaire de ce que sera la suite, 1914. Pourtant les étoiles ne semblaient pas
franchement alignées pour le déclenchement d’une bonne guerre (« Moi mon
côlon celle que je préfère c’est la guerre de 14-18 » chantait
BRASSENS) : « Ainsi, la France
et la Russie devaient entrer chacune en guerre si et seulement si l’une d’elles
était attaquée par l’Allemagne. La Grande-Bretagne assisterait la France si et
seulement si les intérêts vitaux des deux nations étaient menacés. L’Allemagne,
l’Autriche-Hongrie et l’Italie feraient cause commune si et seulement si deux
autres États attaquaient l’une d’elles ». Mais voilà, le sort s’acharne
et toutes les conditions sont réunies pour que le Grand Brasier commence après
une ultime étincelle du côté de Sarajavo (VUILLARD se plaît à rappeler que
François-Ferdinand est assassiné quelques minutes après avoir lancé hors de son
véhicule une bombe destinée à l’anéantir et blessant certains de sa garde
rapprochée). On finit d’ailleurs rapidement par ne plus rien y
comprendre : « Enfin, le 23
août (1914 nddlr) le Japon déclare la guerre à l’Allemagne, on ne sait plus
pourquoi ». Comme son nom l’indique, la guerre mondiale implique des
participants du monde entier.
Stratégies militaires, chiffres, le
pilote-horloger VUILLARD sort son train d’atterrissage, rien n’est laissé au
hasard, précision quasi maladive : le nombre de mois pour avancer de
quelques mètres, le nombre de mois pour les reperdre, le nombre de morts à
déplorer alors que les armées ont repris leur point de départ. La preuve par l’absurde, pour dénoncer
l’absurdité de la guerre. Car derrière le cynisme et le détachement
apparemment, VUILLARD envoie dans les bronches un vrai texte antimilitariste,
il annonce méticuleusement ses barèmes (grosse documentation, VUILLARD n’est
pas un fantassin si j’ose m’exprimer ainsi), notamment les 27000 soldats tombés
au champ d’honneur le seul jour du 22 août 1914, en faisant pour l’époque la
date la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité.
Les chiffres accréditent une réalité
pourtant déjà effrayante : les soldats, les canons, les obus, le poids
même de ces obus, les avancées (en mètres parfois), les débandades (plus souvent
en kilomètres), les travailleuses dans les confections d’armement, un monde
dingue, déshumanisé file sous nos yeux. Et VUILLARD en rajoute : des
chiffres, des anecdotes, il parvient, grâce un talent hors normes, à nous faire
rire en pleine tranchée, au milieu du sang et des cadavres puants. Car VUILLARD
ne filme pas l’apparent, il va faire glisser sa caméra derrière le talus, celui
du fond, que personne ne voit, il s’y déroule souvent une action singulière,
parfois drôle dans son horreur.
Les images, l’auteur les maîtrise d’une
manière impressionnante : « Puis
vient l’hiver. Le grand hiver très froid de toutes les guerres qui durent
davantage qu’un été. Le grand hiver moderne des guerres durables. On récolta
toutes les patates, toutes les noix et tous les champignons possibles. Les
paniers furent très pleins. Les feuilles tombèrent sur les hommes tombés ».
VUILLARD ne raconte pas la fin de la
guerre, il se focalise sur la première année, comme pour signifier que de toute
façon tout a été du même acabit durant les trois années restantes, il ne tient
pas à bégayer. Il ne parle pas de l’issue du conflit. Issue anecdotique ?
Peut-être pas, mais pour lui le vaincu est l’humanisme, alors peu importe qui
est le vainqueur.
L’auteur tient à nous faire partager le
fait que nous venons d’entrer dans le nouveau siècle, avec 14 ans de retard,
mais définitivement, un siècle fou, un monde assoiffé de haine, le nôtre. Il
n’oubliera pas d’évoquer les Zeppelin, premiers signes de la guerre aérienne.
VUILLARD a sorti « La bataille d’Occident »
la même année que « Congo ». Comment un homme peut faire paraître à
quelques mois d’intervalle deux récits aussi puissants, aussi dantesque (il
commettra plus tard les très forts « Tristesse de la terre » et
« 14 juillet », et l’exceptionnel « L’ordre du jour ») ?
Je crois que cela se nomme le talent. Il est immense chez VUILLARD. Et si je
vous propose aujourd’hui cette petite chronique, ce n’est pas totalement anodin,
c’est même une vraie mise en bouche, en condition : après quasiment deux
années d’attente à ronger nos freins, VUILLARD se rappelle à notre bon souvenir
et revient le 16 janvier 2019 avec « la guerre des pauvres ».
L’obsession de la guerre, du détail dans la guerre. Nul doute que ce nouvel
opus bousculera encore un peu plus les limites de la littérature. Nous serons
sur le coup, nous ne pouvons pas faire moins.
(Warren
Bismuth)
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