jeudi 17 janvier 2019

Éric VUILLARD « La guerre des pauvres »


Thomas MÜNTZER n’a pas laissé une trace indélébile dans l’Histoire et Éric VUILLARD le regrette. Aussi, en de brefs chapitres nerveux et en moins de 70 pages, il va nous tirer un portrait au plus juste du gus.

Mais n’allons pas trop vite : MÜNTZER va agir au XVIe siècle, or VUILLARD tient absolument à nous rappeler qu’en matière de révoltes paysannes de masse (puisque ce sera le sujet principal du récit), c’est bien l’Angleterre qui semble avoir donné le coup d’envoi dès le XIVe siècle avec un certain John WICLYF, rapidement ratatiné par le pouvoir. John BALL lui succède, occis à son tour, avant que Wat TYLER tâte de la révolte, dirigeant une véritable armée, TYLER reçu par un roi de 14 ans, avec un carnet de doléances long comme le bras. TYLER passe l’arme à gauche, en pleine émeute. Fin de la révolte. En 1450 toutefois les hostilités reprennent avec de jeunes rejetons pleins d’espoir et de hargne. Parmi eux Jack CADE. Défuncté à son tour. Il ne fait pas bon être du mauvais côté du manche chez les Britanniques. Les émeutes se déplacent, envahissent l’Europe. C’est Jan HUS qui lève le peuple contre son autorité à Prague, des révoltes s’ensuivent, Prague brûle. HUS également.

Mais c’est vers 1520 que quelque part en Bohème, du côté de Zwickau, d’où il ne va d’ailleurs pas tarder à être chassé, un exalté du nom de Thomas MÜNTZER a décidé d’en découdre avec le pouvoir. Mêmes scénarios que plus tôt en Angleterre ou vers Prague. Alors que LUTHER commence à se tailler une réputation assez solide, MÜNTZER se transforme en prédicateur, harangue les foules, appelle à l’insoumission, à la rébellion, au soulèvement. Il donne la messe en Allemand (hérésie suprême), y lit la Bible enfin en circulation – en allemand itou. Son père a été exécuté dans des circonstances obscures vers 1500. Aussi MÜNTZER semble habité d’une rage héréditaire. Il va plus loin : il en appelle aux meurtres des puissants : « Qu’ils se battent ! La victoire est merveilleuse qui entraîne la ruine des puissants tyrans impies ». Ou encore « Ce sont les seigneurs eux-mêmes qui font que le pauvre homme est leur ennemi. S’ils ne veulent pas supprimer les causes de l’émeute, cela pourrait-il s’arranger à la longue ? Ah ! Chers sires, qu’il sera beau de voir le seigneur frapper parmi les vieux pots avec une verge de fer ! Dès que je dis cela, je suis un rebelle. Allons-y ! ».

Puis vient la terrible bataille de Frankenhausen. 4000 morts. Dont MÜNTZER. Décapité à 35 ans après avoir été arrêté et sommairement jugé. On dit que vers la fin il n’a pas été correct. L’auteur, sans pourtant de preuve à fournir, réfute cette version.

En un court récit très dense, VUILLARD fait avec brio revivre, non seulement la courte épopée de Thomas MÜNTZER, mais bien les premières révoltes paysannes massives de l’Histoire. C’est instructif, passionnant, le style acéré et cynique de VUILLARD fait encore des merveilles, la thèse est documentée, nous envoie des informations en mode mitraillette sans perdre de vue de rendre l’affaire haletante comme un bon roman d’aventures. Comme toujours, c’est du grand art.

Ce bouquin a su se faire attendre : tout d’abord prévu le 3 octobre 2018, il fut ajourné sans plus de précisions, puis annoncé pour mi-janvier 2019. Quasiment au dernier moment, on apprend qu’il sort en fait le 4 janvier, le service comm’ semble s’être un brin emmêlé les crayons. Quoi qu’il en soit, nous avons été récompensés pleinement d’avoir été patients, VUILLARD a encore réussi à la perfection là où tant peinent. C’est sorti chez Actes Sud dans la chouette collection Un endroit où aller. Pour moins de 10 balles, vous avez le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

(Warren Bismuth)

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