Thomas MÜNTZER n’a pas laissé une trace
indélébile dans l’Histoire et Éric VUILLARD le regrette. Aussi, en de brefs
chapitres nerveux et en moins de 70 pages, il va nous tirer un portrait au plus juste
du gus.
Mais n’allons pas trop vite : MÜNTZER
va agir au XVIe siècle, or VUILLARD tient absolument à nous rappeler qu’en
matière de révoltes paysannes de masse (puisque ce sera le sujet principal du
récit), c’est bien l’Angleterre qui semble avoir donné le coup d’envoi dès le
XIVe siècle avec un certain John WICLYF, rapidement ratatiné par le pouvoir.
John BALL lui succède, occis à son tour, avant que Wat TYLER tâte de la
révolte, dirigeant une véritable armée, TYLER reçu par un roi de 14 ans, avec
un carnet de doléances long comme le bras. TYLER passe l’arme à gauche, en
pleine émeute. Fin de la révolte. En 1450 toutefois les hostilités reprennent
avec de jeunes rejetons pleins d’espoir et de hargne. Parmi eux Jack CADE.
Défuncté à son tour. Il ne fait pas bon être du mauvais côté du manche chez les
Britanniques. Les émeutes se déplacent, envahissent l’Europe. C’est Jan HUS qui
lève le peuple contre son autorité à Prague, des révoltes s’ensuivent, Prague
brûle. HUS également.
Mais c’est vers 1520 que quelque part en
Bohème, du côté de Zwickau, d’où il ne va d’ailleurs pas tarder à être chassé,
un exalté du nom de Thomas MÜNTZER a décidé d’en découdre avec le pouvoir.
Mêmes scénarios que plus tôt en Angleterre ou vers Prague. Alors que LUTHER
commence à se tailler une réputation assez solide, MÜNTZER se transforme en
prédicateur, harangue les foules, appelle à l’insoumission, à la rébellion, au
soulèvement. Il donne la messe en Allemand (hérésie suprême), y lit la Bible
enfin en circulation – en allemand itou. Son père a été exécuté dans des
circonstances obscures vers 1500. Aussi MÜNTZER semble habité d’une rage
héréditaire. Il va plus loin : il en appelle aux meurtres des
puissants : « Qu’ils se
battent ! La victoire est merveilleuse qui entraîne la ruine des puissants
tyrans impies ». Ou encore « Ce
sont les seigneurs eux-mêmes qui font que le pauvre homme est leur ennemi.
S’ils ne veulent pas supprimer les causes de l’émeute, cela pourrait-il
s’arranger à la longue ? Ah ! Chers sires, qu’il sera beau de voir le
seigneur frapper parmi les vieux pots avec une verge de fer ! Dès que je
dis cela, je suis un rebelle. Allons-y ! ».
Puis vient la terrible bataille de
Frankenhausen. 4000 morts. Dont MÜNTZER. Décapité à 35 ans après avoir été
arrêté et sommairement jugé. On dit que vers la fin il n’a pas été correct.
L’auteur, sans pourtant de preuve à fournir, réfute cette version.
En un court récit très dense, VUILLARD
fait avec brio revivre, non seulement la courte épopée de Thomas MÜNTZER, mais
bien les premières révoltes paysannes massives de l’Histoire. C’est instructif,
passionnant, le style acéré et cynique de VUILLARD fait encore des merveilles,
la thèse est documentée, nous envoie des informations en mode mitraillette sans
perdre de vue de rendre l’affaire haletante comme un bon roman d’aventures.
Comme toujours, c’est du grand art.
Ce bouquin a su se faire attendre :
tout d’abord prévu le 3 octobre 2018, il fut ajourné sans plus de précisions,
puis annoncé pour mi-janvier 2019. Quasiment au dernier moment, on apprend
qu’il sort en fait le 4 janvier, le service comm’ semble s’être un brin emmêlé
les crayons. Quoi qu’il en soit, nous avons été récompensés pleinement d’avoir
été patients, VUILLARD a encore réussi à la perfection là où tant peinent.
C’est sorti chez Actes Sud dans la chouette collection Un endroit où aller.
Pour moins de 10 balles, vous avez le beurre, l’argent du beurre et le sourire
de la crémière.
(Warren
Bismuth)
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