Sur la couverture il faudrait peut-être
mieux lire « Jean Echenoz – Jérôme Lindon » tant il n’est pas
question ici de biographie du deuxième par le premier mais plutôt le premier
qui égrène ses souvenirs en commun avec le deuxième, leurs échanges, leurs
rapports.
La rencontre entre l’auteur encore inconnu
et l’intransigeant patron des Éditions de Minuit survient en 1979, lorsque
ECHENOZ propose le manuscrit d’un roman (qu’il ne nomme pas, mais ce sera
« Le méridien de Greenwich »), son premier. ECHENOZ nous décrit
LINDON comme un passionné, un assoiffé de littérature, mais aussi d'un
perfectionnisme qui le rend un brin tyrannique. Souriant, mais sans excès,
forte tête dans les affaires, avare en compliments, un peu moins en vacheries.
« Une seule fois que je me risque de
lui faire part d’un problème d’apparence insoluble que je rencontre dans un
roman, il se ferme aussitôt et même, au lieu de me dire évasivement que ça va
s’arranger, que je trouverai une solution, histoire d’évacuer l’affaire, il me
laisse entendre qu’en effet je n’ai aucune chance de m’en sortir, façon de me
faire comprendre que je n’ai pas à lui casser les pieds avec mes petits soucis.
Je me garderai désormais de tels appels au secours, sachant maintenant que, dans
ce cas de figure, pour éviter des discussions aussi fastidieuses qu’inutiles,
LINDON vous plonge la tête sous l’eau ».
ECHENOZ écrit dans un style journalistique
un récit de vie partagée, les anecdotes bonnes ou mauvaises, les attentes de
son éditeur, les prix littéraires. Il forge sa carrière sans pouvoir compter
sur les conseils de LINDON : « … (il) déconseille plus qu’il ne conseille. Á défaut de suivre ses conseils,
je suis donc généralement ses déconseils, et je n’ai pas à m’en plaindre ».
LINDON est craint par certains auteurs : « Il est quand même incroyable, ce type : non seulement il se permet
de vous donner des ordres mais, par-dessus le marché, il se permet d’imaginer
qu’on ne les exécute pas ».
Rencontres embarrassées avec BECKETT (qui
l’impressionne trop pour tenter une amorce), dialogues avec ROBBE-GRILLET,
plusieurs têtes d’affiches de la maison d’édition défilent. Là aussi le sens
des affaires de LINDON est mis en avant.
Et pourtant, ECHENOZ, c’est évident, est
admiratif de LINDON, de son talent pour dénicher de bons manuscrits, de sa
volonté de faire de Minuit une maison à part, avec une âme, une empreinte, un
vrai style littéraire. Il écrit cet hommage, ce témoignage dans l’urgence, en
2001, alors que LINDON est décédé seulement deux mois plus tôt. Une volonté de
retracer des souvenirs avant qu’ils ne s’effacent, avant que la mémoire ne
s’enfuie. Une très agréable immersion dans les cuisines et l’arrière-cour des
Éditions de Minuit, sortie donc en 2001… aux Éditions de Minuit ! Si vous
désirez aller plus loin sur le parcours et le caractère parfois volcanique de Jérôme
LINDON, je vous conseille vivement une série d’émissions consacrée au bonhomme
sur France Culture à l’occasion de la récente exposition sur Minuit à Paris.
Paradoxalement, LINDON y paraît bien plus humain que sous la plume pourtant
pleine de tendresse de l’excellent ECHENOZ.
(Warren Bismuth)
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