samedi 15 juin 2019

Jean-Claude GRUMBERG « La plus précieuse des marchandises »

« La plus précieuse des marchandises » est un conte, comme le spécifie son sous-titre. 60 pages de « il était une fois » une histoire vraisemblable. Les contes laissent souvent la part belle aux ogres, aux sorcières, aux monstres. Pourtant une fin au goût de lumière (avec un trait de fromage de chèvre) est possible.
Une forêt comme il en existe des centaines. La guerre. Un bûcheron, une bûcheronne qui survivent comme ils peuvent. La bûcheronne crève de ne pas arriver à tomber enceinte, le bûcheron remercie le ciel de ne pas avoir une bouche supplémentaire à nourrir. Isolés de cette guerre par leurs arbres, ils en subissent de plein fouet la difficulté : le froid, la faim, sans cesse, au fond des tripes. Pour tromper sa douleur, son vide dans le ventre, d’enfant et de pain, la bûcheronne regarde passer les trains, trains de marchandises qu’elle imagine emplit de denrées, telle un pays de cocagne sur rails. Illettrée elle récupère des petits trésors laissés par les voyageurs, des morceaux de papier jetés du train, qu’elle ne peut déchiffrer et qu’elle ne fait pas lire à son mari. Ce sont ses trésors à elle, elle ne veut pas les partager.
Une famille, comme il en existe des centaines de milliers. Un homme, une femme, des jumeaux, fille et garçon. Un train de marchandises. 1942, la naissance des jumeaux malgré les heures sombres. En 1943, Drancy et le départ dans ce fameux train, vers un ailleurs d’où l’on ne revient pas.
Le train de marchandises dans lequel circule la famille oppressée par l’angoisse et les mauvaises rumeurs qui émanent des autres passagers entre dans la forêt où la bûcheronne rêve, prie, et attend son train pour alimenter son corps et son âme.
Une décision, un regard, le châle, un des nouveau-nés, peu importe lequel, l’homme ne veut choisir. Empaqueté dans un châle, passé par les barreaux du train, jeté dans la neige molle, sous les yeux de la bûcheronne.
C’est ici que je m’arrêterai. Conte fabuleusement triste et pourtant plein d’espoir, où les monstres sont parfois bienveillants et les bûcherons moins bornés que d’ordinaire. Un conte autour d’une découverte : un organe qui palpite à l’intérieur de la cage thoracique d’un petit être, un sans-cœur. Un combat à mort pour repousser l’horreur. Un prince armé d’une hache qui fait justice, une gueule cassée qui tend une main. Une petite marchandise si précieuse. Une boucle bouclée.
60 merveilleuses pages à savourer dont on ne ressort pas indemne. Et tant mieux. Aux éditions du Seuil, nouveauté de la rentrée littéraire de janvier 2019. A lire d’urgence.
(Emilia Sancti)

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