mercredi 18 mars 2020

Anton TCHEKHOV « Théâtre I »


 Une toute vieille édition regroupant en trois volumes l’intégrale du théâtre de TCHEKHOV (qui a seulement publié 16 pièces). Le premier volume ici proposé renferme trois pièces.


« Platonov » : Être vil, misanthrope et cynique, Platonov est un amoureux des femmes, que d’ailleurs il fait souffrir en les rendant dépendantes de son emprise. Souffrant d’un fort complexe de supériorité, il sait humilier en public et profite de quelques soirées entre amis pour régler ses comptes. Mais dans cette pièce, la plupart des personnages sont ambigus et jouent sur plusieurs tableaux. À grands renforts de violence, de faux-semblants, de tromperies et d’alcool, l’atmosphère se dégrade. TCHEKHOV n’a pas encore 20 ans lorsqu’il entreprend l’écriture de cette pièce – sa plus longue - en 1878, il y apportera une fin en 1880. Son échec fait qu’elle est ensuite oubliée puis considérée comme perdue. C’est en 1921 seulement, bien après la mort de l’auteur, qu’elle est retrouvée dans le coffre d’une banque.

« Sur la grand-route » : deuxième pièce de TCHEKHOV, écrite en 1884, en un acte, brève et intense. Une auberge en bord de route au milieu de nulle part récupère tous les oubliés, les ivrognes, les bandits, les pèlerines. L’un des convives de ce cabaret raconte comment il est tombé dans l’alcool suite à la fuite de sa femme le jour même de leur mariage. Mais cette femme revient, et précisément dans l’auberge. Ici, langage populaire comme TCHEKHOV l’a rarement utilisé. La pièce sera victime de la censure tsariste car jugée trop sombre.

« Ivanov » : pièce de 1887, chronologiquement la cinquième de TCHEKHOV. Ivanov n’est pas si différent du Platonov décrit plus haut. Type mélancolique, acariâtre, peu penché vers l’amour de son prochain, un brin manipulateur, a épousé une juive pour, d’après les mauvaises langues, profiter de sa dot. Or, de dot il n’y eut pas, puisque la femme, en changeant de religion, a été reniée par sa famille. Ivanov est ruiné. Sa femme tombe malade, finit même par mourir. Alors, Ivanov se met en tête d’épouser une femme bien plus jeune que lui. La cruauté de cette pièce est assez remarquable, les personnages sont nombreux et se renvoient la balle dans de longues tirades flirtant avec le monologue. Les coups bas et les tromperies pleuvent, quand les quelques références à GOGOL ne suffisent pas à désamorcer les irritations.

Ces trois pièces, certes différentes, ont toutes leur attrait, d’une part grâce au rythme soutenu dans des joutes verbales pouvant être de haut vol, mais aussi par leurs fins tout à fait tragiques qui en quelque sorte les regroupent et les poussent dans le même trou morbide. Si j’apprécie le nouvelliste TCHEKHOV, que je juge pourtant inégal (qui ne le serait pas avec des centaines de nouvelles publiées ?), si j’avais adoré le trop bref romancier TCHEKHOV (« Drame de chasse », son unique et superbe roman, est chroniqué chez nous), j’ai peut-être une tendresse toute particulièrement pour l’auteur de théâtre, les dialogues étant chez lui d’une force assez singulière. Il frappe, il dissèque, rien n’est superflu et le lectorat se retrouve témoin sur scène de disputes d’une grande dextérité. Pas de repères historiques, rien de bien joyeux non plus, même si TCHEKHOV parsème ça et là ses récits de vraies doses d’humour. Je redécouvre là l’homme de théâtre, et pris la main dans l’engrenage, je ne compte pas m’arrêter là.

Le recueil présenté ici est une toute vieille édition (ces trois pièces n’ont ensuite à ma connaissance plus jamais été présentées ensemble dans un même volume, mais séparément ou dans des anthologies) de 1965, chez les éditions Rencontre (de Lausanne). Le papier est jauni et donne un cachet particulier supplémentaire à l’action. Un théâtre classique et méchamment efficace, voire addictif.

(Warren Bismuth)

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