« Platonov » : Être vil,
misanthrope et cynique, Platonov est un amoureux des femmes, que d’ailleurs il
fait souffrir en les rendant dépendantes de son emprise. Souffrant d’un fort
complexe de supériorité, il sait humilier en public et profite de quelques
soirées entre amis pour régler ses comptes. Mais dans cette pièce, la plupart
des personnages sont ambigus et jouent sur plusieurs tableaux. À grands
renforts de violence, de faux-semblants, de tromperies et d’alcool,
l’atmosphère se dégrade. TCHEKHOV n’a pas encore 20 ans lorsqu’il entreprend
l’écriture de cette pièce – sa plus longue - en 1878, il y apportera une fin en
1880. Son échec fait qu’elle est ensuite oubliée puis considérée comme perdue.
C’est en 1921 seulement, bien après la mort de l’auteur, qu’elle est retrouvée
dans le coffre d’une banque.
« Sur la grand-route » :
deuxième pièce de TCHEKHOV, écrite en 1884, en un acte, brève et intense. Une
auberge en bord de route au milieu de nulle part récupère tous les oubliés, les
ivrognes, les bandits, les pèlerines. L’un des convives de ce cabaret raconte comment
il est tombé dans l’alcool suite à la fuite de sa femme le jour même de leur
mariage. Mais cette femme revient, et précisément dans l’auberge. Ici, langage
populaire comme TCHEKHOV l’a rarement utilisé. La pièce sera victime de la
censure tsariste car jugée trop sombre.
« Ivanov » : pièce de 1887,
chronologiquement la cinquième de TCHEKHOV. Ivanov n’est pas si différent du
Platonov décrit plus haut. Type mélancolique, acariâtre, peu penché vers
l’amour de son prochain, un brin manipulateur, a épousé une juive pour, d’après
les mauvaises langues, profiter de sa dot. Or, de dot il n’y eut pas, puisque
la femme, en changeant de religion, a été reniée par sa famille. Ivanov est
ruiné. Sa femme tombe malade, finit même par mourir. Alors, Ivanov se met en
tête d’épouser une femme bien plus jeune que lui. La cruauté de cette pièce est
assez remarquable, les personnages sont nombreux et se renvoient la balle dans
de longues tirades flirtant avec le monologue. Les coups bas et les tromperies
pleuvent, quand les quelques références à GOGOL ne suffisent pas à désamorcer
les irritations.
Ces trois pièces, certes différentes, ont
toutes leur attrait, d’une part grâce au rythme soutenu dans des joutes
verbales pouvant être de haut vol, mais aussi par leurs fins tout à fait
tragiques qui en quelque sorte les regroupent et les poussent dans le même trou
morbide. Si j’apprécie le nouvelliste TCHEKHOV, que je juge pourtant inégal
(qui ne le serait pas avec des centaines de nouvelles publiées ?), si
j’avais adoré le trop bref romancier TCHEKHOV (« Drame de chasse »,
son unique et superbe roman, est chroniqué chez nous), j’ai peut-être une
tendresse toute particulièrement pour l’auteur de théâtre, les dialogues étant
chez lui d’une force assez singulière. Il frappe, il dissèque, rien n’est
superflu et le lectorat se retrouve témoin sur scène de disputes d’une grande
dextérité. Pas de repères historiques, rien de bien joyeux non plus, même si
TCHEKHOV parsème ça et là ses récits de vraies doses d’humour. Je redécouvre là
l’homme de théâtre, et pris la main dans l’engrenage, je ne compte pas
m’arrêter là.
Le recueil présenté ici est une toute
vieille édition (ces trois pièces n’ont ensuite à ma connaissance plus jamais
été présentées ensemble dans un même volume, mais séparément ou dans des
anthologies) de 1965, chez les éditions Rencontre (de Lausanne). Le papier est
jauni et donne un cachet particulier supplémentaire à l’action. Un théâtre
classique et méchamment efficace, voire addictif.
(Warren
Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire