mercredi 11 mars 2020

Michel JULLIEN « Intervalles de Loire »


Michel JULLIEN ne nous fera pas l’affront de nous décrire uniquement ce qu’il vu, mais aussi et peut-être surtout ce qu’il a ressenti : les bruits, nombreux et étourdissants, surtout des bruits venant de l’humain, des moteurs notamment, les odeurs, très différentes selon l’endroit où l’on se trouve. Ressentis plus philosophiques : le chemin de fer qui semble avoir fait beaucoup de mal aux activités jadis nombreuses sur la Loire. Description par petites touches laissées en suspens de la flore, la faune, les insectes surtout, puis les oiseaux. Description des îlots (l’hôtel de l’aventurier), des arbres les habitant.

Et puis il y a ce qui fait intrinsèquement partie de la vie d’un fleuve, et d’ailleurs d’un cours d’eau en général : les pêcheurs, les échelles de crues, les ponts, la manière de se glisser dessous avec son embarcation (concernant la Loire, bien viser la bonne arcade), les bords, les plages.

L’activité humaine parfois étouffante : les centrales nucléaires sur la Loire (peut-être les plus belles pages du récit), les objets jetés dans le fleuve devenu poubelle avec ces quantités de saloperies croisées, on pourrait y reconstruire une maison avec même la voiture garée devant, les ponts bien sûr (route autoroute, voie de chemin de fer, etc.) : « Couvrez un millier de kilomètres en voiture, en train, il se trouvera un tunnel sur le trajet, plusieurs, tôt ou tard. Les fleuves ont d’autres recours, ils louvoient au premier relief venu, ils percent par détours. Leur façon n’est pas celle des routes, ils se précipitent par écart. Ils ignorent nos communes notions de trajet, ils ignorent les ponts, ils ne les endossent même pas. Les ponts croyons-nous seraient un compromis géographique, ce que les fleuves n’entendent pas de cette oreille : les ponts mis en barrette sont pour eux des flagrants défauts de chemin ».

Revenons brièvement sur ces centrales nucléaires : « Une rumeur muette à la ronde, on dirait qu’elles cherchent à ne surtout pas faire de bruit contre le pire. La désolation tient encore à ce qu’il n’y a rien à voir, tout à pressentir. Sinon les fourneaux, sinon les buées de condensation renvoyées au ciel (un peu de la Loire devenue soudain verticale, d’entiers morceaux de fleuve sortis de conduits cintrés comme des coquetiers babyloniens, projetés droit au ciel par le plus court chemin de la technologie sans passer par la case « mer »), elles marquent le lieu d’un vide ».

JULLIEN n’oublie pas ses liens avec la littérature, il évoque quelques auteurs qui ont écrit sur la Loire, sur les cours d’eau en général, il semble vouer un grand respect pour Jules RENARD dont une pensée clôt d’ailleurs le livre. Bien sûr, une telle aventure maritime rappelle forcément quelques belles pages de MAUPASSANT, c’est indéniable. Pour une version plus musclée et cinématographique, nous pourrions classer ce texte près du film « Le drapeau noir flotte sur la marmite » sans l’aspect déjanté et proprement encanaillé.

Un bon petit livre de vacances, de détente mais aussi d’adoration du style, de la langue. Sorti tout récemment chez Verdier, il se lit devant un point d’eau, qui peut être un étang ou un lac, qui doit être encombré d’odeurs, de l’activité humaine comme de la nature. Et là vous serez guidés à votre corps défendant, les arpions dans la flotte tiède. Ne passez pas votre tour.


(Warren Bismuth)


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