Michel JULLIEN ne nous fera pas
l’affront de nous décrire uniquement ce qu’il vu, mais aussi et
peut-être surtout ce qu’il a ressenti : les bruits, nombreux
et étourdissants, surtout des bruits venant de l’humain, des
moteurs notamment, les odeurs, très différentes selon l’endroit
où l’on se trouve. Ressentis plus philosophiques : le chemin
de fer qui semble avoir fait beaucoup de mal aux activités jadis
nombreuses sur la Loire. Description par petites touches laissées en
suspens de la flore, la faune, les insectes surtout, puis les
oiseaux. Description des îlots (l’hôtel de l’aventurier), des
arbres les habitant.
Et
puis il y a ce qui fait intrinsèquement partie de la vie d’un
fleuve, et d’ailleurs d’un cours d’eau en général : les
pêcheurs, les échelles de crues, les ponts, la manière de se
glisser dessous avec son embarcation (concernant la Loire, bien viser
la bonne arcade), les bords, les plages.
L’activité
humaine parfois étouffante : les centrales nucléaires sur la
Loire (peut-être les plus belles pages du récit), les objets jetés
dans le fleuve devenu poubelle avec ces quantités de saloperies
croisées, on pourrait y reconstruire une maison avec même la
voiture garée devant, les ponts bien sûr (route autoroute, voie de
chemin de fer, etc.) : « Couvrez
un millier de kilomètres en voiture, en train, il se trouvera un
tunnel sur le trajet, plusieurs, tôt ou tard. Les fleuves ont
d’autres recours, ils louvoient au premier relief venu, ils percent
par détours. Leur façon n’est pas celle des routes, ils se
précipitent par écart. Ils ignorent nos communes notions de trajet,
ils ignorent les ponts, ils ne les endossent même pas. Les ponts
croyons-nous seraient un compromis géographique, ce que les fleuves
n’entendent pas de cette oreille : les ponts mis en barrette
sont pour eux des flagrants défauts de chemin ».
Revenons
brièvement sur ces centrales nucléaires : « Une
rumeur muette à la ronde, on dirait qu’elles cherchent à ne
surtout pas faire de bruit contre le pire. La désolation tient
encore à ce qu’il n’y a rien à voir, tout à pressentir. Sinon
les fourneaux, sinon les buées de condensation renvoyées au ciel
(un peu de la Loire devenue soudain verticale, d’entiers morceaux
de fleuve sortis de conduits cintrés comme des coquetiers
babyloniens, projetés droit au ciel par le plus court chemin de la
technologie sans passer par la case « mer »), elles
marquent le lieu d’un vide ».
JULLIEN
n’oublie pas ses liens avec la littérature, il évoque quelques
auteurs qui ont écrit sur la Loire, sur les cours d’eau en
général, il semble vouer un grand respect pour Jules RENARD dont
une pensée clôt d’ailleurs le livre. Bien sûr, une telle
aventure maritime rappelle forcément quelques belles pages de
MAUPASSANT, c’est indéniable. Pour une version plus musclée et
cinématographique, nous pourrions classer ce texte près du film
« Le drapeau noir flotte sur la marmite » sans l’aspect
déjanté et proprement encanaillé.
Un
bon petit livre de vacances, de détente mais aussi d’adoration du
style, de la langue. Sorti tout récemment chez Verdier, il se lit
devant un point d’eau, qui peut être un étang ou un lac, qui doit
être encombré d’odeurs, de l’activité humaine comme de la
nature. Et là vous serez guidés à votre corps défendant, les
arpions dans la flotte tiède. Ne passez pas votre tour.
(Warren Bismuth)
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