mardi 19 janvier 2021

Béla PINTÉR « Saleté »

 


Au menu du jour, une pièce hongroise en une seule scène. Pourtant les changements de rythmes et d’ambiance sont nombreux, certaines séquences allant même jusqu’à se juxtaposer.

Un couple sans enfants d’un village de montagnes se rend en ville dans un orphelinat afin d’adopter un bébé. La femme de 42 ans vient d’être opérée de l’utérus et ne pourra plus enfanter. Sur place, ce sont des adolescents qui sont proposés au couple, prêt à succomber au charme avant de pouvoir légalement devenir les parents d’un tout jeune enfant (pour cela il faut un dossier solide qui peut prendre du temps). Le couple choisit une jeune file retorse, qui d’ailleurs refuse dans un premier temps de le suivre si les parents adoptifs ne prennent pas avec eux sa meilleure amie.

Les deux personnages du couple sont d’honnêtes travailleurs assez aisés et au cœur chaud : « Je suis travailleuse sociale et oncle Attila possède une boulangerie bio. Nous avons une belle petite maison, propre et calme, dans le centre du village, et nous avons un grand jardin. L’église est à deux pas de chez nous et nous sommes également tout près de l’épicerie. Nous nous levons tous les jours de bonne heure. Attila doit allumer son four et moi, je me rends auprès des retraités du village. Je vais faire les commissions pour eux, je coupe du bois ou bien je les aide à faire leur toilette ».

Le retour au village s’avère mouvementé : non seulement la jeune fille désormais adoptée possède une dentition repoussante (c’est pourquoi elle porte un masque en permanence) mais son amie est tsigane, peuple abhorré en Hongrie. Les premières frictions ne tardent pas. « Mais enfin, cette pauvre fille croit qu’elle est belle, alors qu’elle ferait vomir tout le monde ! ».

Cette pièce est déconcertante : d’un fond pourtant tragique, elle est traitée avec un profond humour noir dans une construction parfois complexe où se succèdent des séquences sans notion de temps, même si celui-ci est rythmé par des pancartes annonçant la saison. L’espace temps s’étale sur une année durant laquelle de nombreux rebondissements vont alterner. La musique traditionnelle hongroise est très présente, des chœurs parfois sortis de  nulle part viennent régulièrement entonner une chanson.

Mais le vrai personnage (masqué) est la Hongrie, pays tiraillé entre la politique d’extrême droite à géométrie variable du président Viktor ORBÁN, l’exclusion, le rejet de la différence ethnique, (l’antisémitisme y est notoirement ancré), les restrictions de liberté individuelle, la pauvreté et le système D. La préface de Béla CZUPPON est très éclairante quant au contexte, la pièce ayant été présentée pour la première fois en 2010. Il est ici question du problème du taux de fécondité en baisse dans le pays et de l’exil politique de pas mal d’habitants. La Hongrie devient en manque de jeunesse, dépeuplée et exsangue. Son peuple rural, conservateur, reste campé sur ses certitudes ancestrales, il est difficile de se faire une place dans la société.

Pièce à la fois drôle et désenchantée, sociale et pessimiste, elle vient d’être traduite en France par Françoise BOUGEARD, et éditée chez L’espace d’un Instant.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. Voilà une pièce qui a l'air très intéressante. Je serais curieux de lire cette traduction et de découvrir ce qui est dit de la Hongrie contemporaine. Patrice - Et si on bouquinait

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  2. Merci Patrice, penchez-vous sur cette maison d'édition exceptionnelle, gros catalogue varié !

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