mercredi 13 janvier 2021

Charlotte MONÉGIER « Le petit peuple des nuages »

 


Ce recueil de 13 nouvelles s’articule autour d’un thème principal : la famille. Mais pas celle qui grandit dans le calme, l’écoute, la tolérance et la joie de vivre, plutôt la famille éclatée, boiteuse, vindicative et violente. Ces nouvelles peuvent former un tout, une trame romanesque par leurs figures adolescentes très présentes, en souffrance, un souffrance profonde et souvent provoquée par le père. Dans ces nouvelles, les pères, même s’ils peuvent être parfois absents (par lâcheté ?) sont écrasants. Ils font basculer des destins familiaux par leur violence, leurs addictions, leurs comportements, ou encore leurs phrases, celles qui font saigner le coeur.

 

L’ombre du père, obsédante, en parallèle avec celle de l’abandon de l’autre, de la femme, qu’elle soit mère ou fille. L’abandon qui provoque les errances, les abus, les dérives, les mauvaises rencontres. Ces jeunes femmes, encore dans les balbutiements des difficultés de la vie fuient, aiment mal car elles ont vu le père mal aimer, des pères pathétiques se détachant de leurs obligations, de leurs devoirs envers leurs enfants qui déjà d’étiolent et cherchent ailleurs le grand frisson.

 

Le deuil est au cœur de la réflexion : le père mort ou invisible. Le deuil d’une vie familiale « normale », c’est-à-dire avec l’amour, le respect, l’entraide et la compréhension. Ce deuil que la mère tente d’expliquer, avec ses mots, parfois maladroits, empreints de colère ou de résignation.

 

Et l’adolescence qui doit tout de même se passer, les premières amours, premiers émois, les premières règles, les premières désillusions, les premiers abus. N’allez pas croire que toutes les familles présentées ici soient des cas sociaux ou désignés comme tels : les riches, les bourgeois possèdent aussi leurs vices, leur folie. « Mon père était fou. Ma mère était géniale. Elle a fini par perdre la raison, elle aussi. Et moi : j’étais au milieu d’eux ».

 

Puis dans ces « gueules cassées », deux visages plus familiers surgissent : ceux de deux sosies de Johnny HALLIDAY.

 

« Je ne connais rien aux nuages, alors je murmure : « C’est la pluie qui dort dedans ». Il me regarde d’un œil curieux, je crois qu’il veut savoir si la pluie c’est comme les larmes, je dis : « Oui, c’est pareil. Un nuage doit craquer ». Au-delà des dégradés, plus loin encore que les traces colorées, un point lumineux attire son attention. C’est probablement Vénus ou l’étoile du Berger ».

 

Ces nouvelles intimistes et très personnelles peuvent nous parler par le biais des destins qu’elles dépeignent. Homogènes, elles sont servies par une puissance narrative assez magistrale et déconcertante. Qu’elles se déroulent en Afrique du sud, à Paris ou bien en Normandie (d’ailleurs on se déplace beaucoup dans ces récits), elles secouent les tripes grâce à un style poétique délicat sur la forme et agressif sur le fond. En 2014, Charlotte MONÉGIER avait publié un roman fort aux mêmes éditions Lunatique, « Petite fille », dont certaines situations voire quelques extraits sont repris ici. Charlotte MONÉGIER possède une identité stylistique propre et forte. Ce recueil est sorti chez Lunatique fin 2020, il est à découvrir.

https://www.editions-lunatique.com/

(Warren Bismuth)

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