mercredi 16 février 2022

Boris RYJI « La neige couvrira tout »

 


Les éditions Cheyne nous gratifient encore d’un immense recueil de poésie, dans leur collection « D’une voix l’autre » destinée à faire connaître la poésie de diverses régions du globe avec sur une page le texte original et sur l’autre, lui faisant face, la traduction.

 

Ce recueil est celui d’un jeune poète russe, Boris RYJI. C’est d’ailleurs à ma connaissance la première fois que son travail est disponible en France. Dans ces poèmes en vers libres, plus rarement en prose, l’auteur livre son âme désespérée, celle d’un homme ayant vécu, alors adolescent, la perestroïka puis la chute du bloc de l’est, ce qui le marqua à vie. Ces poèmes suent le désenchantement, l’amour et la mort. Ils furent écrits entre 1993 et 2001. Durant ces huit années, RYJI a fait de sa plume une force caractéristique de la poésie russe. S’il dépeint la société post-communiste, il n’est cependant pas anodin d’y entrevoir l’influence des aînés, qui eux aussi ont souffert : TSVETAÏEVA, AKHMATOVA, MANDELSTAM, ESSENINE notamment.

 

Poésie écrite avec les tripes, elle frappe par son exactitude, ses images percutantes, jamais lancées à la légère :

 

« Quand meurent les fontaines

- les lions, les tritons, les dragons –

sais-tu dans quel pays d’ombre

elles poussent leurs longs gémissements ?

Dans le jardin séculaire l’automne est venu.

La grenouille gîte dans les taillis.

Oh ! garde-toi de bondir et de toucher terre,

Je suis à ton oreille un simple murmure,

Et ce n’est que douceur si vers toi je m’incline,

Automnal et sans force,

Comme si quelqu’un avait encore brisé

Un morceau de ma vie »

 

Né en 1974, RYJI a commencé à écrire très jeune de la poésie, il en a composé certains des vers ici présents alors qu’il n’a que 19 ans. Poète prometteur à fleur de peau, bipolaire et alcoolique, sa plume est emplie de désillusion en des formules allégoriques ou directes, savamment cousues dans une langue merveilleuse.

 

« Mettons-nous d’accord : quand je serai mort,

tu planteras une croix sur ma tombe.

Elle sera pareille à toutes les croix,

mais nous deux, mon ami, nous saurons

qu’il s’agit en fait d’une signature :

de même qu’un illettré inscrit une marque sur le papier,

je voudrais laisser une croix dans ce monde »

 

La préface signée Jean-Baptiste PARA (également traducteur de ce livre) est indispensable pour bien comprendre et digérer le parcours semé d’embûches de ce sans-grade et pour mieux en anticiper le travail d’écriture. Il est violent, virulent, dresse l’état d’un pays à l’agonie, d’un homme lui aussi en souffrance. RYJI dépeint son peuple, les jeunes de son âge, déjà sur une voie de garage, il évoque son enfance, quand son pays s’appelait encore l’U.R.S.S., il en ressent une sorte de nostalgie. Car il faut bien comprendre que sa famille a déménagé lorsqu’il avait 17 ans et qu’il abandonna de fait ses amis et une possibilité d’avenir. De ces amis-là, certains mourront jeunes. C’est aussi le cas de Boris RYJI qui en 2001 se suicide. Comme MAÏAKOVSKI et TSVETAÏVA par exemple. Il n’a que 26 ans.

 

Les poèmes ici présentés sont le reflet d’un passé regretté, lointain, pour les influences artistiques, proches de par les événements politiques russe d’alors. La maturité de la structure poétique et de son style est frappante, lorsque l’on sait que les derniers poèmes furent écrits par un homme de seulement 26 ans, dont un intérêt certain fut immédiatement suscité, notamment par le groupe familial néerlandais de musique expérimentale rock et world music DE KIFT qui mit en musique plusieurs de ses poèmes.

 

Avant cela, RYJI s’est marié la veille de la dissolution de l’Union Soviétique, a écrit de nombreux poèmes que cette édition nous permet de découvrir. Ils sont un hommage appuyé à la poésie russe des années 1930, ils en sont l’héritage direct et puissant. Ce recueil est un témoignage de la poésie russe contemporaine qui n’a rien à envier à ses aînés. Sorti en 2020 chez Cheyne. Si vous en croquez pour la poésie russe, ce livre est pour vous.

https://www.cheyne-editeur.com/

(Warren Bismuth)

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