Les éditions Cheyne nous gratifient encore d’un
immense recueil de poésie, dans leur collection « D’une voix l’autre »
destinée à faire connaître la poésie de diverses régions du globe avec sur une
page le texte original et sur l’autre, lui faisant face, la traduction.
Ce recueil est celui d’un jeune poète russe,
Boris RYJI. C’est d’ailleurs à ma connaissance la première fois que son travail
est disponible en France. Dans ces poèmes en vers libres, plus rarement en
prose, l’auteur livre son âme désespérée, celle d’un homme ayant vécu, alors
adolescent, la perestroïka puis la chute du bloc de l’est, ce qui le marqua à
vie. Ces poèmes suent le désenchantement, l’amour et la mort. Ils furent écrits
entre 1993 et 2001. Durant ces huit années, RYJI a fait de sa plume une force
caractéristique de la poésie russe. S’il dépeint la société post-communiste, il
n’est cependant pas anodin d’y entrevoir l’influence des aînés, qui eux aussi
ont souffert : TSVETAÏEVA, AKHMATOVA, MANDELSTAM, ESSENINE notamment.
Poésie écrite avec les tripes, elle frappe
par son exactitude, ses images percutantes, jamais lancées à la légère :
« Quand
meurent les fontaines
-
les lions, les tritons, les dragons –
sais-tu
dans quel pays d’ombre
elles
poussent leurs longs gémissements ?
Dans
le jardin séculaire l’automne est venu.
La
grenouille gîte dans les taillis.
Oh !
garde-toi de bondir et de toucher terre,
Je
suis à ton oreille un simple murmure,
Et
ce n’est que douceur si vers toi je m’incline,
Automnal
et sans force,
Comme
si quelqu’un avait encore brisé
Un
morceau de ma vie »
Né en 1974, RYJI a commencé à écrire très
jeune de la poésie, il en a composé certains des vers ici présents alors qu’il
n’a que 19 ans. Poète prometteur à fleur de peau, bipolaire et alcoolique, sa
plume est emplie de désillusion en des formules allégoriques ou directes,
savamment cousues dans une langue merveilleuse.
« Mettons-nous
d’accord : quand je serai mort,
tu
planteras une croix sur ma tombe.
Elle
sera pareille à toutes les croix,
mais
nous deux, mon ami, nous saurons
qu’il
s’agit en fait d’une signature :
de
même qu’un illettré inscrit une marque sur le papier,
je
voudrais laisser une croix dans ce monde »
La préface signée Jean-Baptiste PARA (également
traducteur de ce livre) est indispensable pour bien comprendre et digérer le
parcours semé d’embûches de ce sans-grade et pour mieux en anticiper le travail
d’écriture. Il est violent, virulent, dresse l’état d’un pays à l’agonie, d’un
homme lui aussi en souffrance. RYJI dépeint son peuple, les jeunes de son âge,
déjà sur une voie de garage, il évoque son enfance, quand son pays s’appelait
encore l’U.R.S.S., il en ressent une sorte de nostalgie. Car il faut bien
comprendre que sa famille a déménagé lorsqu’il avait 17 ans et qu’il abandonna
de fait ses amis et une possibilité d’avenir. De ces amis-là, certains mourront
jeunes. C’est aussi le cas de Boris RYJI qui en 2001 se suicide. Comme
MAÏAKOVSKI et TSVETAÏVA par exemple. Il n’a que 26 ans.
Les poèmes ici présentés sont le reflet d’un
passé regretté, lointain, pour les influences artistiques, proches de par les
événements politiques russe d’alors. La maturité de la structure poétique et de
son style est frappante, lorsque l’on sait que les derniers poèmes furent
écrits par un homme de seulement 26 ans, dont un intérêt certain fut
immédiatement suscité, notamment par le groupe familial néerlandais de musique
expérimentale rock et world music DE KIFT qui mit en musique plusieurs de ses
poèmes.
Avant cela, RYJI s’est marié la veille de la dissolution de l’Union Soviétique, a écrit de nombreux poèmes que cette édition nous permet de découvrir. Ils sont un hommage appuyé à la poésie russe des années 1930, ils en sont l’héritage direct et puissant. Ce recueil est un témoignage de la poésie russe contemporaine qui n’a rien à envier à ses aînés. Sorti en 2020 chez Cheyne. Si vous en croquez pour la poésie russe, ce livre est pour vous.
https://www.cheyne-editeur.com/
(Warren
Bismuth)
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