Cette pièce de théâtre afghane est un document essentiel pour mieux connaître l’histoire contemporaine de l’Afghanistan, Maryam et Hamid étant les deux héros malheureux de ce drame. Maryam, 27 ans et Hamid, 33 ans, afghans exilés en Iran suite à la fuite de leur famille durant les événements des années 1980, viennent de se marier. Ils souhaitent désormais rejoindre leurs racines en Afghanistan, contre l’avis de leurs familles respectives. Nous sommes dans la décennie 2010, les talibans ont été chassés du pouvoir en 2001 suite aux attentats du 11 septembre. Mais à son arrivée, le couple constate que le climat est bien moins idyllique qu’il ne se l’était imaginé. Maryam et Hamid avaient été bercés jusqu’ici par des images fantasmées de leur pays d’origine, souvent relatées par leurs parents. Ce qu’ils rencontrent là-bas est aux antipodes du pays rêvé.
« Avant, les loups ne hurlaient que depuis les montagnes. Puis, peu à peu, ils sont descendus dans les villages. Personne ne se préoccupait d’eux. Tous avaient rentré leurs troupeaux dans leurs maisons puis dans leurs lits.
Les loups voyant que personne ne leur prêtait attention ont attaqué les chiens de troupeaux. Ils les ont mis en morceaux.
Ensuite, puisqu’il n’y avait
plus de chiens pour protéger le troupeau, les loups sont venus jusqu’aux lits
et ils ont dévoré les agneaux.
Personne ne parvenait à se mesurer à eux car chaque jour ils devenaient plus nombreux et plus forts ». Les allégories du texte frappent et résonnent.
Lorsque le couple s’installe à Kaboul, il y trouve un pays vicié, violent, miséreux, sous le contrôle d’un régime autoritaire et despotique. Il loge dans la vieille maison familiale, mais des hommes armés frappent à la porte et leur demandent de quitter les lieux sous 48 heures. Maryam et Hamid sont alors prisonniers de leurs propres sentiments, devenus méfiants l’un vis-à-vis de l’autre. La machine guerrière du régime afghan est en marche, inlassablement. Chaque être se terre et se renferme dans ses doutes et ses peurs.
Cette pièce très brève est un constat alarmant de l’Afghanistan. Ceux qui ont décidé de fuir le pays quelques décennies auparavant sont toujours considérés comme des citoyens de seconde zone dans le pays hôte, ceux qui sont restés sont coincés entre les énormes tentacules des puissants. Ce texte est un témoignage sur la perte de repères, l’émigration forcée qui s’avère être un échec, ils est aussi une manière de dénoncer les guerres, la soif de pouvoir et la dictature religieuse, car l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs.
L’auteur, Kaveh AYREEK, ne parle pas à la légère puisque cette pièce est en quelque sorte une autobiographie masquée. La famille d’AYREEK a dû fuir l’Afghanistan au milieu des années 1980 alors qu’il n’avait que 5 ans. Elle a trouvé refuge en Iran, mais ne put jamais obtenir les mêmes droits que les autochtones, vivant cadenassée et empêchée. AYREEK est revenu en Afghanistan en 2008, montant des troupes théâtrales engagées. Mais la situation s’envenimant, c’est juste avant la prise de pouvoir par les talibans en août 2021 que lui et sa femme sont évacués, rejoignent la France. Ils vivent désormais en Norvège.
« La valise vide » fut une première fois écrit en 2014, mais la plupart des acteurs de la pièce fuirent leur pays avant qu’elle ne soit terminée, AYREEK l’a donc réécrite et enfin montée en 2020.
« La valise vide » n’est pas seulement une pièce de théâtre, c’est aussi un témoignage aussi fort que pudique de la préfacière et traductrice Guilda CHAHVERDI (la langue originale du texte est en dari, un dérivé du persan employé en Afghanistan) dont la famille a dû fuir d’Iran pour se réfugier en France. Guilda est allée en Afghanistan en 2003, elle y a vu la même violence que Maryam et Hamid. Ce livre propose également une chronologie de l’Afghanistan de 1973 à nos jours (jusqu’au 7 septembre 2021) ainsi qu’un texte sur l’extrême difficulté de faire vivre la culture et en particulier le théâtre dans un pays ravagé et exsangue.
Ce bouquin remarquable et instructif vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant, il est une approche originale autant qu’effrayante sur la notion de survie en pays hostile, ainsi que sur la quasi impossibilité de développer la culture sur une terre gouvernée par l’extrémisme. Quant à la photo du bonheur représentée en couverture, elle est en quelque sorte l’antinomie de ce que Maryam et Hamid vont vivre.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
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