« Quelle journée ! Ce soleil tiède et
clair qui dore la gueule des canons, cette odeur de bouquets, le frisson des
drapeaux ! le murmure de cette révolution qui passe tranquille et belle
comme une rivière bleue » (Jules Vallès, mars 1871).
Le
voici le roman de la Commune de Paris de Michèle Audin, cette éminente
spécialiste du sujet, animatrice du formidable blog « Ma Commune de
Paris » (allez y jeter un œil !), historienne infatigable de cette période.
Alors, forcément, on va en apprendre de belles (et de moins belles) sur cet événement
majeur de l’Histoire française, pensez donc, 72 jours, pas un de plus, mais 72
jours qui ébranlèrent peut-être pas le monde mais en tout cas la France
entière.
On
peut dire parfois d’un documentaire qu’il se lit comme un roman. Ici cela me
paraît être totalement l’inverse, un roman, avec ses personnages inventés
évoluant au milieu d’autres, réels ceux-ci, dans une période historique
déterminée, un roman donc qui se lirait comme un documentaire, une petite encyclopédie
sur la Commune de Paris.
Le
récit débute comme il se doit devant le Mur des Fédérés, symbole à tout jamais
de la Commune de Paris, situé au Père-Lachaise. Le narrateur de 52 ans parcourt
les rues de Paris, à la recherche des lieux essentiels de la guerre civile,
comparant leur architecture de la fin du XIXe avec celle de notre monde
contemporain, un narrateur se moulant littéralement dans l’action, celle qu’il
va raconter.
Dans
cette grande épopée, nous allons croiser des anonymes, des personnages
inventés, d’autres ayant eu un poids plus ou moins conséquent sur le déroulé de
l’événement : Vallès, Varlin, Frankel, Flourens (lui se fait buter très
rapidement), Lissagaray, Vuillaume, Vermorel, Vaillant, ou bien les grands
absents des rues de Paris, tels Blanqui (emprisonné), Lafargue ou Marx.
Michèle
Audin va aller fourrer son nez dans les journaux de l’époque, dans les traces
écrites, et c’est une Commune de Paris journalistique qu’elle va ici mettre en
scène tout en conservant scrupuleusement la vérité des faits. C’est par l’entremise
des journalistes, pigistes, témoins directs qu’elle crée « sa »
Commune. Tout commence d’ailleurs par un écrit, la fameuse (première) affiche
rouge placardée sur les murs de Paris dès janvier 1871.
Soulèvement
général le 18 mars, Commune proclamée le 28. Tout est consigné. Et sur les
bas-côtés, les anonymes, toujours, qui rendent l’atmosphère de la ville au XIXe
siècle, une vie soudain ébranlée par l’épopée en cours, alors que L’assemblée communale
prend le nom de « Commune de Paris » le 30 mars et que s’ensuit une
indescriptible joie dans des rues où tout le monde aime son prochain. Et déjà
les premières propositions de lois, révolutionnaires : rendre
l’instruction et l’égalité de salaires obligatoires, l’union libre possible,
aider au développement de la culture (la Commune a d’ailleurs rouvert des lieux
de culture, des musées notamment).
Les
tensions sont vives entre les Communards et le clergé. Les premiers souhaitent
en finir avec Dieu, les seconds, souvent soutiens des versaillais, voudraient
au contraire voir amplifier la parole divine. Bref, l’ambiance est parfois
électrique. Les actions de la Commune sont consignées dans le Journal officiel,
c’est par lui que Michèle Audin déroule son histoire, reprenant patiemment des
extraits d’articles, mais loin de se cantonner à cette source d’informations,
elle va piocher du côté du Cri du Peuple, du Père Duchêne, du Rappel, de L’ami
du Peuple, du Prolétaire notamment. La Commune expliquée par les journaux, en
somme. En tout cas ceux cantonnés à Paris et Versailles.
Audin
prévient : oui une part de fiction est bien présente. C’est l’autrice
seule qui décide de la rencontre fortuite entre deux protagonistes, laisse
planer le doute sur l’existence réelle ou l’invention d’un autre. Elle insère
le monde contemporain, « son » monde, avec les mails reçus et triés
par le narrateur, lui donnant quelques indications dont certaines pourraient s’avérer
de première main. Elle prend soin de ne pas oublier les actions menées par les
femmes, actrices majeures sous la Commune.
On
y va de sa petite touche personnelle : deux guillotines brûlées pour incarner le combat contre la peine de mort
(la Commune est moderne), des ballons dirigeables s’envolant en direction de la
province pour lâcher des tracts, la colonne Vendôme, symbole de la barbarie
militaire, flanquée à terre. La Commune ne se contente pas de dénoncer ou de
revendiquer : elle agit.
Puis
bien vite, trop vite, arrive mi-mai. Et là tout bascule. Premières grosses
divisions entre différents clans Communards, les Versaillais entrent à nouveau
dans Paris. Et la tragédie. La semaine sanglante débute le 21 mai, un dimanche,
alors qu’un gros concert a lieu au profit des veuves et des orphelins. La
Préfecture et l’Hôtel de Ville sont incendiés. Puis le dimanche suivant :
le 28 mai acte la fin des hostilités.
Mais
Michèle Audin ne s’arrête pas là. Son enquête, ses recherches l’amènent aux
jours et semaines après l’écrasement de la Commune, les morts continuant à
affluer dans un Paris meurtri. Et puis commence ce qui est depuis devenu un
classique : la réécriture de l’Histoire par les vainqueurs. Ainsi, un
certain Victor Bunel va crapuleusement imprimer un pseudo In extenso du Journal officiel sous la Commune. En fait il coupe
dans les articles, se les réapproprie, les rendant tels qu’il aurait aimé les
lire. Bref, il fabrique un faux.
Michèle
Audin n’oublie pas les nombreuses et nombreux exilés, les condamnés, les
exécutés, les pestiférés. Il ne fait pas bon avoir été Communard dans les rues
de Paris à partir de juin 1871. Curieusement, Louise Michel n’a droit qu’à
quelques misérables lignes en fin de volume. Aucune ligne pour d’autres
héroïnes de la Commune. Les femmes sont représentées dans cet ouvrage par des
anonymes, ces anonymes qui d’ailleurs closent le volume, qui ont vécu 72 jours
d’espérance, les premières étincelles d’une révolution avortée.
« Comme
une rivière bleue » est sorti en 2017, il fait passionnément revivre le
climat de la Commune de Paris dans les rues de la capitale, il nous la
retranscrit par le biais de journaux, par des historiettes tissées et
inventées, il est un vrai passage de témoin entre XIXe siècle et monde
contemporain. Et cette superbe couverture représentant le drapeau Communard.
Oui, « Vive la Commune ».
(Warren
Bismuth)