mercredi 28 mars 2018

Ugo BIENVENU « Sukkwan island »


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Cela fait un sacré bout de temps que j'ai pris mon taquet avec l'oeuvre de David VANN, « Sukkwan Island », où persistent encore les images, malgré les années écoulées, de la rigueur d'une île sauvage en Alaska, isolée, voire inaccessible quand vient l'hiver et ses chutes de neiges qui paraissent éternelles « il neige comme s'il ne devait pas y avoir de lendemain ».

À la faveur d'un détour par la médiathèque, je tombe sur l'adaptation faite du roman par Ugo BIENVENU en bande dessinée. Je déteste relire plusieurs fois les mêmes documents, j'ai trop d'oeuvres devant moi à lire pour prendre le risque de revenir en arrière. J'étais néanmoins curieuse de voir comment l'atmosphère si particulière, si violente de l'oeuvre originelle pouvait être restituée, voire interprétée.

Si la couverture est colorisée, la bande dessinée elle-même reste en noir et blanc, un choix qui me paraît fort judicieux pour entrer dans cet univers acétique de l'isolement. Les dessins sont crayonnés, les ombres exacerbées, les expressions faciales des personnages, amplifiées.

L'histoire est bien entendu identique à l'initiale : sur fond de drame familial plus ou moins explicité, un père choisit de s'isoler une année entière en compagnie de son fils pour fuir ses propres échecs et espérer se reconstruire tout en se rapprochant de son aîné. Dit comme ça, ça a presque l'air cool. Presque. Si dans le roman, la dépression du père est bien présente, dans l'adaptation BD elle est carrément omniprésente, et lourde. Lourde dans l'atmosphère et lourde de conséquences. Le père accumule les échecs : l'abri qu'il doit construire et pour lequel il n'est pas équipé, la radio qui doit fonctionner mais qui coupe à chaque discussion avec son ex-femme, ex-femme qui refait sa vie sur le continent d'ailleurs, et qui espère bien se remarier. L'absence totale de complicité avec l'enfant. On apprend de manière très crue l'échec du couple, de multiples tromperies entre les bras de femmes tarifées ou de secrétaire soit disant aguicheuse. Le père se livre sans retenue, oubliant qu'il n'est pas à la pêche avec un pote mais avec son fils, de 13 ans, à un âge où tout se joue. La mélancolie gagne l'enfant qui souhaite secrètement partir de l'île, qui supporte de moins en moins bien son père, mais qui préférera taire, jusqu'au bout, ses motivations, tant il craint de blesser son père.

La montée vers l'horreur se fait plus rapidement que dans le roman, les événements s'enchaînent plus vite et l'on assiste, impuissants lecteurs que nous sommes, à la descente aux enfers de ce père de famille qui perd totalement pied (et la boule accessoirement). Le tout est magnifiquement rendu par ce coup de crayon à la fois minimaliste et dense. Une seconde lecture de l'oeuvre qui ne m'a pas moins bouleversée que la première. C'est chez Denoël Graphic, et c'est paru en 2014, foncez à la médiathèque !

- « Vous venez de tuer quelqu'un ?
- Juste ma vie. »

 (Émilia Sancti)

mardi 27 mars 2018

TREVANIAN « L’été de Katya »


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Quand on ouvre un roman de TREVANIAN, on ne sait jamais vraiment ce que l’on va y trouver tellement il a su dépeindre des atmosphères toujours différentes : polar avec « La sanction » et « L’expert », espionnage avec « Shibumi » ou western cynique avec « Incident à Twenty-Mile ». Ici, dans un même ouvrage, l’ambiance est tour à tour gothique, cynique (bien sûr, l’une des « pattes » de l’auteur), historique, puis se fait thriller psychologique. Peu de traductions de TREVANIAN sont disponibles sur le marché, donc un bon conseil, profitez-en bien !

Après son succès lors de ses études de médecine Jean-Marc Montjean le narrateur se repose dans son village du Pays Basque. Il tombe sur Katya Tréville, une jeune femme dont le frère Paul vient d’avoir un accident de bicyclette. Nous sommes durant l’été 1914, la paix règne encore en Europe. En allant ausculter le frangin, Jean-Marc voit immédiatement que Katya et lui sont jumeaux. Rapidement Paul se révèle d’un cynisme fou (« Il n’y a rien de plus répandu que de se croire unique » lance-t-il à Jean-Marc) et accessoirement très possessif concernant sa sœur. Au fil du livre on va apprendre pourquoi il la protège autant. Quant à la mère, elle est morte en les mettant au monde. Tous deux vivent avec leur père, un vieux bonhomme médiéviste et passionné de vieilles légendes avec lequel Jean-Marc sympathise tout de suite. Mais le charme discret de Katya lui fait rapidement tourner la tête, il va s’éprendre d’elle. Cependant, Paul veille. Le vieux père Tréville ne doit jamais apprendre que Jean-Marc ressent de l’amour pour Katya. Alors que ses sentiments sont à leur apogée, le docteur GROS l’informe que la famille Tréville va quitter à jamais le Pays Basque.

Un roman qui commence lorsque le narrateur revient dans sa région natale après 25 ans, soit en 1939, juste avant une autre guerre. Pourquoi a-t-il fui ? C’est ce que l’histoire va nous apprendre en reprenant tout depuis cet été 1914.  Les différents climats se succèdent : si la première partie est assez gothique, pouvant même rappeler les sœurs BRONTË ou même Wilkie COLLINS par certaines situations et secrets de famille, elle devient carrément pesante après qu’un drame ait eu lieu. On entre soudainement dans un roman suffocant, noir sombre, une sorte de « Rebecca » de Daphné Du MAURIER. Si l’on devait comparer avec le cinéma, on pourrait rapprocher l’atmosphère de ce roman de celle de « Psychose » du grand HITCHCOCK, voire d’un Fritz LANG très noir, ou plus près de nous de « Dédales » de René MANZOR. Car oui dans ce thriller gothique il est bien question de dédoublement de la personnalité (je ne peux pas en dire plus), d’aliénation mentale.

Attention, là encore TREVANIAN touche à de nombreux sujets : l’Histoire et les rites du Pays Basque (il peut se le permettre puisqu’il y a vécu), l’hérédité, le freudisme, la psychologie, la psychanalyse. Et bien sûr il ne peut s’empêcher de partager son antimilitarisme en s’appuyant sur cette première guerre mondiale qui ne va pas tarder à éclater : « En attendant de se faire mutiler à cause de la stupidité et de l’arrogance de vieux politiciens, les jeunes appelés allaient-ils rire et blaguer et s’échanger de cordiales platitudes, comme dans les romans populaires ? La jeunesse de France était-elle donc si crédule ? ». Pourtant son « héros », Montjean, va participer à la boucherie. Pourquoi ? La réponse est évidemment dans le livre et elle glace le sang.

TREVANIAN est cet auteur états-unien mystérieux qui n’a révélé sa vraie identité que quelques années avant sa mort, ce n’est qu’en 1998 que son vrai nom, Rodney WHITAKER, sera enfin confirmé même si un doute planait depuis 1983. Il a voulu qu’on lui foute la paix, qu’on le laisse vivre sa vie d’écrivain, il a souhaité rester dans l’ombre. Il est mort en 2005 après quelques œuvres saisissantes. Celle-ci est peut-être la plus forte. Ce n’est pas un coup de cœur mais un vrai coup de boule dans les naseaux. Ce roman a été écrit en 1983, pourtant c’est seulement il y a quelques mois qu’il a enfin été traduit en français, édité chez GALLMEISTER, et d’ores et déjà je pressens qu’il sera près de la tête de mes favoris pour l’année 2018. Un roman qui me réconcilie avec l’univers du thriller. D’ailleurs, si je voulais, à l’instar de Paul, être arrogant, je vous dirais sans préliminaires : s’il n’y a qu’un thriller à lire, c’est peut-être bien celui-ci. Mais je préfère vous laisser choisir…



(Warren Bismuth)

dimanche 25 mars 2018

Lilian MATHIEU « Columbo : la lutte des classes ce soir à la télé »


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Quelle idée formidable que cet essai sociologique sur la série « Columbo » ! Quand comme moi on est un inconditionnel du célèbre lieutenant à l’imperméable élimé, on se doit de lire ce petit bouquin. L’histoire de la série est à elle seule pleine de rebondissements : commencée en 1968 comme simple téléfilm, le succès de celui-ci pousse les créateurs à passer en mode série trois ans plus tard, en 1971. Après un épisode pilote, « Columbo » démarre vraiment la même année pour une première saison. En 1978, à la fin de la saison 7, la série s’arrête brutalement. Mais elle reviendra sur les écrans en 1989, et ne les quittera plus jusqu’en 2003, au terme de 18 saisons dont les 8 dernières ne comporteront qu’un à deux épisodes.

Peter FALK campe un lieutenant issu des classes populaires. Dans chacune de ses 69 enquêtes, il est confronté à la haute bourgeoisie Etats-unienne, souvent même à des célébrités publiques. La plupart sont arrogantes, possèdent une forme de pouvoir et mésestiment parfois jusqu’au mépris un type insignifiant fringué comme un clodo, qui de surcroît ne paraît pas avoir inventé la machine à tourner les coins de rue. C’est pourtant lui qui va faire mettre à genoux les puissants, les aristos, ceux de la « haute ».

Columbo est un homme simple, peu érudit, pas très « consommateur », se contente de peu d’éléments externes pour vivre. Néanmoins il est d’une curiosité à toute épreuve, et s’il cache certaines convictions, on les devine aisément : il n’aime pas la violence, les armes, le pouvoir, les politiciens. Il n’abuse pas non plus des règles de la communauté (sa voiture pourrie l’atteste en partie), il est indépendant (il préfère travailler seul et au calme) mais très fidèle. Il adore sa femme (qui indirectement l’aide à résoudre certaines énigmes, bien qu’on ne la verra jamais) et se passionne pour son chien. Il a les goûts de l’américain moyen, y compris culinaires, comme s’il s’interdisait d’aller au-delà de son monde, celui de la classe populaire.

Cette étude sociologique de 2013 va détailler cette sorte de lutte des classes permanente. Le petit fonctionnaire un brin minable, un peu crado, descendant d’une famille italienne prolétarienne, qui ne brille pas par son intelligence, va débusquer la preuve qui tue et confondre l’assassin. Lilian MATHIEU a passé la série au crible et donne de nombreux exemples précis tirés de diverses situations. Il nous apprend quelques anecdotes savoureuses et toujours bonnes à lire, notamment celle des fringues de Columbo qui venaient directement de la garde-robe personnelle de Peter FALK. Il scrute aussi le comportement de Columbo envers les meurtriers, déférent, emprunté, gauche (il a conscience d’appartenir à une classe sociale bien plus basse que celle de ses interlocuteurs), qui peu à peu se fait plus piquant, envahissant, et va jusqu’à jouer avec les nerfs de ses adversaires afin de les pousser à la faute en un jeu de dupes parfaitement orchestré.

La culture Etats-unienne de la seconde partie du XXe siècle est très présente dans « Columbo », notamment les découvertes, les inventions du moment. La bourgeoisie puissante des protagonistes de la série possède bien sûr les derniers produits ou matériels en vogue, Columbo les découvre, s’y intéresse, aussi afin de bâtir une certaine proximité avec l’assassin. La ville de Los Angeles est très bien représentée puisqu’elle héberge la majeure partie des épisodes. On pourrait parfois se croire dans un film de John CASSAVETES (par ailleurs ami proche de Peter FALK) avec les décors urbains.

Tout cela est raconté dans ce petit bouquin, sérieusement, précisément. Je ne parviens pas à me mettre à la place d’un lecteur qui lirait ce bouquin en méconnaissant ou même ne connaissant pas du tout la série, même si je pense qu’il faut avoir vu plusieurs épisodes pour bien digérer ce que l’auteur développe. C’est en tout cas une lecture proprement jubilatoire pour un adepte comme moi, surtout lorsque Lilian MATHIEU ose une comparaison – pertinente par ailleurs – avec l’illustre ancêtre de Columbo, j’ai nommé le commissaire Maigret (séquence émotion). Bref, après cette lecture, vous serez incollable sur le lieutenant, sa femme, son chien, sa 403, et surtout sur la personnalité même de l’homme à l’imper râpé. Et qui sait, vous aurez peut-être l’envie incontrôlable de regarder l’intégralité de cette série singulière, ce que je ne peux que vous encourager à faire dès ce soir.

(Warren Bismuth)

Pierre LEMAÎTRE « Couleurs de l’incendie »


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Après 5 années d'attente enfiévrée, 2018 a vu la sortie de la suite de la trilogie initiée par LEMAÎTRE avec « Au revoir là-haut », « Couleurs de l'incendie ».

Après une fin tragique et la mort d'Édouard Péricourt dans le volume précédent, on débute le tome 2 sur les obsèques de Marcel Péricourt, ce qui laisse sa fille, Madeleine et son petit-fils, Paul, à la tête de l'empire bancaire du vieil homme. Voilà pour la théorie. En pratique, Paul choisit de se donner en spectacle lorsque le convoi s'ébranle vers le cimetière (I believe I can fly) et ça rajoute un peu de glauque à l'enterrement (au cas où ça aurait été la fête).

Cet événement (même s'il apparaît au tout début du roman, je ne vous dirai pas de quoi il en retourne) a le mérite de poser le décor séance tenante : on y découvre tous les protagonistes. Ils sont nombreux, pleins de faux-semblants et surtout jaloux, vaniteux et sans scrupule.

Ça sent le pâté chez les Péricourt, Madeleine est fort mal entourée, fort mal conseillée et elle se débat pour maintenir un équilibre précaire, qui finira par s'effondrer. On incrimine nécessairement un problème de karma vu l'ampleur du désastre.

Ce deuxième opus est entièrement centré sur le personnage de Madeleine et je pense que nous étions loin d'imaginer sa force de caractère. On la découvre dans le volume précédent, héroïque, dévouée, têtue, on la retrouve à l'identique, puissance 1000. C'est un de ces personnages féminins très forts dont la littérature se dote généralement trop peu, et qui envoie une calotte monumentale aux bonhommes qui faisaient les malins jusque là. Faut pas lui casser les ovaires à Madeleine, et c'est d'une main de fer dans un gant de velours qu'elle remet tout le monde au pas. On découvre le petit Paul, tout juste né dans le roman précédent, qui là, va grandir, suivre un chemin bien singulier et devenir, cela n'engage que moi, un personnage assez pénible mais qui va servir la dimension historique que LEMAÎTRE a voulu donner à son roman (dans la même veine que « Au revoir là-haut »). Nous faisons la connaissance de Vladi, l'infirmière polonaise fantasque ; nous suivons Léonce, André, Charles et tant d'autres qui n'auront de cesse de semer le trouble.

Toute l'intrigue est profondément ancrée dans l'histoire : les obsèques de Marcel Péricourt ont lieu en 1927 et la France assiste à cette période d'entre-deux guerres, à la montée du national-socialisme outre-Rhin, à l’essor de la presse, à la politique fiscale bien particulière d'une nation qui doit se reconstruire après la première guerre mondiale. Le tout est servi par une plume de qualité, celle à laquelle nous étions habitués. C'est parfois drôle, toujours cruel et surtout brillant.

Maintenant je croise les doigts pour que le prochain opus, le dernier de la trilogie, ne mette pas 5 longues années à sortir... la question étant, qui sera au centre de la dernière intrigue !

(Emilia Sancti)


vendredi 23 mars 2018

Emmanuel LEPAGE « Ar-Men, l'enfer des enfers » + DVD


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Cette superbe BD est la chronique d'un phare breton (inutile de faire le jeu de mots avec le far breton, on a déjà donné ! Et j'ai épuisé mon stock de farine hilarante). Présenté comme ça, le côté glamour vous échappe. Oui mais voilà. Les dessins sont admirables, le métier de marin est précisé : les nombreux naufrages au large de l'île de Sein entre 1703 et 1866, les bateaux s'abattant contre des récifs invisibles, des pièges tendus par la mer, les équipages qui boivent la dernière tasse de leur existence. La décision est prise de construire un phare au milieu de nulle part, juste au-devant des montagnes englouties, des morceaux de rocs immergés, pour prévenir les marins, tout à l'ouest, loin des terres.

C'est la pugnacité qui a construit ce phare. Lors de la proposition de projet, la population n'était pas d'accord. En effet, si les bateaux s'échouent moins, il n'y aura plus rien à piller, plus de nourriture à trouver dans les épaves. La Bretagne ouest va crever de faim, alors il faut que les autorités fassent les yeux doux et laissent miroiter du travail à profusion pour que le peuple se range derrière le projet comme un seul homme.

Puis on passe à l'étape de la construction. Laborieuse. Les assises du phare prennent vie sur un minuscule bout de rocher balayé en permanence par les vagues, les vents, les pluies. Les péripéties vont se succéder, romanesques. La construction aura duré 15 ans de 1866 à 1881), durant lesquels auront eu lieu 295 accostages pour des travaux ne représentant parfois que quelques minutes de travail effectif, 1421 heures de boulot acharné au total (moins de 8 heures par mois ! Des conditions difficiles rendant l’accès presque impossible), un mort à déplorer. D'immenses vagues auront fichu le château de carte dans la mer, on repartira de zéro. On inventera d'autres techniques. On tentera de minimiser une épidémie de choléra en cours sur l’île de Sein.

Une fois la construction terminée, il faudra dénicher des hommes assez cramés pour accepter de vivre dans cette tour de 32 mètres jaillissant de la mer. L'enfer des enfers. Le phare donne l'impression de flotter comme un bateau lorsqu'on le foule. Le mal de mer, mais sur de la pierre. Ar-Men va être habité pendant plus de 100 ans, avant d'être automatisé en 1990. C'est sur les murs mêmes de la tour que se révélera une partie de ses secrets, récits patiemment rédigés par divers gardiens de phares ayant vécu l'enfer et dont les messages furent redécouverts alors que l'on faisait de menus travaux et que les truelles besognaient allègrement sur les crépis. La BD va en outre s'articuler autour de légendes bretonnes. C'est là que l'on remarque le style original du dessin : sautant de siècle en siècle il se dilue pour bien nous faire saisir une atmosphère qui colle parfaitement à la période qu'il décrit.

Clou d'un spectacle pourtant déjà éclatant : LEPAGE dessine la mer à la perfection, il nous éclabousse les yeux à chaque page, nous invite à plonger (voir entre autres la couverture de l’album).

On a déjà là un objet assez singulier et de grande qualité, mais imaginez que l'on vous a concocté en bonus un DVD, rien que pour le plaisir, en l'occurrence un documentaire de 52 minutes réalisé par Herlé JOUON sur les phares de Bretagne et en particulier cet Ar-Men, le reportage avait été initialement tourné pour l'émission maritime « Thalassa ». C'est visuellement exceptionnel. On suit le photographe Jean GUICHARD, spécialiste des phares, ici en pleine prouesse en direct d'un hélicoptère duquel il tire ses clichés somptueux. Et puis on est témoins de la mission que s'est donné Emmanuel LEPAGE pour prendre la température avant d'entamer le travail de sa BD. Tel un trapéziste ou un funambule en équilibre, il se balance au bout d'une corde avant d'atterrir (amerrir ?) sur le pont de la tour du phare. Les images sont spectaculaires, les couleurs vivifiantes. La nature est montrée dans sa nudité, son apaisement comme dans son hostilité. L'odeur des embruns nous pénètre. Une BD, un DVD, faire d'une pierre deux coups pour un document tout à fait digne d'intérêt. Sorti en 2017 chez FUTUROPOLIS.

(Warren Bismuth)

dimanche 18 mars 2018

Léon TOLSTOÏ « Guerre et paix »


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Le roman de la démesure. Les chiffres étant souvent plus parlants qu’un long discours, je vous en livre ici quelques-uns : près de 2000 pages (pour lesquelles j’ai opté pour la version en trois volumes), 17 parties, 337 chapitres. Dans la vie normale, l’épilogue d’un roman se résume en quelques lignes voire quelques pages. Ici ce sont plus de 100 pages qui concluent la fresque. On croise des centaines de personnages (je ne les ai pas comptés, mais certaines sources font état de 500 !). L’écriture du roman s’est étalée durant sept années, entre 1863 et 1869. Dans la vie normale, un roman se lit en quelques dizaines d’heures au maximum. Ici j’évalue ma durée totale de lecture à plus de 130 heures. Comme le disait si justement le grand Rod SERLING en parlant de tout à fait autre chose : « Nous voilà transportés dans une autre dimension ».

On ne résume pas un livre qui n’est pas résumable. L’histoire s’étend de 1805 à 1820 en Russie et raconte la destinée de plusieurs familles bourgeoises : les Bezoukhov (dont Pierre, l’enfant bâtard, est le héros principal du roman, et se trouve être l’un des doubles de TOLSTOÏ), les Bolkonsky (André, l’un des autres doubles de l’auteur, est aussi l’une des charnières de l’intrigue), les Kouraguine ou encore les Rostov.

Le titre « Guerre et paix « est inspiré de l’anarchiste théoricien Pierre-Joseph PROUDHON (TOLSTOÏ lui-même était anarchiste). Le mot « Guerre » devrait d’ailleurs s’écrire au pluriel puisqu’il est question de trois guerres : celle dite de la troisième coalition en 1805, celle de Tilsitt en 1807 et enfin la longue et désastreuse campagne de Russie de 1812 avec l’épisode de la Bérézina. Toutes mirent en scène principalement la Russie d’Alexandre 1er et la France de Napoléon 1er, même si de nombreux autres pays prirent part aux conflits. Une réflexion du Prince André Bolkonsky dès le début du livre peut servir de trame : « Si l’on ne se battait que pour ses convictions, il n’y aurait pas de guerre ». Ce roman sera ponctué de très nombreuses morts, pas toutes sur les champs de bataille d’ailleurs.

La paix : elle est vue historiquement par la paix de Tilsitt, mais plus fictionnellement par le destin des personnages du roman. De nombreuses histoires d’amour par le biais de rencontres, déchirements, trahisons, adultères, etc. TOLSTOÏ a mis le paquet et sorti les violons pour approfondir un romantisme très marqué, si certains passages traitant des affaires de cœur, des émotions amoureuses ou de ressentis peuvent s’avérer longs, ils éclairent pourtant sur tout le reste. Je ne dévoilerai rien de ce point du livre, ma chronique ne ferait que vous perdre un peu plus (si vous ne l’êtes pas déjà).

Dans cette saga d’une rare densité, c’est aussi le personnage de Napoléon qui est mis en exergue. En mettant bout à bout les nombreux passages concernant sa personne, on aurait sans nul doute une biographie assez complète d’un empereur qui fascine l’Europe entière, par une adoration doublée d’une haine farouche (il est vu sous les traits de l’antéchrist), émanant parfois d’un même cerveau à quelques mois de distance. TOLSTOÏ n’hésite pas à se placer en porte-à-faux de l’histoire de ces guerres telle que racontée par les historiens officiels. Il s’en arroge le droit, notamment car, parlant au nom du peuple russe envers ce qu’il dévoile sur la stratégie de Napoléon, « Nous n’avons pas, Dieu merci, pour cacher notre honte, à nous incliner devant son génie, nous avons payé cher le droit de juger ses actes, de bonne foi et sans déguisement, et dès lors nous ne sommes obligés à aucune concession ». Et s’il tacle les historiens c’est aussi parce que « Le mouvement des masses n’est produit ni par le pouvoir ni par l’activité intellectuelle, ni par l’union de l’un et de l’autre, comme le pensent les historiens, mais par l’activité de tous ceux qui prennent part aux événements, et qui se groupent de telle façon que ceux qui agissent le plus directement sont les moins responsables, et réciproquement », leur reprochant leur manque de recul et la non prise en compte d’une quantité de causes.

Pour bien comprendre le récit historique, il faut quand même se passionner pour les stratégies militaires qui sont explorées ici avec force détails, telle un immense tableau chargé de microparticules multicolores. Certaines pages peuvent paraître longues, d’autres sont tout simplement d’anthologie, je pense notamment à la campagne de Russie et de ses incendies gigantesques de Smolensk et Moscou.

Mais le plus beau reste à venir, et rien que pour cela il vous faut parvenir à la conclusion du vertigineux ouvrage : l’épilogue. Plus de 100 pages en version essai sur la notion de guerre, de paix, de liberté et de nécessité, ce moment est proprement divin, il termine un bouquin d’une variété extrême. Pour TOLSTOÏ (et il va implacablement le démontrer), la liberté totale n’existe pas, elle n’est que relative. Il en est de même pour la nécessité. Cet épilogue fait à coup sûr partie des grandes émotions de la littérature mondiale de par son développement, sa précision, les exemples pris, on en ressort éreinté mais convaincu.

Il est indéniable que lire « Guerre et paix » est une sorte de défi lancé à soi-même. Tout en lisant de manière soutenue et quotidienne, il ne m’a fallu pas moins de cinq semaines pour voir apparaître le mot « fin ». Et comme après chaque longue expérience littéraire, je me retrouve un peu à poil après une telle aventure, car bien que n’étant pas téméraire, pour moi le fait de terminer « Guerre et paix », c’est un peu comme descendre les chutes du Niagara en caisse à savon. C’est aussi un défi par les patronymes utilisés par l’auteur : certains personnages portent le même prénom, des noms de familles sont presque similaires (les Karaguine et les Kouraguine).

Le plus incroyable dans tout cela, c’est que TOLSTOÏ a écrit plusieurs versions de ce roman fleuve (et je ne dis pas cela pour la seule Bérézina qui d’ailleurs est une rivière) ! Pour la présente version, visiblement la plus usitée, j’ai choisi la traduction d’Irène PASKEVITCH, qui semble toujours faire autorité dans le domaine puisque son travail est encore réédité de nos jours.

Je parlais de démesure au début de cet article : ce roman a amené des liesses populaires ou individuelles hors norme, à la hauteur de ce qu’a écrit TOLSTOÏ : récemment en Russie, une lecture publique de 60 heures non stop a eu lieu, je me souviens aussi de cette anecdote (je n’ai malheureusement pas pu retrouver la source) d’un homme qui a envoyé « Guerre et paix » en SMS à sa fiancée. Dans mon souvenir, et à raison de nombreux SMS quotidiens, l’aventure a duré plus d’un an. Pour finir, cette petite anecdote contée par une amie : sa grand-mère alors impotente ne quittait plus son fauteuil aménagé, elle a passé les dernières années de sa vie à lire, refermer et reprendre du début « Guerre et paix ». Avec un roman pareil, la raison n’existe plus, les réflexes rationnels sont oubliés au profit d’actions d’envergure dans le temps. « Guerre et paix » est considéré que le plus grand roman russe historique : le travail effectué par TOLSTOÏ pour le rédiger ne peut que nous amener à nous incliner devant ce gigantesque rendu. Pour la compétition, on reviendra plus tard. Je termine aujourd’hui ce roman et je me sens comme groggy ou migraineux un jour de gueule de bois, avec cette question : comment peut-on entreprendre un travail littéraire aussi acharné, surdimensionné ? D’ailleurs, cette question mérite-t-elle même d’être posée ? Quoi qu’il en soit, il me va falloir reprendre une vie normale après cette expérience hors du commun, atterrir de nouveau dans la vraie vie, ce qui devrait encore prendre quelques jours.

(Warren Bismuth)

vendredi 16 mars 2018

Éric LIBERGE, Gérard MORDILLAT & Jérôme PRIEUR « Le suaire – Premier tome, Lirey, 1357 »


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Nouvelle série BD qui sera sous forme de trilogie (j'ignore les prévisions de dates de parution des deux prochains volets). Penchons-nous calmement sur ce premier tome. Ouvrons-le. Et là tout de suite un choc. Pardon, LE choc. Non mais franchement, les dessins. Avant même de lire le scénario. Comme ça, à froid. Coup de foudre. Cœurs en suspens. C’est pas humain. On frise la perfection, du noir et blanc hyper stylisé, détaillé jusqu'à l'obsession, à chaque vignette ou presque une sorte de fresque devant laquelle on reste longtemps en pâmoison (pourquoi ça me rappelle par moment les dessins de MOISAN dans « Le Canard Enchaîné » des années 1960 ? Les pages pleines de MOISAN représentant un DE GAULLE monarque). Du noir très noir et du blanc immaculé. Devant une telle beauté on en oublierait presque de lire les bulles.

Cette trilogie sera sous le signe du Saint Suaire, une épopée du tissu dans lequel fut enveloppé le christ à sa mort. Si le deuxième volume se déroulera au XIXème siècle à Turin et le troisième dans l'Espagne contemporaine, ce premier a lieu en France, en Champagne plus précisément, du côté de Troyes en 1357. L'énigme n'est à vrai dire pas spectaculaire au fond, pas d'infernaux rebondissements. Dans un pays touché par la peste, Lucie aime son cousin Henri, évêque de Troyes, et souhaiterait l'épouser. Seulement il y a Thomas, prieur de l'abbaye de Lirey, sorte de gourou qui va entraîner Lucie dans un pacte morbide : fabriquer un faux suaire du christ pour haranguer les foules et remplir l'église de fidèles car la communauté a besoin d'argent pour construire une abbatiale afin de recevoir un morceau de La Vraie Croix (un bout de la croix du christ durant sa crucifixion sur le mont Golgotha).

Pas de quoi se relever la nuit me direz-vous. Peut-être, mais les dialogues sont bien écrits (par Gérard MORDILLAT et Jérôme PRIEUR, nom prédestiné pour ce genre de projet). Les deux lascars ont déjà un joli CV ensemble puisque à quatre mains ils ont entre autres sorti des films et séries documentaires (« Corpus Christi », « L'origine du christianisme », c'était eux) et des essais sur Jésus. En carrière individuelle et rien qu'en romans, MORDILLAT en a pondu une trentaine (la plupart pour la jeunesse). PRIEUR est spécialisé dans les documentaires (écrits et filmés) et essais, solide liste de publications pour lui aussi.

Revenons au présent volume : il y a cette intrigue concernant le suaire : en existe-t-il un vrai de vrai quelque part souillé de la sudation du christ alors qu'il semble si aisé d'en inventer de faux ? Quant aux dessins, je ne reviendrai pas sur leur élégance maximale, je rappellerai néanmoins qu'Éric LIBERGE a déjà commis pas mal de BD, dont les séries « Les corsaires d'Alcibiade » et « Monsieur Mardi-Gras Descendres » (entre autres), des biographies (notamment sur STALINE et Alan TURING). Rarement je me trouve à contempler aussi longtemps les dessins d'une BD sans me précipiter sur la lecture des dialogues. Je vous lance un défi : allez visiter votre magasin de bandes dessinées favori, demandez l'ouvrage en question, asseyez-vous et commencez à tourner les pages en observant les dessins, sans vous préoccuper de la lecture, je suis sûr que ça va fonctionner. Un conseil : ne prévoyez pas de rendez-vous chez le dentiste juste après car vous pourriez fort bien lui poser un lapin et lui donner l'opportunité de se venger sur vos molaires lors de la prochaine séance.

Bref, ces dessins possèdent une force inouïe qui est tout bonnement hypnotique, une raison pour faire durer cette lecture, encore et encore, car ces 70 pages passent très vite. Le projet de proposer une trilogie courant sur 3 époques séparées de sept siècles semble très ambitieux, attendons les deux prochains volumes, mais nul doute que la claque des dessins sera encore bien présente. C'est sorti chez FUTUROPOLIS en 2018 et c'est plus que prometteur.

(Warren BISMUTH)


jeudi 15 mars 2018

« Le Canard Enchaîné, 100 ans – Un siècle d’articles et de dessins »


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Autant prévenir tout de suite, la bête pèse 2,5 kilogrammes sans vêtements pour près de 700 pages en grand format. Un truc à ne pas lire dans les transports en commun. Dans cet outil pour haltérophiles avertis que trouve-t-on ? Tout simplement une compilation des 100 ans de l'histoire d'un journal français hebdomadaire et satirique, devenu une institution dans le pays et même largement au-delà. Des articles de qualité glanés çà et là sur toutes les périodes du journal, agrémentés de dessins, d'époque également. C'est savoureux de se replonger dans un siècle de politique, de social, de faits divers, de guerre, en France (surtout) comme à l'étranger. Et puis retrouver ce ton : caustique, provocateur, chantre du jeu de mots qui tue et de la contrepèterie maison, et jamais tout à fait neutre.

Ne pas omettre l'évolution. Né de la première guerre mondiale (premier pied de nez, créé par un certain MARÉCHAL !!!) en 1915 avec une bannière outrageusement anarcho-pacifiste, belliqueuse mais contre la guerre, « Le Canard » va se « civiliser » peu à peu, lentement, pour devenir plus « rassembleur » mais en gardant cette distance concernant les idéologies politiques, même si celle qu'il déteste le plus est à l'extrême droite de l'échiquier. Chacun en prend pour son grade.

En 1940, en pleine occupation, le journal se sabordera pour reparaître à la Libération, pas envie de tomber dans l'escarcelle d'un quelconque totalitarisme. Précision importante : « Le Canard » appartient à ses salarié.e.s, ici pas d’actionnaires ni publicité, une autogestion parfaitement huilée, une indépendance d'esprit tirant sur le sublime, comme ce salarié ayant obtenu la légion d'honneur, licencié car « il ne fallait pas la mériter ». Quelques pointures de la littérature ou du cinéma écriront dans ces colonnes, citons rapidement René FALLET, Roland DORGELÈS ou Henri JEANSON. Excusez du peu.

Au fil des décennies, « Le Canard » va se faire journal d'instigation, fouille-merde d'opposition incessante, caillou dans la chaussure des politiciens corrompus, de nombreux scandales éclateront grâce au « Canard », inutile de les énumérer ici, de toute façon ils sont trop nombreux. Ce pavé est une mine d'informations, un vrai puits sans fond.

En bonus, et inséré dans le volume, un « Roman du Canard » du talentueux Patrick RAMBAUD, qui reprend cette histoire tumultueuse, aventureuse, passionnée, un parcours qui ne souffre ni les curés ni les militaires ni les fachos ni la corruption. Il est clairement impossible de faire une liste exhaustive. RAMBAUD cite de nombreux longs et savoureux passages de plusieurs périodes distinctes du « Canard ».

Ce bouquin est difficile à manœuvrer car lourd et au format imposant, cependant c'est un mal nécessaire pour se délecter de ce destin hors norme, un journal influent bien qu’indépendant, à la conscience grosse comme ça, pour qui le mot liberté représente un mode de vie. L'émotion s'empare de nous lorsque nous lisons par exemple les premières lignes du premier numéro du « Canard », ou que nous découvrons son point de vue d’époque sur de vieux dossiers. Il est déjà là sur l'affaire STAVISKY en 1934, il le sera tout autant pour commenter le suicide de SALENGRO en 1936 ainsi que pour tant d'autres affaires ou faits divers. Journal faisant la part belle à la France, mais s'internationalisant au fil du temps.

On notera certes l'évolution du ton, mais aussi celle du trait, les dessins se diversifiant, leur humour aussi. En revanche, pas grand changement au niveau de la maquette du journal, fait très rare dans un média, qui souvent surfe sur l'esthétisme (et souvent au détriment de la qualité éditoriale). Ici quasiment aucune différence entre la version de 1916 et l'actuelle, même le logo est le même.

Je ne vais pas vous en écrire des kilomètres, mais vous l'aurez compris, ce bouquin est d'une utilité totale, à se farcir en intraveineuse ou tout ce que vous voulez, de préférence sur les chiottes, mais allez-y, c'est de la bonne et elle n'est pas nocive. Et la mise en page est très différente de celles du journal, colorée et bien fichue. Entre engagement et rire, vous comprendrez mieux la France, les IIIème, IVème et bien sûr Vème Républiques !

C'est sorti en plein pendant les commémorations des 100 ans du journal (d'où son nom, quelle stratégie !) en 2016. Car oui, même si « Le Canard » date de 1915, il a rapidement fait long feu pour reparaître définitivement cette fois-ci en 1916. Passage émouvant après la tuerie de « Charlie Hebdo » durant laquelle le dessinateur CABU, par ailleurs salarié et pilier du « Canard », sera assassiné. Pour le reste, pas de modération sur son utilisation, allez-y franco, le breuvage est sain et approuvé !

(Warren BISMUTH)

mardi 13 mars 2018

Lize SPIT « Débâcle »


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Une fois n'est pas coutume, c'est en glandant sur Facebook que je tombe sur une réclame d'Actes Sud à propos d'un roman de Lize SPIT, « Débâcle », sorti début février de cette année. Si le titre m'inspire tout de suite – et ma lecture confirmera cette adéquation entre contenu et première accroche – la couverture en elle-même ne retient pas mon attention. D'ailleurs, en lisant les premiers avis, lacunaires, sur la page de l'éditeur, je vois qu'elle n'a pas fait l'unanimité du tout. Passons. Dans ces avis, je lis des choses comme « roman perturbant », « je m'interroge sur l'intérêt d'écrire des horreurs pareilles », « glauque ». Forcément je devais m'y frotter pour me forger une opinion, et manifestement, j'allais être épargnée des mièvreries que je déteste, joie à venir, donc.
L'histoire : un groupe de pré-ados dans un village rural de la Belgique flamande. Ça fleure bon le commerce de proximité, la ferme agricole et les rigolades à vélo, le tout sous un soleil de plomb. Les 3 mousquetaires comme ils se surnomment, Eva, Pim et Laurens, passent leurs vacances d'été 2002 ensemble, pour la dernière fois.
Le livre s'ouvre sur une Eva adulte (grosso modo en 2015) qui reçoit une invitation de la part de Pim, pour commémorer l'anniversaire de la disparition de son frère. Elle décide de s'y rendre, avec une idée derrière la tête... En chemin, elle se remémore cet été 2002 et fait aussi remonter à la surface des anecdotes un peu antérieures à cette période.

Mon avis : on va commencer, pour une fois, par plusieurs avertissements, du type TW (trigger warning). Je ne suis pas particulièrement sensible littérairement parlant (le seul roman à m'avoir vraiment remuée tout au fond, c'est « Les Bienveillantes » de LITTELL), néanmoins certains passages méritent que l'on prévienne les lecteur-ices quant à la violence évoquée. [TW] suicide, viol, fosse à purin (oui oui) : si ces sujets vous touchent, passez votre chemin, ils sont récurrents et le récit commence presque directement là-dessus.

La narration n'est pas forcément évidente, bien que la langue soit parfaitement accessible. Eva nous raconte à la fois l'été de ses 13 ans, certaines anecdotes avant cet été là (notamment ce qui concerne décembre 2001 mais aussi le passage à l'an 2000) et le tout est imbriqué dans l'action présente. La narratrice se dévoile dans sa vie d'adulte, ses échecs et raconte ce retour particulier à Bovenmeer (le patelin où vous ne voulez pas passer vos vacances). Le livre est bien découpé, les dates sont indiquées en début de chaque chapitre, sinon c'est un titre concernant une anecdote précise, il est donc aisé, en étant un peu attentif, de se repérer.
Ce qui s'impose à moi, en refermant le bouquin, c'est que tout était prévisible, l'introduction présage la fin, immédiatement, mais l'on a du mal à estimer jusqu'où l'auteure va aller dans le sordide.

La famille d'Eva est pudiquement ce que l'on pourrait qualifier de famille dysfonctionnelle : un père malsain (première scène avec Eva dans le livre), une mère alcoolique (une scène mémorable lors d'une fête de village), un grand frère solitaire passionné d'insectes (qui a tué sa jumelle en plus et donc condamne sa mère à la dépression), une petite sœur avec des TOC, anorexique et anxieuse à l'extrême. Eva trouve donc refuge chez ses deux amis avec lesquels elle tue ses journées (lesdits amis pas beaucoup plus gâtés par la nature question famille) en inventant des jeux discutables chers aux ados (heureusement que ce n'est pas une généralité), donc pas futés, mais tellement possibles (et ça, ça fait flipper).


L'écriture est froide, glaciale comme une journée de décembre passablement humide en Belgique, l'ambiance grimpe crescendo. Il y a des passages très durs dans le dernier quart du livre, mais l'auteure a su doser, en choisissant les bons mots et sans surenchère. Les personnages sont développés assez finement, on les aime et on les déteste car on se souvient combien ils peuvent être méchants entre eux, et cruels surtout. Ça m'a un peu fait penser – avec une narration différente – à « 13 reasons why », la série, adaptée du livre de Jay ASHER, sauf que ce dernier est considéré comme un ouvrage de littérature jeunesse. Ambiance parfois proche aussi du film « Festen » de Thomas VINTERBERG de 1998. On ne laissera pas « Débâcle » entre les mains de jeunes ados, non non.

Le tout est d’une tristesse absolue, finalement on ne souhaite l'adolescence à personne.

Moi qui aime la littérature comme le café, noire et sans sucre, j'ai été servie. Foncez.

(Emilia SANCTI)

dimanche 11 mars 2018

Pierre LEMAÎTRE « Au revoir là-haut »


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Pierre LEMAÎTRE est un incontournable du polar français, et comme je suis friande de ce genre, forcément j'ai tout dévoré. En 2013, voilà que je n'ai plus rien à me mettre sous la dent sauf « Au revoir là-haut ». Je l'ouvre, je le referme au bout de 2 pages. Trop pleine de ses polars et de Camille Vanderhoeven, je n'arrive pas à accrocher un autre style, malgré sa plume talentueuse.

Mars 2018, ça commence à bien faire, ça fait presque 5 ans que j'entends les gens se pâmer à la lecture de ce bouquin, j'aime beaucoup les récits de guerre, j'adore LEMAÎTRE, ET son nouveau bouquin, « Couleurs de l'incendie », la suite, vient de sortir en début d'année. Je me colle un coup de pied aux fesses, ultra brieffée par ma copine Isa qui a adoré (forcément) et je commence ma lecture.

L'histoire : la guerre de 14-18, l'horreur, la mort, la survie. Le déshonneur, le champ d'honneur, les camarades qui n'en sont pas. La guerre ce n'est pas qu'une boucherie livrée entre deux nations ennemies, c'est aussi la place où les caractères se révèlent (et pas les meilleurs).

Ils n'étaient pas amis, nos deux poilus, Edouard Péricourt, fils de notable et Albert Maillard, d'extraction populaire, et pourtant la dernière offensive organisée par le lieutenant Pradelle, va les lier, à la vie à la mort. On pourrait parler de trio d'ailleurs car le lieutenant va aussi suivre Edouard et Albert tout au long du roman. Devrais-je dire quatuor avec la tête de cheval ? La réhabilitation des poilus, c'est déjà une vraie problématique mais quand l'un d'entre eux est une gueule cassée, c'est mission impossible. On les a chantés, on les a acclamés, ils ont bouffé de la tranchée, ils ont ramassé les corps mutilés de leurs camarades tombés au feu, on les a gazés mais quand ils reviennent on les remercie, on les congédie, on leur crache dessus. Les vrais héros sont ceux qui ne sont pas revenus. Les autres, on aimerait qu'ils disparaissent avec leurs mutilations, leurs cicatrices, au corps et à l'âme.

Au revoir là-haut c'est un combat pour la réhabilitation, c'est une histoire d'amitié, ou plutôt de nécessité, c'est une société peinte au vitriol, ce sont des caractères forts, aussi bien masculins que féminins (Madeleine, Louise). Je vais passer sur l'entreprise menée par Pradelle (on dirait le « Bel Ami » de MAUPASSANT mais en version super méchant) et sur celle, géniale, de Péricourt et d'Albert. Je ne ferai pas de redondance : c'est historiquement un petit bijou, très bien documenté dont une partie de l'intrigue est tirée de faits réels (glaçants d'ailleurs).

LEMAÎTRE est un maître (on applaudit mon trait d'esprit), il manie toujours aussi bien la plume, quel que soit le genre, je sors ravie de cette lecture, avec des images plein la tête, et un amour infini pour Edouard. Vous comprendrez pourquoi en le lisant, les presque 600 pages filent à toute allure, sont riches d'une jolie langue française et parsemées de détails historiques, joliment ordonnées par la plume de ce grand écrivain. Oui oui, je le pense, et ils ne sont pas si nombreux les Goncourt que je trouve justifiés.

Bon, vivement que je termine mon autre bouquin que je passe à la suite.

(Emilia Sancti)

William G. TAPPLY « Casco Bay » et « Dark Tiger »


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Suite à mon attachement, initié dans « Dérive sanglante », à Stoney Calhoun, je décide d'enchaîner directement avec les deux autres tomes de ses aventures, ou plutôt de ses enquêtes, « Casco Bay » et « Dark Tiger ». C'est très subjectif, sans doute, mais j'apprécie déjà les titres, ou plutôt les choix du traducteur. J'ai trouvé très banal le premier titre, qui fait très cheap (je ne dirai pas littérature de gare sinon je vais essuyer des insultes) alors que les deux autres nous livrent un véritable élément sur l'environnement et le domaine de la pêche, si chers à TAPPLY.

Pour cette chronique, je choisis délibérément de ne pas rentrer dans l'histoire de chaque tome mais plutôt d'en parler de manière assez générale.

Je suis assez embarrassée quand je dois classer ces tomes : polars ? Les intrigues, certes développées tout au long de chaque tome, ne sont là, à mon sens, que pour apporter des éléments supplémentaires à la connaissance du lecteur-ice sur les personnages, et surtout Stoney Calhoun. En tout cas, TAPPLY fait dans le classique et efficace, rien de tordu, rien de trop sanglant, juste ce qu'il faut. Le dernier tome est un peu particulier : le tome 2 (« Casco Bay ») reprend peu les éléments du passé du héros, le tome 3 (« Dark Tiger ») marque une accélération dans ce que l'on apprend. Calhoun doit quitter son petit village pour aller mener une enquête un peu plus loin, sur ordre des supérieurs de l'Homme en Costume (qui manifestement sont aussi, d'une certaine manière, les supérieurs de Calhoun).
Le focus est moindre sur sa relation avec Kate, forcément, cela nous permet d'explorer une facette différente du héros et l'on peut constater à quel point il est... constant. Mais pas plat, attention. Quoiqu'un brin prévisible tout de même. Rassurez-vous, Ralph son fidèle compagnon à poils, brave et intelligent setter, l'accompagne, jusqu'au bout du Maine !

Je ne peux que chaudement vous recommander ces 2 titres, en plus du premier tome. Ce que je n'aime pas, généralement dans les suites, c'est le rappel constant dans les 10 premières pages, de ce qui s'est passé dans le tome précédent, pour qu'un-e lecteur-ice puisse prendre le train en route sans avoir besoin de lire le tome précédent (ou si comme moi votre mémoire concurrence celle du poisson rouge). C'est généralement, lourd, mal amené, avec force détails complètement inutiles. Ici pas du tout, on nous rappelle les faits essentiels et cela suffit amplement. TAPPLY a su garder lui aussi une constance, dans le récit, dans la description des personnages, dans la qualité de ses intrigues. C'est déjà un sacré tour de force !

On referme « Dark Tiger » à regret car TAPPLY est décédé et n'a pas pu nous livrer tout ce qu'il avait en tête à propos de cette série, réjouissons-nous néanmoins d'avoir pu découvrir sa plume. A consommer sans modération, chez GALLMEISTER, encore et toujours.
(Emilia Sancti)


samedi 10 mars 2018

Anne SIMONIN « Le droit de désobéissance – Les Éditions de Minuit en guerre d'Algérie »


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Ce court essai de 2012 pourrait s'appeler « Synthèse de la vie des ÉDITIONS DE MINUIT entre 1957 et 1962 », c'est-à-dire en pleine tourmente de la guerre d'Algérie. Pardon, des « événements ». Les ÉDITIONS DE MINUIT étaient nées d'une autre tourmente : celle de l'occupation en 1941, fondées clandestinement par Pierre De LESCURE et un certain Jean BRULLER, dont le pseudo VERCORS fera son chemin, c'est en effet sous ce nom d'auteur que sera publié sous le manteau le premier livre des ÉDITIONS DE MINUIT, « Le silence de la mer », déjà un chef d’œuvre.
Comme la maison d'édition avait été militante et résistante durant la seconde guerre mondiale, elle l'est à nouveau en pleine guerre d'Algérie. Entre 1957 et 1962, elle publie pas moins de 23 livres sur le thème de cette guerre (dont 11 sur la torture), représentant près de 10 % de la publication française totale forte de 253 livres sur le même sujet entre 1955 et 1962. 9 de ces 23 bouquins sont saisis par les pouvoirs publics français pour un total en France de 19 interdictions, soit 50 % du nombre de saisies du pays (les 50 % restants seront à reporter au compte des ÉDITIONS MASPERO).
Dans cet ouvrage historico-politique, Anne SIMONIN, par ailleurs déjà coupable d’un gros volume sur les ÉDITIONS DE MINUIT en 1994, va nous éclairer sur le destin de certains de ces fameux livres interdits par le pouvoir : « Le déserteur » de MAURIENNE (pseudo de Jean-Louis HURST) quatrième livre de l'éditeur interdit, il est saisi le 20 avril 1960, passe en procès le 6 décembre 1961 (ce sera le seul procès des ÉDITIONS DE MINUIT suite à une saisie faisant référence à la guerre d’Algérie) pour « incitation de militaires à la désobéissance ». C'est le lendemain que l’appartement de Jérôme LINDON, alors directeur des ÉDITIONS DE MINUIT (il a succédé à VERCORS), est plastiqué par l'O.A.S. Le 9 décembre c'est directement la maison d'édition qui est victime d'un incendie volontaire. « La question » d'Henri ALLEG (sur la torture en Algérie, livre de référence !), l'avait devancé pour la saisie (8 000 exemplaires d'un coup !) en mars 1958 pour « atteinte au moral de l'armée ». L'ouvrage collectif « La gangrène » (recueil de cinq plaintes d'étudiants algériens) le sera en juin 1959 pour « diffamation de la police ».
La ligne éditoriale est alors celle du refus de la guerre : « Poursuivre la guerre en Algérie revient à légaliser la torture ». « La gangrène » est le premier livre saisi par la Vème République française naissante (« La question », premier ouvrage interdit de l'éditeur, le fut durant la IVème République). Ironie de l'Histoire : André MALRAUX, contre l’interdiction de « La question » d’ALLEG sous la IVème République, vient d'être bombardé ministre des affaires culturelles de la Vème et sera à la manœuvre contre « La gangrène », opération éclair, livre saisi le lendemain même de sa sortie publique. Autres temps, autres mœurs. La Vème n'est pas la IVème.
Les autorités françaises cherchent-elles à provoquer la faillite d'un éditeur indépendant devenu gênant ? En effet, les ÉDITIONS DE MINUIT s'endettent et ne sont pas loin de mettre la clé sous la porte. C'est l'ouvrage « Le dictionnaire historique des rues de Paris » de Jacques HILLAIRET qui va plus tard remplumer la maison en 1963, après les 9 saisies dues à cette guerre sans nom, dont justement le « Notre guerre » de Francis JEANSON pour « incitation de militaires à la désobéissance, provocation à l'insoumission et désertion ». Tous ces livres saisis ont pour thème la désertion, l’anticolonialisme, la torture en Algérie.
La dernière interdiction de cette période aura lieu à deux reprises, en novembre et décembre 1961 (quelques mois avant le cessez-le-feu) pour « Saint Michel et le dragon » de Pierre LEULIETTE. Les paradoxes s'enchaînent : « Le front » de Robert DAVEZIES, bien que faisant l'objet d'une atteinte à la sûreté de l'État, n'est pas saisi. LINDON, directeur de la boutique, et VERCORS, cofondateur et ancien directeur de la maison d'édition, se rentrent dans le chou alors que la marque des ÉDITIONS DE MINUIT doit être renouvelée en 1959, 15 ans après sa naissance officielle en 1944. Là aussi autres temps autres mœurs.
Pour imprimer le fameux « Manifeste des 121 » en 1961, LINDON va prendre contact avec un imprimeur anarchiste pour une publication clandestine, qui par ailleurs ne sortira même pas aux ÉDITIONS DE MINUIT mais chez MASPERO. Chez « MINUIT » il y a les militants de l'ombre parmi lesquels l'indéfectible Pierre VIDAL-NAQUET, sorte de bras droit de LINDON. Germaine TILLION se démène aussi, même si elle ne représente pas précisément la ligne éditoriale de « MINUIT ».
Ce bouquin d'Anne SIMONIN est truffé de références bibliographiques (« au secours, encore plein de livres qui me font envie ! »), d'anecdotes, de rappels. Parmi ceux-ci, qui se souvient aujourd'hui que « Nuits noires » de John STEINBECK est sorti en 1948 aux ÉDITIONS DE MINUIT, loin de l’image d'un éditeur franco-français ? Pour tout admirateur des ÉDITIONS DE MINUIT, ce petit livre est essentiel. De plus, et vous n'en croirez pas vos yeux, il est GRATUIT ! En effet, il est téléchargeable en format PDF sur le site même de l'éditeur, et là je dis chapeau, et j'ajoute que vous n'aurez aucune excuse pour ne pas avoir lu cet essai. Pour le site de la maison d'édition c'est ici :
Pour tomber directement sur le livre, c'est là et ça vaut bien ces quelques quarts d'heures à y consacrer :

(Warren Bismuth)

jeudi 8 mars 2018

Jean HEGLAND « Dans la forêt »


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Je suis friande de romans post-apocalyptiques, sujet que j'ai approfondi et je peine souvent à trouver de bons bouquins que je n'aurais déjà lus. Je tombe par hasard sur « Dans la forêt », de Jean HEGLAND, publié en 2017 chez GALLMEISTER. J'entame joyeusement ma lecture, hyper motivée par un pitch qui me parle dès les premières lignes.

L'histoire : c'est la fin des haricots ! Plus d'électricité ! Nell et Eva, 17 et 18 ans sont retranchées avec leur père dans une maison isolée, dans la forêt. Court le bruit qu'en ville, une épidémie de grippe se propage en laissant derrière elle un long sillage de cadavres. Il s'agit de survivre maintenant, à l'écart de la société, conserver un semblant de normalité, lutter contre un quotidien qui nous mène la vie de plus en plus dure.

Ce qui m'a attiré dans ce livre, c'est le réalisme de la situation : un effondrement énergétique est plus probable qu'une épidémie qui transformerait le monde en déambulateurs assoiffés de sang et de chaire, la « grippe » est aussi un « possible », certes glaçant, mais probable. C'est intéressant de comprendre par flash-back de quelle manière le quotidien des deux jeunes filles a fini par s'effondrer, on y comprend leurs amitiés, leurs amours, leurs joies, leurs passions. Qu'en reste-t-il dans leur maison au fond des bois ?
Deux jeunes femmes qui luttent pour leur survie, jusque là tout va bien. Jusque là. On rentre vite dans un festival du n'importe quoi. Attention, les prochaines lignes pourraient vous éclairer sur le contenu du bouquin.

La maison isolée. Isolée certes, mais à portée de la ville la plus proche, compliqué dans ce cas d'imaginer qu'elles ne vont recevoir QUE deux funestes visites tout le temps de leur isolement.
Les clichés : petite touche de lesbianisme (cela sert-il vraiment le propos ?), parenthèse trash (viol) mal exploitée (une réalité certes mais pas vraiment bien utilisée). Une histoire d'amour mièvre, tout est bien propret, ou le redevient très vite.
Je m'attendais, dans la dernière partie du livre à ce que se repointe le réel vitesse grand V, je voyais une mort, un tabou qui serait malmené (je me force à ne pas dire quoi), non. C'est un peu cruel de dire que j'ai été déçue mais cela aurait clairement servi le réalisme de cette œuvre. Je me demande d'ailleurs si l'auteur s'est vraiment renseigné sur le processus de lactation (aaaah vous allez deviner de quoi il s'agit).
Je suis aussi très admirative des qualités de cueilleuse de l'une des frangines, qui gère la fougère (ahaha) quand il s'agit de trouver du premier coup d'oeil, grâce à son bouquin LA plante médicinale qui va bien (bien entendu cette phrase est complètement ironique).
La fin est lunaire, complètement lunaire. Soit les protagonistes ont abusé de certaines herbes de la forêt, soit l'isolement et les traumas les ont fait dérailler sur une voie à laquelle je n'ai plus accès. Le mystère reste entier.

À sa décharge, c'est un roman qui se lit très vite et qui reste qualitatif au niveau de l'écriture compte tenu du genre qui a donné parfois lieu à des productions littéraires médiocres, là on est quand même dans quelque chose qui tient la route d'un point de vue style. Les personnages, je le regrette, ne sont pas spécialement attachants mais on devine une ambiance forestière, faite d'humus et d'écorces, sous une chape d'humidité réconfortante. C'est mieux que rien.

Je vous engage néanmoins à y entrer, vous serez peut-être moins exigeant-e que moi !
(Émilia Sancti)




mercredi 7 mars 2018

Nikolaï MASLOV « Une jeunesse soviétique »


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Une BD comme on n’en voit pas tous les jours. En effet, elle vient tout droit de Russie, pays où le neuvième art n’a pas encore creusé son sillon. D’accord, elle est de 2004, mais elle reste un document car elle est une autobiographie en dessins et commence en Sibérie en 1971 pour s’achever en l’an 2000 dans un Moscou occidentalisé. Entre ces deux périodes, Nikolaï MASLOV va vivre une existence chaotique, faire de nombreux métiers, côtoyé la vodka. Ce sont surtout ses congénères qui en seront victimes : la vodka s’achète partout, pas cher, plus facilement que la nourriture, alors forcément… MASLOV va même être boulanger tout en gardant une certaine fascination pour la France (l’appel de la baguette ?). Doué en dessin il va rejoindre les beaux-arts à Moscou. La mort de son frère va le faire dériver salement, vodka encore et toujours. Puis hôpital psychiatrique, image d’une Russie qui devient folle par l’omniprésence d’un système politique corrompu. Côté visuel, tout est dessiné au crayon de papier, la bonne vieille mine qui donne un rendu assez crasseux, bien dans l’ambiance de ce que veut nous décrire le narrateur. L’influence de l’école des beaux-arts est évidente avec ces dessins en perspectives, parfois naïfs, mais les tronches des protagonistes semblent sorties d’un casting pour un film noir des années 1950, burinées et expressives. La conception de cette BD est à elle seule un roman : En 2000 Nikolaï MASLOV rend visite à un libraire français à Moscou, Emmanuel DURAND, lui montre ses dessins et lui dit qu’il a besoin d’un mécène pour trouver du temps à l’accomplissement de son projet. DURAND crache au bassinet et lui refile pas mal de pognon. La famille de MASLOV pourra bouffer pendant qu’il dessinera sans cesse. Cette « Jeunesse soviétique » est le premier album de MASLOV, une suite sortira en 2005, « Les fils d’octobre ». Ne vous arrêtez pas à la couverture, ratée selon moi (tout comme celle de la suite), l’intérieur de cette BD est mieux chiadé, moins caricatural, des grands espaces aux folies urbaines. Certes vous n’obtiendrez pas une Histoire de la Russie soviétique et post-soviétique, mais par des détails injectés dans des dessins et des dialogues, l’atmosphère suffira pour que l’imagination fasse le reste. Par ces tranches de vie, ces rencontres, ces tragédies, MASLOV n’a pas besoin de se transformer en documentaliste. Ce survol d’une centaine de pages, sans être un chef d’œuvre, reste poignant et bien ficelé, avec comme une envie subite d’investir dans la chapka. Pour la vodka, les personnages de la BD l’ont déjà fait, et m’est avis que les bouteilles sont vides. Cette BD a le grand mérite d’exister dans un pays où la place pour cette culture n’est pas encore cloisonnée. En tout cas, elle ne l’était pas en 2004, j’ignore ce qu’il en est aujourd’hui. En bonus, vous aurez droit à une longue préface très éclairante d’Emmanuel CARRÈRE que l’on peut considérer comme un spécialiste de la Russie. Si ce sont des spécialistes de vodka que vous cherchez, ne comptez pas sur moi pour balancer des noms, et pourtant j’en connais !

(Warren Bismuth)

jeudi 1 mars 2018

William G. TAPPLY « Dérive sanglante »


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Je reprends mon clavier plus rapidement que prévu pour vous parler d'un coup de cœur, offert par mon Lolo en 2017, et qui poireautait sur mon étagère en attendant le bon moment (parce que chaque livre a son bon moment pour être lu, parfois il doit patienter plusieurs années...).
William G. TAPPLY est un auteur américain (il part clairement avec un avantage me concernant) qui a été édité chez Gallmeister en 2007 et que je découvre avec le premier volume d'une trilogie, « Dérive sanglante ». Dès les premières pages, je suis happée par deux choses : d'une part les descriptions des paysages du Maine, de la pêche à la mouche et d'autre part, le personnage principal, Stoney Calhoun. Ce dernier trimballe avec lui, en plus de ses cannes à pêche, un mystérieux passé dont le puzzle se reconstruit au fil du récit (ne vous attendez pas à tout savoir de lui néanmoins, c'est distillé au compte gouttes). En plus d'être intriguant le personnage est profondément attachant grâce à son caractère que l'on devine jovial, teinté néanmoins de flash-back parfois carrément inquiétants (voire flippants).

L'histoire : Stoney Calhoun décide de partir vivre dans le Maine le jour où il se réveille à l'hôpital, amnésique, sourd d'une oreille et amoureux du Coca, attiré par une force qu'il n'explique pas, et s'établit dans la petite ville de Dublin. Il travaille dans une boutique de fournitures de pêches qui propose aussi de guider les amoureux des poissons dans des coins favorables à la pratique de leur passion. Le souci c'est qu'un de ses amis disparaît mystérieusement... Mû par ce je ne sais quoi qui vient sans doute de son passé, Calhoun décide de mener l'enquête à sa manière, épaulé par le shérif, par sa petite amie (qui elle aussi a une histoire particulière quoique très différente) et par son fidèle clébard, Ralph.

Mon avis : déjà livré dans les première lignes de ce rapport de lecture, à chaud, il est très positif. Après une entrée dans les publications de Gallmeister assez décevante (à venir dans un prochain article), je suis d'ores et déjà totalement emballée et pressée d'entamer le deuxième tome, « Casco Bay », pour suivre les aventures de Calhoun et en espérant avoir des réponses aux nombreuses questions soulevées par le premier tome. Notons aussi, avec un certain plaisir d'ailleurs, que l'auteur a donné du corps non seulement au personnage principal mais aussi aux personnages de second plan (je pense à Kate notamment) qui viennent enrichir la connaissance que l'on a de Calhoun. On sent une volonté aiguë, de la part de TAPPLY, de rendre l'atmosphère de cette petite ville aussi précisément que possible, aussi bien à travers les paysages qu'à travers ses habitants. Cela donne un ensemble très équilibré qui est très agréable à lire (et supposons donc, bien traduit).
(Emilia Sancti)