Les blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores de Moka et Fanny nous proposent pour ce mois un thème simple, souple et vaste : « Pile francophone ». Il s’agit pour chaque participant de sortir de sa pile un auteur de langue mais non de nationalité française. Pour Des Livres Rances, c’est du côté de la Suisse que le défi fut relevé.
C.F. RAMUZ (1878-1947) est un auteur prolifique suisse romand, considéré aujourd’hui comme le plus grand de l’Histoire littéraire de ce petit pays (et accessoirement adoubé par Jacques CHESSEX, autre pointure des lettres suisses). Son prénom est Charles Ferdinand (prénoms de ses deux frères morts avant sa naissance), mais il le rejette par la suite, le trouvant trop archiducal, pour en adopter les initiales de C.F. Auteur vaudois, il restitue dans une partie son œuvre la vie rurale de son canton ainsi que de ceux proches. Ici l’action se déroule dans le canton du Valais, jouxtant celui de Vaud. Maurice Farinet est un jeune homme de 28 ans (puis de 27 ans ensuite, une erreur de texte). Homme indépendant, il a profité des bons soins et conseils prodigués jadis par un certain monsieur Sage pour savoir où découvrir de l’or dans la région et comment le faire fructifier.
Farinet, fils de contrebandier (décédé) se lance dans la fausse monnaie, alliage d’or et d’argent. Arrêté, il est jugé puis emprisonné mais s’échappe. Dehors, il hume le paysage, la montagne, la liberté. En visite chez son frère, il est mal reçu et s’en retourne sur les chemins. Il part se réfugier dans la montagne, fuyant les gendarmes et le gouvernement qui le recherchent. Il s’organise afin de vivre simplement, avec le minimum. Les villageois qui tout d’abord ont de fréquentes nouvelles s’inquiètent de soudain ne plus en avoir. Farinet est un être respecté par les siens. D’une mentalité libre, il provoque l’envie. De plus, il doit être riche. Aussi, sa disparition suscite bien des échos dans la vallée valaisanne. Mais les autorités semblent avoir relâché leurs recherches, l’espoir demeure…
Écrit en 1932, « Farinet ou la fausse monnaie » est typique du style littéraire de RAMUZ, qui peut rebuter. Peu académique, entre rythme haché, parler rural et poésie, va-et-vient entre récit au présent et au passé dans les mêmes phrases, il déconcerte vivement (« Il riait dans sa barbe, sans trop rire, ni trop le montrer, pendant qu’il se tournait avec sa barbe vers le sergent »). RAMUZ fut sans conteste une influence majeure de GIONO (on peut y déceler aussi quelques pincées de ce qu’écrira PAGNOL plus tard), on y retrouve cet amour pour la description des paysages, de la nature et des gestes du quotidien du monde rural. Roman en partie romantique (avec une double histoire d’amour, de loin les pages les moins réussies du récit), il est surtout un hommage aux paysans, au travail de la terre, ainsi qu’un ode à la simplicité par son personnage central, ce Farinet, un brin anarchiste, débarrassé de toute contrainte matérielle.
Roman haletant, prenant soudainement une tournure politique, « Farinet ou la fausse monnaie » est un texte humaniste autant que tragique. RAMUZ a su doser l’intime dans le général, le politique dans le terroir. Car il ne peut être admis que l’auteur soit placé dans la catégorie d’écrivains du terroir. Une certaine philosophie de vie libertaire plane sur le récit, le style est lui-même en quelque sorte libertaire, s’étant affranchi des règles de la littérature.
Concernant ce Farinet, non seulement il a réellement existé, mais il fut localement connu vers 1880 pour sa création de fausse monnaie. RAMUZ lui rend ici hommage, le reprenant à son compte pour en faire un héros tragique, à la fois individualiste et partageur, une sorte de Robin des bois helvétique. Il peut rappeler par certains aspects « Le déserteur » de GIONO par son fond, même si les deux écrivains n’abordaient pas du tout leur travail avec le même style. Similarité dans la structure, dans l’atmosphère, mais pas sur la forme. Ce roman peut être une occasion rêvée de découvrir l’œuvre de RAMUZ, qui a publié également de nombreux poèmes ainsi que des essais. Il reste une figure majeure de la littérature en Suisse, même si son influence et jusqu’à son souvenir semblent avoir en partie avoir disparu dans les autres pays francophones.
(Warren
Bismuth)