Comme souvent
ça commence dans un petit bistrot de quartier au matin. Comme souvent les yeux
des consommateurs sont vissés sur un écran projetant des informations en
continu. Ici pas de consommatrices. Les femmes sont sans doute à s’occuper des
mômes, la société patriarcale a encore de beaux restes. Un client, peut-être un
peu amoché, commente haineusement les infos en question. En l’occurrence il se
satisfait du décès de David BOWIE. Et puis forcément ça dévie, les musulmans,
tous des terroristes qu’il faudrait tuer. On a tous été témoins de scènes
identiques, même si toutes ne finissent pas par une tournée de vodka
pamplemousse (à 8h13 très exactement précise l’auteur) comme c’est le cas ici.
Que faire
face à la bêtise, à la haine, à la peur de la différence, aux amalgames, aux
préjugés ? Éric PESSAN est à la fois écrivain et animateur d’ateliers
d’écriture et de lecture théâtrale dans des collèges et des lycées, qu’ils
soient généraux, professionnels ou techniques. Il vit au quotidien ces dérives
idéologiques encore plus que lexicales, il tente de les combattre, il perd
parfois espoir. Dans ce petit essai, il livre ses impressions, ses constats de
nombreuses années sur le terrain, dans le but d’inculquer une certaine morale, un certain respect, une certaine idée de la République.
PESSAN est un
idéaliste, il en est conscient. Il sait que pour certains élèves comme pour
l’ivrogne du bar il est trop tard, trop tard pour les former à une certaine
tolérance, à une ouverture d’esprit. Pour d’autres, il sait qu’il peut les
imprégner de nouvelles valeurs, c’est pourquoi il continue contre vents et marées
à faire apprendre, à éduquer, à inciter à la curiosité.
Il en entend
de sévères lorsqu’il sillonne la France afin de partager des idéaux, des
convictions. Et les pédés, et les gonzesses, et les arabes, et les juifs, etc.,
au mieux le désespérant racisme ordinaire, au pire la véritable haine pour
l’autre, la haine de sa différence, avec les préjugés à grands renforts de
trompettes, pitoyable chorégraphie d’idées (mal) reçues depuis la plus tendre
enfance. Alors PESSAN se questionne. Beaucoup. Est-ce la faute à la bêtise, à
l’éducation, à l’instruction, à la désinformation (les fake news arrivent au
galop) ? Un peu tout à la fois ? Il lui arrive de baisser les bras à
PESSAN, puis il se souvient de sa mission première, toute sacerdotale, il
repart au combat avec ses armes : les idées, un stylo, les échanges, c’est
pas plus compliqué que ça.
Et pourtant,
devant certaines réflexions, certaines situations, une envie de violence :
« Je sais que frapper est souvent la
conséquence d’une absence de vocabulaire. Frappent ceux qui n’ont pas les mots
pour dire. Sont violents ceux qui ne parviennent pas à clarifier des idées
confuses. Mais dans mon cas ? Est-il possible d’être violent parce que
l’on sait que les mots ne serviront à rien ? La violence parce que l’on
anticipe par avance sa défaite ? Cogner, taper, claquer et boxer puisque
je sens bien qu’aucun mot n’aura le pouvoir de changer ces hommes. Me battre
par désespoir ». Et puis non. Il remet les poings dans ses poches, les
gants aux vestiaires. Il faut échanger, partager.
Pas évident
quand l’on tente de faire changer les convictions de l’autre en face alors que,
lorsqu’il déroule les siennes (qui nous semblent méprisables), on se refuse à
lui laisser le champ libre pour développer sa haine. De là, comment lui
expliquer qu’il a tort et que par conséquent on a raison ? « On naît raciste ou on le devient ? On
naît bête ou on apprend à l’être ? Qu’est-ce qui rend bête ? La
prédestination ? La famille ? L’éducation ? Le milieu
social ? Le manque d’amour ? ». Beaucoup de questions
auxquelles l’auteur n’a pas ni la prétention ni la vanité de répondre. Il les
pose à plat, il trouve que c’est un bon début. La communication, le dialogue,
toujours, même si l’auteur a conscience des limites de son travail.
Éric PESSAN a
déjà une petite quarantaine de bouquins à son actif. Dans ces chroniques, il
fait partager (encore ce mot) ses idéaux, son combat d’une vie, une lutte à la
fois contre les discriminations, les préjugés quels qu’ils soient, mais aussi
pour la tolérance, l’acceptation de la différence. On ne peut que le féliciter,
d’autant que le bistrot du premier chapitre va resservir au dernier, comme un
godet de l’amitié en guise de conclusion synonyme d’espoir, une extase de la
connaissance. Sorti début 2019 aux Éditions L’Attente (de Bordeaux) que je
remercie chaleureusement au passage.
(Warren Bismuth)