Une BD décroissante ! On l’attendait,
Cédric TALING l’a faite ! Tout part du constat que la terre est devenue
invivable, polluée à l’extrême, absurde, et qu’il faudrait enfin changer nos
modes de vies, de consommation, ne plus agir en prédateurs mais respecter enfin
dame nature à qui l’on doit tant. Pourquoi ce titre ? Car l’ombre d’Henry
David THOREAU (1817-1862) plane à chaque instant. Son fantôme au nez trop long
vient s’immiscer dans les discussions, il intervient même, évoquant son
isolement volontaire dans la forêt de Walden, s’essayant à la simplicité
volontaire dans une cabane de bois, en faisant en quelque sorte le précurseur
des futurs mouvements écologistes radicaux.
Les protagonistes de cette BD en ont assez
de jouer le jeu des multinationales, de dévaster la terre sans scrupules, ils
rêvent d’une autre vie, axée sur le respect de la nature, l’autosuffisance, la
diminution drastique des déchets ménagers. Mais bien sûr, rien n’est facile. En
effet, l’éducation, les générations précédentes, tout a été fait pour
surconsommer, jeter, acheter, dépouiller la terre de ses matières premières
épuisables. Alors qu’il semble trop tard pour agir, une poignée d’écolos
tentent le grand saut, malgré les vieux réflexes consuméristes : travail
donc profusion dans la consommation, et par ricochets profusion dans la démence
asphyxiante de la pollution. Les mers et océans en font les frais. Et ces jours
d’orgies consommatrices comme le black Friday, engraissant sans vergogne les multinationales
et autres milliardaires.
Mais remontons dans le temps, avec THOREAU
invitant sur « ses » terres l’un des personnages clés de la BD. Oui,
il est possible de vivre autrement, THOREAU l’a montré dans le livre
« Walden ou la vie dans les bois » (régulièrement réédité), un texte
fondateur de la philosophie écologiste. Il a quand même de la gueule le site de
Walden, et il pourrait devenir une sacrée source d’inspiration. Par quoi
commencer ? Par la discussion, l’échange d’idées. Mais là aussi c’est compliqué.
Un exemple :
« -
Nan mais sans blague, on doit sortir du nucléaire.
-
Moi
j’trouve que les éoliennes, c’est pas mal.
-
Non,
c’est de la merde, les éoliennes, ça tue les oiseaux migrateurs et les
chauves-souris.
-
Les
centrales thermiques, ça pourrait être une solution.
-
Tu
déconnes ?! Elles marchent au fuel, au charbon et aux déchets, c’est
pourri !!
-
OK, donc
on fait quoi si y’a rien de bon ? On s’éclaire comment ?
-
Bah… À
la bougie !
-
Quoi ?
À la bougie ?!
-
Mais à
la bougie végétale alors ! Parce que la paraffine c’est du pétrole. Et la
cire d’abeille, c’est de l’exploitation animale.
-
Attends,
chouchou, ta bougie végétale, elle est pas faite à l’huile de palme au
moins ?
-
Merde !
On fait comment alors ? On s’éclaire à la cire d’oreilles ?!!
Bref, on n’a pas le cul sorti des ronces.
Les réflexions fusent, se contredisent, montrent la dépendance de l’humain pour
chaque petit geste du quotidien, la difficulté de penser autrement, d’agir
activement, en lien avec ses convictions, mais de manière radicale afin de
protéger l’environnement. Il va falloir passer par une remise en cause du
salariat, et bien sûr de l’argent roi, laisser tomber la bagnole, l’excès,
malgré les vieux démons, malgré tout ce qui a été mis en place pour une vie
capitaliste confortable, faite de biens matériels et guidée par le pognon, la
compétition et l’égoïsme.
Je vous laisse découvrir comment nos
personnages vont tenter l’expérience, se basant bien sûr sur celle de THOREAU.
Les dessins sont résolument modernes et colorés, comme pour bien insister sur
le fait que le XIXe siècle et l’écologie de THOREAU était en avance sur son
époque. Les dialogues sont très nombreux, fluides et argumentés. Les 120 pages
ne laissent pas de répit, elles sont denses, sensées, et les débats
contradictoires démontrent bien que nous sommes à une période charnière pour la
survie de la planète mais que les vieux démons semblent difficiles à étrangler.
La BD vient de sortir chez les excellents Rue de l’Échiquier encore fort
inspirés. Achetez-la et surtout faites-la tourner, les propositions n’y sont ni
utopiques ni rébarbatives, du très bon travail enfin respectueux de la Terre.
Cet album fait partie de ces chaînons qui commencent à poindre dans les actions
nouvelles, il ne faut pas laisser passer l’instant, il est crucial. Ceci est le
premier album de Cédric TALING, c’est un vrai coup de maître.
(Warren
Bismuth)