Ce mois-ci, les talentueuses rédactrices des blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores , par ailleurs organisatrices du challenge mensuel « Les Classiques c’est fantastique » resserrent leur étau et ne nous laisse aucune marge de manœuvre, puisque le thème imposé en janvier est tout simplement John STEINBECK. Mais cela ne m’effraie en rien puisque j’ai enfin l’occasion de lire et présenter cette rareté « Un américain à New York et à Paris ».
Cette information tout d’abord : je possédais ce livre quelque part dans ma pile à lire depuis de nombreuses années, sans l’avoir jamais parcouru, va savoir pourquoi… L’occasion vient enfin de se présenter. Je remarque que ce titre est une rareté, n’ayant été édité qu’en une seule occasion en France (en 1956), et même jamais réédité, même aux Etats-Unis depuis sa publication à la même période. Il n’apparaît même pas dans l’intégrale de l’œuvre de l’auteur. Va savoir pourquoi…
« Un américain à New York et à Paris » est une suite de chroniques commandées par des journaux de l’époque, notamment le Figaro Littéraire en France. 18 textes sont ici compilés. Il ne s’agit pas de fiction (encore que… J’y reviendrai), mais bien des observations et analyses d’un écrivain voyageur. STEINBECK est alors au faîte de sa gloire.
Dans les premiers textes l’auteur se souvient de sa première visite à la grosse Pomme en 1925, découvrant un New York qui lui inspire diverses réflexions. « Pendant toute cette période, jamais je ne regardai ni ne connus comme un être humain un seul New-Yorkais. Pour moi, ils n’étaient tous que comme les figurants de mon intense tragédie personnelle ». Il y retournera, ici nous perdons totalement contact avec l’espace temps, plus aucune date n’est notifiée.
STEINBECK (1902-1968) évoque brièvement et sans nostalgie son métier dans le bâtiment puis ses débuts difficiles dans le journalisme. Tout comme il revient sur l’époque du début de sa notoriété, qu’il vit alors avec peur et angoisse plutôt que comme un privilège.
Puis STEINBECK, se rappelant sans doute que cette notoriété est en partie due à son chef d’oeuvre « Les raisins de la colère », ôte le masque et se fait volontiers rebelle et adversaire du monde politique, les prochaines élections présidentielles (celles de 1956, où EISENHOWER l’emportera) sont en vue et la campagne lancée. Ici se placent les plus intéressantes pages du volume, où l’on retrouve un STEINBECK engagé et direct, sans illusions sur les discours politiques. « D’être contre le communisme est devenu un réflexe plus qu’une conviction. D’être contre le crime et la maladie n’est pas suffisant. Il [l’homme politique nddlr] part en quête de corruption dans le gouvernement. Ce faisant, il se place volontairement au cœur d’un sérieux embouteillage. Car tout candidat est en quête de corruption dans le gouvernement. Et il faut qu’il se désenchevêtre très habillement de l’embouteillage parce que ce qui est appelé corruption dans le gouvernement par un candidat est appelé patronage une fois qu’il est élu ».
STEINBECK découvre Paris, il est séduit plus que de raison. En ces pages, il peut paraître un peu trop dithyrambique en idéalisant à ce point la capitale française. Cependant, la brosse à reluire ne représente qu’un très court extrait du recueil, après un arrêt élogieux sur l’Île de la Cité.
L’auteur se plaît à observer les pêcheurs français, il en dresse un portrait somme toute pas très différent de celui des pêcheurs d’un peu partout. Ce recueil peut être vu comme un fourre-tout où STEINBECK couche ses pensées et ses observations sur papier. Petit aparté en évoquant la figure de Jeanne D’ARC.
En tant qu’homme public, STEINBECK se plie aux invitations d’interviews en France, et c’est lors de l’une d'elles que subitement il désire être prêt à changer, suite à la remarque d’une journaliste qui voit la littérature États-Unienne comme un art axé sur le passé, jamais les écrivains d’alors aux États-Unis ne semblent se soucier du présent, encore moins du futur. STEINBECK promet qu’il va tenter d’améliorer ce point. « Pour vérifier mon propre étonnement, je posai la question à des éditeurs et à des agents littéraires américains, et ils me dirent qu’elle correspondait à un état de fait, qui, d’ailleurs, les préoccupait. Les physiciens, les mathématiciens, les biologistes traitent des temps que nous vivons ; quelques économistes en discutent ; mais aucun roman n’en parle, à l’exception des contes qui peignent en rose la petite fée du logis ou des microcosmes névrosés qui paraissent dans des revues… ».
Petit passage par le sentiment dégagé par le tourisme, en tout cas selon STEINBECK, qui contre toute attente, se met à gloser sur le touriste anglais, accumulant les clichés que pourtant il dénonce dans cet ouvrage. Il est clair qu’aujourd’hui ces quelques pages seraient taxées de racistes.
Et puis, dans ces chroniques terre-à-terre, un conte fantastique, une fiction légère en même temps que gothique, baroque. Son fils mâchant un bubble-gum, quand tout à coup la mâche prend vie et se fait insistante, envahissante. Ce chapitre est un OVNI dans ce livre, et il rappelle que STEINBECK est avant tout un auteur de fictions, à l’imagination débordante. Il pourrait être extrait du présent recueil pour vivre sa petite vie de nouvelle ou fable fantastique.
Il est intéressant de s’interroger sur le destin de ce livre. Pourquoi n’a-t-il jamais été réédité, y compris dans son pays d’origine ? Le public conclut parfois hâtivement qu’un ouvrage laissé à l’abandon et jamais republié est un ouvrage raté. Pourtant ici il n’en est rien. Certes, il n’est pas précisément taillé comme un chef d’œuvre, il est plutôt une déambulation urbaine, une suite de pensées. Mais il contient ses fulgurances, comme le point de vue de l’auteur sur les politiciens, ou encore sa prise de conscience suite à l’intervention d’une journaliste, sans oublier ce petit conte cruel. C’est un bon STEINBECK, pas le meilleur mais loin d’être le pire (j’ai souvenir de lointaines lectures où il m’a été difficile d’achever certains romans de l’auteur, pénibles, conservateurs, voire un brin mystiques, en tout cas agaçants, irritants). Bien sûr il n’est ni « Les raisins de la colère », ni « À l’est d’Eden », ni « Des souris et des hommes », ni le facétieux et magique « Tortilla flat ». Et puisque nous en sommes aux références concernant l’œuvre de STEINBECK, je recommande le roman « Nuis noires » sorti à l’origine par les Editions de Minuit clandestines sous l’occupation allemande en France, mais aussi « Rue de la Sardine », une sorte de suite de « Tortilla flat ». Mais j’ai aussi ce souvenir assez profond de cette pourtant ancienne lecture des « Naufragés de l’autocar », un roman méconnu, original et convainquant que je me suis depuis fort longtemps promis de relire un jour. D’ailleurs la période des relectures est peut-être enfin en vue. Qui dit que « Les naufragés de l’autocar » ne fera pas une apparition sur le blog ?
(Warren
Bismuth)