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dimanche 1 mai 2022

René FRÉGNI « Minuit dans la ville des songes »

 


Un nouveau René FRÉGNI est toujours attendu avec impatience. Le bougre voulait raccrocher le stylo. Et puis, devant l’insistance de certains proches (gloire à eux !) il a remis le couvert. Et le résultat est à la hauteur.

Plus que jamais, FRÉGNI se met en scène, autobiographise. De sa naissance en 1947 à la parution de son premier livre, il se confie, revient sur un parcours semé d’embûches, qui n’est pas précisément celui d’un enfant de cœur. « Je suis né déserteur ». Les formules frappent. Sa mère lui lisait les classiques français quand il était minot, toujours les mêmes, il en a retiré un amour profond pour la littérature et les mots.

Une enfance sans Dieu, mais René découvre tôt la petite délinquance. Vers 12 ans à Marseille où il est né. Il se lie alors avec des caïds, pas les moins furieux ni les plus nuancés. Il quitte l’école à 16 ans, sans rien, même pas une thune pour voir venir, fasciné par le gangster Lucky LUCIANO. « Plus tard, je compris que les menteurs et mythomanes étaient des gens qui ne supportaient pas la réalité de leur vie ».

Avec tendresse et pudeur, mais avec révolte et passion, FRÉGNI se dévoile. Comme dans la plupart de ses ouvrages, mais bien plus cette fois-ci, comme s’il devait se débarrasser d’un poids trop lourd alors que les 75 ans vont sonner au compteur. Jeune, il fréquente les chantiers (où il travaille) et les prostituées. Il bourlingue en Angleterre puis en Espagne avant d’effectuer son service militaire, tournant de sa vie. Il passe une partie de ses obligations militaires au cachot, puis fait le mur avec un ami, un coriace lui aussi. Ils chipent une DS, taillent la route jusqu’au sud natal, reviennent à la caserne après six jours, juste avant que leur disparition ne soit officialisée. « Je décidai de ne jamais ramper ».

Comme il le dit parfois, mais en précisant l’évolution de la signification du terme depuis sa lointaine jeunesse, il se « radicalise ». Fasciné par le Che, la guérilla, CASTRO. S’enrage contre la guerre au Viêt-Nam. Et puis l’accident qui change une vie. Un truc stupide. Le lave-vaisselle dont il était chargé à l’armée explose. FRÉGNI risque gros. Il déserte.

Dans ce récit d’une vie mouvementée apparaît souvent la silhouette de la mère, perpétuellement inquiète pour son rejeton qui ne semble pas avoir pris le droit chemin. En tant que déserteur, René est recherché. Il s’enfuit en Corse, c’est là que les grands textes littéraires le happent. S’il avait déjà découvert GIONO dès l’armée, il subit de plein fouet le « Crime et châtiment » de DOSTOÏEVSKI. Il reprend la route : la Grèce où il découvre « L’étranger » de CAMUS, la Turquie (c’est à Istanbul qu’il lit le marquis de SADE). De trafic de shit en revente de cuivre, FRÉGNI s’enfonce dans le banditisme.

Il se planque du côté de Manosque, la ville de son idole GIONO. Avec ce dernier a lieu un rendez-vous manqué. S’il aperçoit la maison de l’écrivain, il n’ose sauter le pas, « Jamais je n’aurais osé déranger un tel homme ». GIONO décède peu après… De Manosque, étape à Aix chez sa sœur étudiante, boulot dans un hôpital psychiatrique où il apprend là aussi la Vie. Au moment de basculer fonctionnaire, son dossier militaire remonte, René n’est pas titularisé. Il est incarcéré. Cette aventure, comme il la raconte, avec ses mots, ses formules, la pureté de son écriture, il la renvoie telle une anecdote kafkaïenne, ce qu’elle est par ailleurs.

Subitement, FRÉGNI, si jeune, si plein de vie, s’épuise. Il part en vacances. Il ne reviendra jamais, « Libre comme celui qui ne possède rien ». Il reste en contact avec les prisons comme d’autres ne quittent jamais vraiment l’école. En 1987 à 40 ans tout juste et après nombres d’échecs, il signe pour la parution de son premier roman. Ce sera « Les chemins noirs ». Une vingtaine ont suivi depuis.

Dans son parcours comme dans ses actes de rébellion, FRÉGNI n’est pas sans rappeler Erri de LUCA. Tous deux ont fait de la prison, ont milité à leur manière, se donnant entièrement et sans se soucier du lendemain, tous deux ont troqué les armes contre la plume, tous deux avec un style hors du commun. Ces écrivains sont rares, ils en deviennent de fait incontournables et n’ont pas dit leur dernier mot, semblant avoir oublié la vieillesse et l’usure. « Minuit dans la ville des songes » est un très beau livre, il se déguste lentement, nous devons prendre bien soin de peser chaque mot, chaque syllabe afin de ne rien laisser s’évaporer. Chaque livre de FRÉGNI est un voyage à part entière, pour lequel on prend un nouveau moyen de transport pour une destination inconnue.

 (Warren Bismuth)

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