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samedi 26 décembre 2020

Présentation de la collection Poèmes à planter des éditions Le Ver à Soie

 


Les Poèmes à planter des éditions Le Ver à Soie situées dans les Yvelines sont une collection fort singulière. Ce sont de petits livres renfermant chacun un court poème dont la plupart sont tombés dans le domaine public. Mais les pages - à découper – en papier mûrier peuvent se planter dans le sol ! En effet, elles gardent prisonnières en leurs fibres de petites graines ne demandant qu’à éclore. Ce « papier à ensemencer » est fabriqué à partir de graines qui pourront germer puis fleurir ! Le processus à suivre est le suivant :

 

1/ Apprenez par coeur ou écrivez votre poème
2/ Posez-le sur de la terre ou dans un pot
3/ Recouvrez-le d'une fine couche de terre
4/ Arrosez tous les jours en récitant
5/ Des pousses de mots apparaissent
6/ Vos maux se muent en fleurs.

 

Cinq sortes de graines sont utilisées, mais une seule en une centaine de semences pour chaque œuvre : coquelicots, carottes, myosotis, fleurs des champs ou salades variées.

 

VERLAINE, BAUDELAIRE, LAMARTINE, RIMBAUD, HUGO, du BELLAY sont les auteurs classiques choisis, mais sont également présents des auteurs actuels : Dominique BARREAU, Clara Rose DELANGE, Jennifer LAVALLÉ, Gilles WALUSINSKI ou encore Juliette KEATING.

 

Il est possible de créer son propre poème en commandant chez l’éditrice le papier de la graine que l’on désire faire pousser. À ce jour, une quinzaine de titres sont disponibles en plus des versions à créer soi-même.

 


À la même adresse sont également disponibles des petits livres de recettes à planter. L’éditrice Virginie SYMANIEC déborde d’imagination pour proposer des formats originaux où la lecture est le socle essentiel. Le Ver à Soie est une maison d’édition engagée et résolument indépendante. D’autres collections, plus « classiques », sont disponibles. Chaque livre est un petit bijou esthétique, et le fond toujours très pertinent. Le premier livre présenté par Des Livres Rances en 2021 sera un récit de cette maison d’édition (un petit bijou soit dit en passant), c’est dire si je prends les choses au sérieux !

 

Un livre ne doit pas uniquement dégager une activité passive. Ces poèmes à planter servent aussi à embellir votre environnement sans le polluer, ces œuvres (le terme « objet » me déplaît beaucoup dans le cas présent) sont d’une beauté incontestable. L’originalité se lie au geste environnemental et au militantisme, tout en pouvant se délecter de poésie, difficile de trouver meilleure recette.

 

Le Ver à Soie publie des romans, récits de vie, livres destinés à la jeunesse, tous guidés par un esthétisme à couper le souffle. Allez voir le catalogue, il est varié mais jamais détaché de la lutte pour la culture, la littérature et l’indépendance. Vous aurez peut-être la chance de croiser Virginie SYMANIEC sous son barnum rouge au gré de vos déplacements sur les marchés. Car oui, en plus elle avale les kilomètres pour présenter et vendre elle-même ses publications. À ce point-là ce n’est plus un métier mais un sacerdoce !

 

https://www.leverasoie.com/

 

(Warren Bismuth)

jeudi 24 décembre 2020

LES SECRETS DE DES LIVRES RANCES (2) : Pourquoi le noir en couleur de fond ?

 


Si cette pas si lointaine époque bénie des fanzines papier fut remise en question par l’arrivée de la Toile, leur légitimité fut aussi discutée par l’impact environnemental qu’ils représentaient. Mais choisir l’option numérique ne nous prévient nullement d’une pollution considérable. Internet est un pollueur privilégié, un monstre à plus de deux têtes, même si nous préférons le voir d’un bon œil grâce aux nombreux services qu’il nous rend, et que je ne pourrais ici sous-estimer.

Somme toute, mes questionnements furent simples voire simplistes à la création du présent blog : développer un fanzine à petit tirage en version papier, avec un nombre précis d’exemplaires à définir (et si l’excédent d’invendus est trop important, penser à l’option pilon, donc gâchis plus ou moins volumineux). Rajouter les enveloppes pour les envois par La Poste, les timbres, et bien sûr les transports (polluants) pour que le fanzine parvienne à son destinataire. J’ai beaucoup utilisé cette méthode par le passé, avant l’avènement d’Internet, mais déjà avec ce cas de conscience sur l’impact écologique de ma démarche. Je n’étais pas fort chaud pour réitérer l’expérience. D’autant que lors du tirage, la plupart des chroniques auraient été écrites longtemps, voire très (trop ?) longtemps avant la publication. Handicap certain lorsque l’on présente des nouveautés.

Une solution de facilité s’offrait à moi : par le biais d’Internet, il est possible d’ouvrir un blog gratuit sans avoir à se soucier du nombre d’exemplaires à prévoir pour le lectorat. La mise en page est certes bien plus limitée que pour une version papier pour les néophytes dans mon genre, mais pour présenter des chroniques, nul besoin de briller en infographie. La sobriété messieurs dames !

Une fois le projet lancé, nouveau cas de conscience : la pollution par les clics, par les visites sur site, par Internet, encore ! Partager une passion avec un lectorat potentiel et inconnu laisse forcément une trace plus ou moins profonde – quoique invisible - sur notre environnement. Alors, voilà, après quelques clics (pollueurs) sur la toile, j’appris que plus un écran est sombre, moins il dépense d’énergie. CQFD, mais-ça-va-encore-mieux-en-l’écrivant. Oh ! La différence, si elle n’est pas révolutionnaire, existe, c’est avéré, donc si je peux aider un minimum, non pas à protéger la planète mais bien à seulement moins la détruire, il me paraît essentiel d’explorer les possibilités s’offrant à moi.

 

Le moyen le plus radical (n’exagérons rien, je ne suis pas en train d’effectuer un immense geste politique ou écologique dans ma démarche) m’a semblé le mode sombre, c’est-à-dire le fond noir pour l’écran. Il est possible de le faire basculer sur certains réseaux sociaux (de plus en plus), sa fonction sur ordinateurs ou téléphones se développe. Pourquoi ne pas la mettre en pratique pour DES LIVRES RANCES ? Ce fut immédiatement le cas, dès le premier jour. J’aurais pu rajouter des fonds mouchetés ou avec des photos, des petites guirlandes, des fleurs, des bougies ou je ne sais quoi de scintillant, mais j’ai préféré que le blog soit le moins énergivore possible, c’est-à-dire sans photos ni images inutiles, mais seulement mis en valeur visuellement par les couvertures des ouvrages chroniqués. Pour le reste : noir. Et bien sûr blanc pour l’écriture, qui doit rester lisible (j’ai tenté noir sur noir, résultat peu convainquant).

Bien entendu des ronchons zé ronchonnes m’ont alerté pour signifier que le blog fait mal aux yeux, est très difficile à lire. Réponse : comment moins de lumière artificielle peut-elle décemment augmenter la douleur oculaire ? Moins cette lueur est vive, violente, plus les yeux sont préservés (oui, je pense à vous, mais desserrez-moi par pitié cette auréole). Quant au fait qu’un blanc sur noir serait plus difficile à lire qu’un noir sur blanc, c’est là une question d’habitude et de subjectivité toute humaine. J’ai pour ma part mis mes écrans en mode sombre partout où il m’a été possible de le faire, et je suis persuadé, non pas d’avoir préservé mes yeux, mais de leur avoir offert une durée de vie un peu plus longue sans trop de dégâts.

Détruire moins vite, que ce soit la planète, ses yeux, ou ceux de son lectorat me paraît être une évidence (et merci pour l’inénarrable jeu de mots). Quant à la minorité qui serait encore choquée par cette pratique peu conventionnelle (elle tient à le devenir, rassurez-vous), je suis persuadé qu’il existe une possibilité d’enregistrer une chronique et de la lire ensuite en noir sur blanc, certes en affaiblissant plus vite vos yeux, mais ceci n’est plus de mon ressort, c’est aussi cela l’autonomie (on me chuchote dans l’oreillette que si l’on a basculé tout son ordinateur en mode sombre, la lecture du blog s’effectue dans ce cas en noir sur blanc, mais je n’y comprends pas grand-chose) ! Et personnellement, j’avoue que la couleur noire, si souvent décriée, m’apparaît comme la plus belle de la palette des couleurs, ne serait-ce que par ce qu’elle représente dans l’imaginaire collectif et le mien en particulier.

(Warren Bismuth)

samedi 19 décembre 2020

Coups de cœur Des Livres Rances 2020

 


Sans vouloir lourdement insister ni jouer les rabat-joie, l’année 2020 fut tout de même assez spéciale à bien des égards. Le monde littéraire n’y a pas échappé : des sorties retardées, ajournées, annulées, que sais-je encore ? Néanmoins, voici un petit top 10 des coups de cœur Des Livres Rances 2020, c’est-à-dire uniquement des ouvrages sortis en cette année maudite et lus plus ou moins dans la foulée. En voici la sélection, par ordre d’apparition sur le calendrier des chroniques. Chaque titre est suivi par le lien qui renvoie à la chronique.

 

***** Coups de cœur 2020 *****

 

*****

Luc BLANVILLAIN « Le répondeur » Quidam éditeur


Luc BLANVILLAIN



Jean ECHENOZ «  Vie de Gérard Fulmard » Editions de Minuit

Jean ECHENOZ

 


Isabelle FLATEN «  Adelphe » Editions Le Nouvel Attila

Isabelle FLATEN


Hanna KRASNAPIORKA « Lettres de ma mémoire » Editions Le Ver à Soie

Hanna KRASNAPIORKA


Genco ERKAL « Sivas 93 » Editions L’espace d’un Instant

Genco ERKAL


Corinne MOREL DARLEUX « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce » Editions Libertalia

Corinne MOREL DARLEUX


Christian CHAVASSIEUX « Noir canicule » Editions Phébus

Christian CHAVASSIEUX


Erri DE LUCA « Impossible » Editions GALLIMARD

Erri DE LUCA


Laurent MAUVIGNIER « Histoires de la nuit » Editions de Minuit

Laurent MAUVIGNIER


Adeline BALDACCHINO & Edouard JOURDAIN « Le testament du banquier anarchiste » Editions Libertalia

 

Adeline BALDACCHINO & Edouard JOURDAIN





mardi 15 décembre 2020

Sophie TOLSTOÏ « À qui la faute ? »


 

Ce bref roman pourrait paraître presque banal mais, de par sa simple genèse, est très loin de l’être. En effet, en 1889 en Russie commence à être diffusée « La sonate à Kreutzer » (elle paraîtra officiellement en 1891), longue nouvelle de Léon TOLSTOÏ dans laquelle se distinguent les traits de sa propre femme, Sophie, imaginée en amoureuse éperdue et adultère de son professeur de piano. Alors que le calme ne règne déjà pas dans le couple TOLSTOÏ, Sophie est ulcérée par ce texte et choisit les armes de son mari, l’écriture, pour répliquer.

Est-il nécessaire d’avoir lu « La sonate à Kreutzer » pour s’engager dans « À qui la faute ? » ? Sans doute car, même si l’ouvrage de Sophie TOLSTOÏ est indépendant de celui de son mari, elle s’y appuie afin de tisser sa propre trame. Mieux : il est une réponse sans ambiguïté. Une jeune femme, Anna, tombe amoureuse du prince Prozorski, de quelques années son aîné. De son côté Prozorski, loin d’être indifférent aux charmes d’Anna, s’ingénie à la séduire tant et plus. Ce qui ressemble à un roman à la Jane AUSTEN s’assombrit brutalement lorsque Anna apprend que son désormais époux, qui fut un coureur de jupons, continue à faire risette à de jeunes femmes.

« Si l’on considère le mariage comme on le fait d’ordinaire, il vaut mieux ne pas se marier du tout. Il faut de l’amour en premier lieu, et que cet amour soit au-dessus des choses terrestres, qu’il tende vers l’idéal… ».

Le cœur d’Anna, empreint par ailleurs de forte religiosité, se met à battre pour un certain Bekhmetiev, lui-même fort attiré par la jeune femme. Ils se rencontrent régulièrement, le plus souvent en présence du prince, lui-même ami de Bekhmetiev. Quand soudain, ce prince voit rouge, devient jaloux, de plus en plus insistant dans ses allusions à la relation Anna/Bekhmetiev, il prononce des paroles humiliantes pour Anna, alors simplement en admiration devant Bekhmetiev, mais pas du tout sa maîtresse.

Depuis sa rencontre avec cet homme, Anna est métamorphosée, reçoit, sort beaucoup, se lie d’amitié avec la bonne société russe. Le prince devient possessif et agressif. Il souhaite sa femme soumise, toute à lui, sans distinction.

« Le prince observait avec incrédulité et un certain agacement l’état d’Anna et constatait que tout ce que lui avait dessiné son imagination perverse quand il songeait à sa lune de miel avec une jolie épouse de dix-huit printemps n’avait abouti à rien, hormis l’ennui ; ennui, déception et une jeune mariée en plein désarroi ».

Il faut bien lire entre les lignes car, dans ce roman où le plus important n’est que suggéré, c’est son propre mari que Sophie met en scène. Le prince Prozorski est en fait le comte TOLSTOÏ, et les reproches que peut annoter sa femme sont nombreux et féroces, notamment la gestion du couple par TOLSTOÏ, plus intéressé par ses écrits, son domaine et ses amis que par sa femme. Cette femme oubliée, abandonnée, qui fut éblouie par son professeur de piano. TOLSTOÏ verra le vice et le désir charnel dans ce qui sera vraisemblablement un amour platonique, pur. Dès lors, les relations au sein du couple TOLSTOÏ, tout comme chez le couple Prozorski, vont se tendre jusqu’à devenir irréversibles.

« La sonate à Kreutzer » fut en quelque sorte le déclencheur de la dégradation relationnelle pourtant déjà tumultueuse entre Sophie et Léon TOLSTOÏ. Sophie voit en son mari un être misogyne, irrespectueux pour la gente féminine. Jadis obsédé d’ailleurs par les femmes (comme son double Prozorski), il ne les voit souvent que comme des choses à séduire. Et parallèlement imagine le diable en Sophie dans ses contacts aux hommes. C’en est trop pour celle-ci qui, vivant depuis des décennies à l’ombre des écrits de son mari, décide de prendre la plume car « J’ai moi-même senti dans mon cœur que ce récit était dirigé contre moi, il m’a immédiatement occasionné une blessure, m’a humiliée à la face du monde entier et a détruit le dernier amour entre nous ».

La stature de TOLSTOÏ écrase son ménage, jusqu’aux écrits bien entendu. « À qui la faute ? » ne sera publié… qu’en 1994, soit 84 ans après la mort de Léon TOLSTOÏ, et 75 ans après celle de Sophie. Il est pourtant à lire, au même titre que l’œuvre du grand Léon. Il en fait même partie intégrante puisqu’il en est une réplique aux couleurs inversées. Par ailleurs, l’écriture de Sophie est très agréable, elle ne possède pas la puissance de celle de son mari, mais détient une part toute féminine et délicate absente chez lui.

Puisque nous sommes dans la littérature russe, inutile de dire que le présent roman va très mal se terminer. Il est en tout cas une vraie curiosité, il est même un chaînon de cette grande littérature russe. Cependant, il a malheureusement du mal à exister seul et, dans la version présentée ici, il est encore suivi par « La sonate à Kreutzer », c’est dire si le poids de TOLSTOÏ continue aujourd’hui à écraser Sophie et à la rendre invisible ou presque, et la mémoire de sa femme, ses points de vue et ses révoltes, auront du mal à percer sous le grand écrivain. Pourtant ce roman est convaincant et très soigné par sa chute, où Sophie montre qu’elle peut faire jeu égal avec son Léon, y compris pour les coups bas.

(Warren Bismuth)

dimanche 13 décembre 2020

Elise FONTENAILLE « Kill the Indian in the child »

 


C’est une histoire horrible mais vraie que nous conte Élise FONTENAILLE dans ce court roman destiné à la jeunesse, mais les adultes y apprendront également un moment de l’histoire fort peu reluisant.

Dans les années 60, un jeune indien ojibwé de 11 ans, Mukwa, est envoyé dans un pensionnat religieux du nom de Sainte-Cécilia. Là-bas, il perd son prénom pour devenir un numéro, le quinze. Il doit oublier sa langue maternelle pour ne plus s’exprimer qu’en anglais. Tout de suite, les coups, les intimidations, les humiliations pleuvent, la nourriture est infecte, tous les élèves doivent assister à sept messes par jour. Dans ce récit, la période du déroulement de l’action est notifiée par des indices : « Un homme venait de marcher sur la Lune pour la première fois, et nous, nous jetions au feu des os de bêtes sauvages pour y lier notre avenir ».

Dans cette institution, l’ordre religieux est strict, autoritaire et surtout démoniaque. La violence psychologique est profonde et quotidienne, avec même la présence des prêtres pédophiles sûrs de leur bon droit. Une abomination. Ces écoles ont été jusqu’à une centaine au Canada, avec comme mot d’ordre « Kill the Indian in the child ». Les prendre dès le berceau ou presque pour les lobotomiser en quelque sorte. Je n’exagère pas : le héros malheureux de ce roman historique sera victime du supplice de la chaise électrique. À 11 ans oui. Détruire sciemment un individu et par là même tout un peuple, voilà le but.

Des évasions vont se préparer, se concrétiser. Le corps froid de Mukwa sera retrouvé en partie recouvert par la neige, suite à la fuite du jeune homme. Ce roman est basé sur une histoire vraie, sordide et nauséeuse. Les faits se sont passés en l’occurrence dans les années 1960, mais plus globalement de tels sévices eurent lieu dans le pays sur plusieurs décennies. Le dernier établissement ne sera fermé qu’en 1996.

Élise FONTENAILLE fournit encore une fois un remarquable travail de mémoire pour conscientiser la jeunesse. Sur les abus dont furent victimes des jeunes gens. La mission était, comme l’indiquait le slogan, de tuer l’indien qui était dans l’enfant. Les moyens mis en œuvre furent au-delà du répugnant. Mais la conscience de Mukwa, celle qui survit à ces atrocités nous met en garde sur la possibilité de voire renaître de telles saloperies. Ce récit est dur car violent envers les « autochtones », ceux que l’on a parqués dans des réserves, mais ce n’était pas assez, il fallait les humilier un peu plus, leur faire perdre leur dignité.

Bref roman sorti en 2017 aux éditions Oskar, il montre, si toutefois vous en doutiez encore, que la barbarie envers ceux que l’on appelle injustement les indiens a perduré bien après le début du XXe siècle. C’est un livre pour l’éveil des consciences, et par ce biais-là il se doit d’être lu par notre jeunesse.

(Warren Bismuth)

mardi 8 décembre 2020

Christian GAILLY « L’incident »

 


Une dame, Marguerite Muir, se promène avec son sac à main, quoi de plus normal. Mais on le lui vole. Le portefeuille est retrouvé dans un parking par Georges Palet. Qui prévient la police. Qui elle prévient Marguerite. Qui prend contact avec Georges. On pourrait dire « voilà c’est tout ». Sauf que non. Marguerite va vouloir se rapprocher de Georges, pour qui c’est niet, enfin de moins de moins, puis plus du tout. Georges va crever les pneus de l’automobile de Marguerite. Les quatre, comme ça pour voir. Et la femme de Georges encourage ce dernier à devenir ami avec Marguerite.

Marguerite n’est pas garagiste mais dentiste. Elle aime aussi s’envoyer en l’air. En avion. Parce que le vrai sujet du roman est l’aviation. En tout cas c’est le sujet qui lie les protagonistes. Qui tous bien sûr s’aiment d’amour et d’eau fraîche. « On pourrait se tutoyer, depuis le temps, dit Jean-Mi. Je préfère pas, dit Georges, si ça vous gêne pas, ça vous gêne ? Oh non, non, dit Jean-Mi, je disais ça comme ça. Se tutoyer pour se dire quoi ? Reprit Georges. Il regardait le Jean-Mi avec des yeux, un air, fallait voir. Non mais c’est vrai, dit-il, pour se dire quoi ? On est très bien comme ça, non ? Vous ne trouvez pas ? Allez, buvez quelque chose avec moi ». Voilà voilà.

Ce livre peut être jubilatoire comme énervant, et les mêmes raisons sont valables pour les deux camps : digressions, humour absurde, phrases ou pensées stoppées en vol (elles aussi), d’un détail l’auteur en fait une page, parfois plus. De quiproquos en incompréhensions, derrière un climat pourtant orageux voire dramatique, l’écriture est légère et subtile, déconcertante et franchement pétillante. Vaudeville improbable où Samuel BECKETT croiserait dans un aéroport un Pierre DESPROGES qui aurait égaré sa boussole dans la maison de Jean ECHENOZ. Vous voyez le genre…

Chacun tire la couverture à soi. « Je suis calée, dit Muir. Je vais vous pousser, dit l’homme. Vous ne craignez pas pour le pare-choc ? Dit Muir. Je changerai de voiture, dit l’homme. Il avait les moyens. Je pensais au mien, dit Muir. Voici ma carte, dit l’homme, puis la poussa vers la sortie ».

Attention, je ne dis pas qu’il faille se coltiner la quinzaine de romans de Christian GAILLY (1943-2013) parus aux éditions de Minuit, m’est avis que ça pourrait devenir lassant, quoique je n’ai pas tenté l’expérience. Mais cet « Incident » de 1996 me semble le moyen parfait pour découvrir son univers singulier. Texte assez court et entraînant, il est vitaminé et drôlissime. Après, vous en faites ce que vous voulez, mais il y a fort à parier que vous risquiez de passer un bon moment de lecture. Si vous préférez les images, le roman a été adapté au cinéma par Alain RESNAY sous le titre « Les herbes folles ».

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

samedi 5 décembre 2020

Louise MICHEL « À mes frères »

 


À quelques mois de la commémoration des 150 ans de la Commune de Paris, une figure de cette lutte s’imposait pour nous y préparer. En 2019, les éditions Libertalia ont fait paraître un excellent recueil d’écrits – mais pas seulement - de l’immense Louise MICHEL, militante anarchiste infatigable et actrice majeure sur les barricades de la Commune. « La proclamation de la Commune fut splendide ; ce n’était pas la fête du pouvoir, mais la pompe du sacrifice : on sentait les élus prêts pour la mort ».

À travers un choix d’articles de journaux, poèmes, extraits de procès (où elle demandera la mort), conférences, lettres, extraits de son livre de mémoires, tracts, textes parfois inédits, ce recueil présenté par Éric FOURNIER tend à faire connaître plus en profondeur la femme publique que fut Louise MICHEL.

Échelonnés de 1861 à la fin de la vie de la combattante (décédée en janvier 1905), ces textes sont autant de coups de poings, de concrétisations de la lutte, de la dissidence. Féministe, femme de cœur, parfois outrancière, Louise MICHEL est tout cela en une seule dame déterminée. Ce recueil est aussi un moyen de dresser, par les propres témoignages de Louise MICHEL, une sorte de biographie.

De sa participation active à la Commune de Paris, en passant par la déportation (aucun texte de cette période ne figure dans le présent livre), ses conférences, ses points de vue sur le pouvoir, l’anarchisme, l’internationalisme, la politique, la peine de mort, la science et la technologie alors en pleins balbutiements (ces thèmes seront pour elle une véritable passion), mais aussi ses propres traits de personnalité, nombreux sont les indices sur le personnage.

L’un des sommets du livre se situe en 1888, lorsque Pierre LUCAS, un fervent catholique, tire sur la militante avec une arme à feu en pleine conférence (la balle ne sera jamais extraite de la tête de Louise). Loin de le condamner, Louise MICHEL l’aide, lui et sa famille, en vue du procès et réclame son acquittement.

Le style d’écriture de Louise MICHEL est rageur et même puissant, parfois exagéré, mais toujours issu du cœur. Une femme entière, débordant de convictions, se battant sans compter pour la justice et contre les puissants. Elle préfère le terme « Respublica » à celui de République qu’elle juge galvaudé par les élites mêmes qui le définissent. Ses luttes sont aussi pour les révoltés kabyles ou états-uniens. Celle pour qui le mariage était de la prostitution légale restera toute sa vie célibataire et sans enfant.

C’est aussi un livre d’anecdotes : en décembre 1880 Louise MICHEL anime une conférence avec Auguste BLANQUI alors en tournée. Épuisé par cette série de meetings, BLANQUI décède quelques semaines plus tard, en janvier 1881. On peut être frappé par l’absence d’analyse visionnaire chez Louise MICHEL. En bref, elle se plante (certes pas toujours), mais avec génie.

Chaque texte est ici présenté par Éric FOURNIER (tout comme la pertinente préface), replaçant les écrits ou conférences dans le contexte politique et social. En fin de volume, nous pouvons redécouvrir des écrits d’hommes illustres en hommage à Louise MICHEL : Victor HUGO, Jules VALLÈS (dans un exécrable hommage en 1879, farci de misogynie et de clichés masculinistes) ou encore Paul VERLAINE.

Ce recueil, dont le titre est celui d’un poème de Louise MICHEL, est disponible chez Libertalia, dans la sublime collection La petite littéraire. Vous voilà fin prêt.es pour envisager sereinement les 150 ans de la Commune de Paris. Des Livres rances devrait vous présenter quelques ouvrages portant sur ce thème durant le premier semestre de 2021.

« L’étoile du progrès éclaire l’avenir. Mais le monde nouveau ne se fera que par la transformation complète de la société ».

https://www.editionslibertalia.com/

(Warren Bismuth)

vendredi 4 décembre 2020

Jacques BAUJARD et Simon GÉLIOT « Codine – D’après la nouvelle de Panaït Istrati »

 


Quelle belle idée qu’une adaptation en BD du « Codine » de Panaït ISTRATI, peut-être son roman (ou nouvelle) le plus connu, issu du deuxième cycle de son héros en même temps que son double Adrien Zograffi, inaugurant « La jeunesse d’Adrien Zograffi », somptueuse série où viendront ensuite les titres « Mikhaïl », « Mes départs » et « Le pêcheur d’éponges », déjà présenté ici.

Adrien vagabonde comme à son habitude dans la Camorofca, le quartier miséreux de la petite ville de Braïla en Roumanie, lorsqu’il fait la connaissance de Codine, ancien détenu, homme sulfureux au passé mystérieux. Une très forte amitié va naître entre les deux hommes, unis à la vie à la mort. Adrien n’a qu’une douzaine d’année, mais curieux de la vie en général, il va se laisser guider par son aîné.

Codine, cet homme au parcours tumultueux, va apprendre la vie de la rue à Adrien, les bagarres, l’alcool, comme les errances. Les deux compères vont devenir inséparables, pour le meilleur et pour le pire…

Cette BD de 2018 est une adaptation fidèle des aventures du jeune Adrien. Codine est représenté tel que l’on s’attend à le rencontrer : sorte de Lennie échappé du roman « Des souris et des hommes » de STEINBECK (Le héros d’ISTRATI voit par ailleurs le jour 10 ans avant celui de STEINBECK), homme brutal au coeur d’or, qui ne réalise pas toujours sa force physique. Il lui en cuira au pauvre Codine !

Les dessins, dans un ton marron qui colle avec la période de l’action, sont à la fois minimalistes, épurés et grouillant de petits détails. Beaucoup de scènes se déroulant la nuit, place au bleu marine.

Codine est un personnage clé de l’oeuvre d’ISTRATI (avec Mikhaïl), la fin de ce tome, fidèle au roman, nous fait monter les larmes aux yeux et crier à l’injustice. Cette figure fort bien dépeinte par ISTRATI est ici encore imposante et généreuse, impressionnante et fragile, grandiose et humble, elle ne peut que toucher le coeur en profondeur.

Jacques BAUJARD, auteur du présent scénario, avait déjà sévi pour réhabiliter l’œuvre d’ISTRATI, puisqu’il fut l’auteur de la magnifique biographie « Panaït Istrati, l’amitié vagabonde » parue en 2015 et récemment présentée sur le blog.

ISTRATI est l’un de ces auteurs que l’on n’oublie pas, de ceux qui écrient avec leurs tripes, leur sang et leur cœur, ces libertaires magnifiques libérés des dogmes et obligations, mais tissant une œuvre dont Liberté est le maître mot. Cet hommage en dessins est une manière originale de découvrir ISTRATI, c’est sorti en 2018 chez La Boîte à Bulles.

https://www.la-boite-a-bulles.com/

(Warren Bismuth)

mardi 1 décembre 2020

Tomislav ZAJEC « Il faudrait sortir le chien »

 


Pièce contemporaine croate de 21 séquences intimistes et seulement trois personnages (qui ne seront jamais réunis), un père et son fils (appelé « L’homme ») ou bien entre ce même fils et son ancienne fiancée. Toutes les séquences se déroulent sous la pluie. Quant au fils, il raconte le passé commun au début de certaines scènes, mais est-il mort depuis ? L’espace-temps est réduit, comme le reste.

Le père, traducteur renommé, a été déçu par le parcours du fils documentaliste, mais le sien propre n’est pas non plus un exemple de triomphe : amoureux en secret d’une femme, il préféra rester avec la sienne, peut-être par habitude, en tout cas par peur de l’inconnu (e ?). Pour l’heure, le père va se voir décerner un prix pour son travail de traducteur...

Dans cet improbable triangle, les relations humaines sont compliquées : père et fils n’ayant jusqu’ici que peu eu l’occasion de dialoguer, ils le font enfin, alors que le père est vieux, père qui aimerait connaître la fiancée du fils, pourtant ils sont séparés, cette ancienne fiancée ayant d’ailleurs des reproches à formuler au fils, et la réciprocité est vraie.

Le fils et son ancienne fiancée se croisent sous un abribus. Il pleut. Nombreuses plages de silence, des silences qui parlent peut-être davantage que les dialogues.

Le père est resté ancré par dépit avec sa propre femme, le fils s’est séparé de sa fiancée par défaut, une fiancée qui a redécouvert l’amour en la personne d’un pilote de ligne mais qui a du mal à admettre l’abandon de l’ancien être aimé, voici une radiographie peu optimiste d’êtres plus ou moins reclus. « Après leur séparation, elle avait trouvé cette place dans le point de vente d’une compagnie aérienne, en face de l’abribus où ils s’étaient tous deux retrouvés. Aujourd’hui encore, le bruit des billets qu’on imprime la laisse rêveuse. Elle fume. Elle fume même lorsqu’elle n’est pas en pause. Elle rêve. Qu’elle s’envole au-dessus des villes, là où les rêves sont possibles, là où les gens sont heureux ».

Dialogues simples mais profonds, très personnels, ils pourraient être sortis d’une pièce de Marguerite DURAS, ils sont épurés, tout comme le décor. Et puis il y a le chien, ce fichu clébard que le fils doit sortir faire pisser, ce chien est le lien entre les trois personnages de la pièce, il en est le quatrième protagoniste et le seul qui vit vraiment, qui a besoin de l’autre. Mais qui pourra le prendre en charge ? Le chien est l’être clé de l’intrigue, il semble bien être le seul à aimer tout le monde (par intérêt ?) même s’il n’apparaît jamais. Pour le reste, chaque personnage rêve mais n’accomplit pas, vit dans l’ombre de ses désirs.

Pièce intérieure et pudique aux dialogues chuchotés, elle nous embarque dans une atmosphère feutrée tout en finesse. Oui mais il faut sortir le chien. Parue en 2017 aux éditions L’espace d’un Instant.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

dimanche 29 novembre 2020

Jacques JOSSE « Vision claire d’un semblant d’absence au monde »

 


En 2003 paraissait aux éditions Apogée un recueil de poèmes de Jacques JOSSE, réédition d’un livre de 1998 (aux éditions Paroles d’aube) mais augmenté de quelques textes. Le patchwork continue à s’accroître avec cette nouvelle édition chez Le Réalgar, encore complétée de deux petits recueils : « Au célibataire, retour des champs » (originellement paru en 2015 aux éditions Le Phare du Cousseix) et « Des solitudes » (en 2000 aux Cahiers Blanc Silex).

Jacques JOSSE est ce magicien des mots et des images. Son univers est à la fois restreint et immense : instantanés sur de petites gens, bretons notamment, mais nous pourrions les croiser au détour d’un bistrot un peu partout sur terre, ces invisibles qui pourtant font le Monde.

À partir de faits divers souvent tragiques (assassinats, suicides, accidents), Jacques JOSSE reconstitue par sa poésie méticuleuse une société défigurée, des destins amputés. Ce conteur de solitudes observe dans la brume, sous le crachin ses égaux, et partant du pire, il en restitue le meilleur, ou le plus vrai.

« ici / quand / un homme / se mouche / dans un verre de bière / on entend rouler / des paquets de mer / sous sa langue / il évite le regard / de celui qui sait / tout sur sa croix / derrière le zinc ».

La nature est représentée, sans jouer un rôle actif, mais elle est là, dans sa superbe, servant de décor, plantée comme le sont tous ces arbres dans les campagnes bretonnes. Elle est témoin des drames, des regards, des remords, sur fond d’alcool, de tabac, d’abus en tous genres. Les images sont toujours saisissantes : « Le fossoyeur officie. Pas à la petite cuiller mais à l’aide d’une pelle il décolle la langue chargée des morts ».

La langue de JOSSE est sonore, à la fois radieuse et inquiétante. Elle transporte, embarque, parfois jusqu’à un port mais jamais sur un bateau. Ici elle percute par de brefs textes, la plupart en vers, très peu en prose, mais tous, en très peu de mots, nous mettent dans l’ambiance, nous permettent de nous imprégner du climat. Écriture épurée ou plus un cheveu ne dépasse, elle est d’une rare concision, elle bouleverse.

« J’ouvre le livre, / un peu comme / on ouvre une fenêtre / pour découvrir, dès l’aube, / un fragment du paysage. / Alors je bénis le jour. / Personne ne me voit. Je parle. / Je donne du pain aux morts. / Et je jette les dernières étoiles / au fond du puits ».

Un court détour par le Cambodge, puis retour en Bretagne où des gueules cassées taiseuses semblent échappées d’un Musée de la Trogne local.

L’œuvre de Jacques JOSSE est un Grand Livre des Morts, une Anthologie des Trépassés. Elle est à lire lentement, en arrêtant notre regard pour mieux fermer les yeux et imaginer. Il est un ténor de notre littérature contemporaine. Dans ce recueil, l’évolution de son travail d’écriture au fil des ans est très visible. De vers tout d’abord choisis finit par s’évader une prose libre, de plus en plus présente dans son oeuvre à partir de l’année 2000 environ.

Cette petite perle est à commander d’urgence aux éditions Le Réalgar (collection L’Orpiment), où l’auteur a par ailleurs déjà publié plusieurs livres, qui sont eux aussi à découvrir et à faire circuler.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

vendredi 27 novembre 2020

Henrik REHR & Chantal VAN DEN HEUVEL « Léon & Sofia Tolstoï »

 


Pour cette ambitieuse biographie du grand Léon TOLSTOÏ (1828-1910), les auteurs se sont centrés sur la relation à géométrie variable entre l’écrivain et sa femme Sofia. Car c’est aussi à travers Sofia que TOLTOÏ put devenir ce monstre sacré. C’est notamment elle qui relut, corrigea et recopia les grands romans de TOLSTOÏ.

BD éblouissante revenant sur la jeunesse tumultueuse et arrogante de l’écrivain, les femmes, les fêtes, l’alcool dans le monde aristocratique russe. Il devient propriétaire terrien et n’est guère tendre avec ses serfs. La relation avec Sofia devient sérieuse, mais c’est pourtant sa sœur que le comte visait.

Sur proposition de son frère, TOLSTOÏ va participer à la guerre dans le Caucase puis en Crimée. Parallèlement il écrit ses souvenirs de jeunesse. Il revient de la guerre métamorphosé, se lie d’amitié avec TOURGUENIEV bien que leur relation soit volcanique. TOLSTOÏ s’intéresse à la doctrine anarchiste de PROUDHON tout en se retirant dans sa résidence bourgeoise de Iasnaïa Poliana. C’est là que ses relations avec Sofia se compliquent.

TOLSTOÏ fut un homme de l’excès, y compris dans son amour pour Sofia. Excessif également dans sa croyance chrétienne lorsqu’il a une cinquantaine d’années, foi d’où il finira par tirer une « nouvelle religion » : le tolstoïsme. Il se met à rédiger ceux qui deviendront ses futurs chefs d’œuvre. C’est Sofia qui porte son travail, par ses appréciations, ses corrections, ses encouragements.

Cependant TOLSTOÏ se détache de plus en plus de sa femme. Il souhaite libérer le peuple, le pousser coûte que coûte vers l’indépendance et l’émancipation, qui passent par la foi, encore et toujours. À sa demande, son œuvre tombe dans le domaine public, Sofia est furieuse, d’autant qu’ils ont 13 enfants à nourrir. Sofia qui elle-même commence à regarder ailleurs, jusqu’à sa rencontre avec un pianiste, alors que son Léon de mari s’entiche d’un certain TCHERTKHOV, qui deviendra son maître à penser et aura une forte emprise sur TOLSTOÏ.

Dans cette BD lumineuse, tous les grands traits de la vie de TOLSTOÏ sont abordés, mais ceux de Sofia également : son incompréhension aux décisions de son mari, son abnégation devant leurs enfants, mais aussi son âme de femme qui se révolte devant le caractère parfois misogyne de l’écrivain, un TOLSTOÏ par ailleurs fort jaloux qui écrit « La sonate à Kreutzer » en référence à un professeur de piano de sa femme, professeur que TOLSTOÏ imagine dans un bien autre rôle.

C’est cette « Sonate à Kreutzer » qui met le feu aux poudres dans le couple. Sofia prend les armes de son mari et lui répond par un livre. Ce sera « À qui la faute ? » (j’y reviendrai très prochainement). Dès lors, la guerre est déclarée. Les auteurs de cette BD n’oublient pas la fin pathétique, à la fois du couple et bien sûr la mort de TOLSTOÏ, s’éteignant en 1910 dans une gare perdue, à 82 ans, alors qu’il fuit définitivement sa femme.

La vie de TOLSTOÏ fut un ensemble de rebondissements, de nouvelles pensées, de chefs d’œuvre littéraires. Mais il ne faut jamais oublier l’intime. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celui du grand écrivain fut d’une rare complexité. Cette BD donne fort justement la parole à Sofia, cette sorte d’oubliée, de sacrifiée de l’histoire, une femme en retrait qui pourtant finit par s’affirmer. Sa figure rythme la présente biographie.

Dans une mise en page classique et sobre, les dessins font l’effet d’une gifle. Une couleur principale de fond qui change selon la période évoquée, mais surtout une succession de vignettes détaillées qui retranscrivent judicieusement l’ambiance de la Russie profonde de la fin du XIXe siècle. Les personnages sont expressifs et le rythme général assez rapide. Une BD qui, pas si curieusement que cela, donne envie de se repencher sur l’œuvre de TOLSTOÏ, mais aussi sur ce « À qui la faute ? » intrigant, écrit de la main de Sofia. C’est sorti en 2020 chez Futuropolis, pensez à vos cadeaux de Noël (pub gratuite)…

http://www.futuropolis.fr/

(Warren Bismuth)

mercredi 25 novembre 2020

Kaouther ADIMI « Les petits de Décembre »

 


Dans le quartier Dely Brahim de l’ouest d’Alger de nos jours se trouve un terrain d’un hectare et demi servant d’aire de jeu à de jeunes désargentés. Des enfants d’une dizaine d’années y jouent au foot avec pas grand-chose, pour se rassembler, discuter, faire du sport ensemble. Seulement le terrain appartient au ministère de la défense algérienne et les militaires veulent le récupérer pour y construire des résidences. En effet, le quartier a été créé en 1987 par ce même ministère qui avait alors distribué des lots aux militaires.

Mohamed et Cherif sont deux anciens militaires aujourd’hui engagés en politique du côté de l’opposition, bien que Cherif soit un militant plus réticent car il occupe un poste en communication. Mais l’une des figures de ce quartier de la cité du 11-Décembre 1960 de Dely Brahim se prénomme Adila, elle a combattu pour l’indépendance pendant la guerre de libération. Femme engagée et dissidente, elle paraît influente et crainte.

Un bras de fer s’annonce entre les gamins de la cité et les militaires qui veulent récupérer le terrain, le tout sur fond de corruption dirigée par les responsables locaux, chefs des magouilles et distributeurs des rôles à jouer dans cette affaire. La révolte du quartier semble imminente : « A-t-on jamais vu en Algérie des généraux se montrer bienveillants à l’égard  d’une révolte ? ».

Cette révolte gronde, elle est celle de la jeunesse algérienne contre un pouvoir miné par les pots-de-vin. Quelques drames ne vont pas tarder à se jouer avec des scènes que l’on croirait issues du passé : « Tiens, mouche-toi dans cette feuille de papier, il n’y a rien d’autre. C’est bon, tu t’es calmé ? On peut reprendre ? Allez, raconte, qui vous a prévenus tes copains et toi que les généraux étaient là ? Vous étiez dans le coin ? ».

Tout est permis dans un pays en déliquescence, et le pouvoir joue avec les moyens techniques mis à sa disposition : « On va faire comme d’habitude : création de milliers de faux comptes pour attaquer ceux qui diffusent, faire croire que c’est une fausse vidéo ». Tous les coups sont permis. Mais contre toute attente, ce sont les militaires qui finissent pas reculer…

Ces gamins du quartier représentent l’avenir de l’Algérie, les militaires le présent et la grand-mère Adila le passé. Cette dernière tient un carnet de souvenirs, historiques et politiques, du premier village algérien colonisé par les français en 1832 jusqu’à l’indépendance et même au-delà, des petites touches peintes pour comprendre l’histoire de l’Algérie. Ce carnet est sans doute le point culminant, les moments les plus poignants de ce roman par ailleurs fort et très bien mené. Les personnages sont bien campés, l’écriture alerte, et l’aspect historique très présent et raconté de manière concernée.

Kaouther ADIMI est une jeune romancière algérienne qui n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Son univers est certes politique, mais aussi intimiste, proche du peuple. ADIMI s’engage dans ce livre de 2019 contre la corruption du pouvoir algérien, de la première à la dernière phrase qui d’ailleurs résonne comme un avertissement : « Nos pieds sont enfoncés dans la boue. Nous ne bougerons pas ».

(Warren Bismuth)

dimanche 22 novembre 2020

Raymond PENBLANC « Une ronde de nuit »

 


C’est en traversant une ville qu’il a bien connue 25 ans plus tôt que le narrateur de ce nouveau roman de Raymond PENBLANC se voit revenir en pensée dans son adolescence. Tout d’abord il se perd dans la ville métamorphosée, puis fait connaissance avec un homme de 20 ans son benjamin dans un restaurant où il a échoué : Simon, cet inconnu qui semble être le double physique du narrateur et qui ne tardera pas à se comporter agressivement.

Simon entreprend une conversation avec le narrateur, celle-ci d’ailleurs surtout monologuée, qui fait rejaillir des situations anciennes à un interlocuteur propulsé à la période de sa jeunesse chaotique, violente, faite de sexe peu glamour, de bastons, d’alcool, d’intimidations et règlements de comptes. Et puis la figure de son ami Berg surgit, un camarade mort à l’âge de 20 ans.

Le narrateur arpente la ville comme il l’a arpentée jadis, et les images remontent encore dans un dédale structurel et de lieu : son statut d’enfant de choeur, le lycée, les bringues, les femmes, les errances, les embrouilles, etc. Chaque recoin de la ville semble être hanté par un épisode de jeunesse. Puis dans le présent, apparition d’une organiste qui va jouer un rôle essentiel.

Cette ronde de nuit pourrait être lue comme un condensé de la carrière littéraire de Raymond PENBLANC, tant les thèmes qui lui sont chers prennent encore ici une place de choix : description d’une ville et de ses merveilles architecturales, notamment religieuses, rôle de la peinture artistique (lire « L’âge de pierre »), errances, souvenirs de jeunesse (voir notamment « Phénix ») et de la musique classique, violence, érotisme, désir de renaissance, rôle de l’art, évolution urbaine (« L’âge de pierre »). Sans oublier une forte âpreté générale : « Il ne veut pas emprunter le chemin de plus en plus étroit et escarpé de la vie. Il ne veut pas d’une épouse, d’une maison, d’un métier. Il ne veut pas d’une canne, d’une barbe blanche, d’un grabat puant, il ne veut pas de ces mots qu’on s’arrache, de ces syllabes qui se télescopent et s’engluent sous la langue, de ce goût du sang dans la bouche, de cette urine le long des cuisses, de ces diarrhées qu’un sphincter mou ne retient plus ».

Mais dans ce roman, l’auteur semble avoir repris également d’anciennes scènes, ici remises au goût du jour : les graffitis éphémères de palissades (« L’âge de pierre »), la femme organiste qui pourrait bien tout faire basculer (« Miroir des aigles »), la figure de RIMBAUD aperçue lors d’une promenade (« L’égyptienne »), jusqu’à la ville arpentée qui pourrait bien être Aix-en-Provence (« Miroir des aigles » également). L’humour est présent, à petites doses injectées au détour d’une phrase.

Les scènes pouvant être pourtant considérées comme futiles sont très réussies : « Il devait être sept heures. Sept heures du soir sur une plage en fin d’été, et à cette heure ne venaient se baigner que ceux qui avaient choisi de se soustraire à l’humanité moutonnière, sinon à l’humanité tout court. Comme souvent à cette époque, le garçon était seul ; c’est donc en solitaire qu’il avait passé l’après-midi à écumer les rochers découverts par la marée basse. Sa pêche ne comptant qu’une douzaine de crabes verts, il les avait rejetés à la mer l’un après l’autre, testant au passage la qualité de leurs réflexes et la robustesse de leurs pinces, ne gardant qu’une poignée de petites galets blancs très lisses pour la décoration de son aquarium ».

Les (très) longues phrases se succèdent dans une écriture classique, poétique comme rugueuse, mais toujours précise, les monologues de Simon imbriqués dans la narration par des italiques, le style possédant sa propre identité très marquée, les indices distillés également. Le roman vient de sortir aux éditions Le Réalgar, maison à soutenir en ces temps de disette généralisée.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

vendredi 20 novembre 2020

MERALLI & DELOUPY « Algériennes 1954-1962 »

 


Au menu du jour une BD historique retraçant le combat des femmes algériennes indépendantistes durant la guerre d’Algérie. Le personnage fil rouge de ce récit est une jeune femme dont le père a participé en tant qu’appelé sur le front.

 

La trame est classique : cette jeune femme va être amenée à s’intéresser à cette guerre par le biais de sa propre mère qui lui donne l’adresse de l’une de ses amies ayant combattu sur place, de l’autre côté de la Méditerranée. D’après ce témoignage crucial, elle décide de se rendre à Alger afin d’obtenir des renseignements complémentaires. C’est au mémorial du martyr que ses yeux croisent une photo représentant trois combattantes algériennes, les Moudjahidates. Troublée, elle va mener une enquête afin de retrouver les trois femmes de la photographie.

 

Les vieilles militantes vont parler. De la scolarité en Algérie avant le déclenchement des hostilités en 1954, où les autochtones sont maltraités, l’impossibilité de revendiquer son appartenance à l’Algérie, les inégalités criantes, l’implantation très solide du colon comme être supérieur, les premiers attentats, la peur qui monte, et puis l’inéluctable.

 

L’implantation du F.L.N. est bien réelle dans les rues algériennes, l’animosité avec les colons devient générale. Guerre, tortures, emprisonnements sommaires, formations de collectifs clandestins d’indépendance, avant la folie collective de l’année 1961.

 

Les témoignages de femmes recueillis des décennies plus tard n’ont rien perdu de leur hargne de jadis, rien n’est oublié, et tout est loin d’être pardonné. Les parcours de ces femmes furent variés après la déclaration d’indépendance, il n’en est pas moins vrai qu’elles combattirent au sein d’un mouvement qui fut en quelque sorte leur famille politique.

 

Les couleurs des vignettes sont très sobres, fond grisâtre et appuis sur des tons ocres, rougeâtres ou bleuâtres. Superbes dessins de DELOUPY, à la fois dépouillés et concis, retenus en couleurs. L’aspect historique du scénario de MERALLI est, derrière les balises datées concernant la guerre d’Algérie, assez original, puisqu’il y est question des femmes combattantes aux côtes des indépendantistes, thème rarement traité par les arts. Ne pas oublier qu’à l’instar de leurs camarades hommes, elles furent torturées, emprisonnées, abattues, mais aussi violées, dégradées et humiliées.

 

BD au sujet fort, elle est parue en 2018, et elle vaut bien que l’on y jette un œil plus qu’attentif.

 (Warren Bismuth)

mercredi 18 novembre 2020

Olga TOKARCZUK « Histoires bizarroïdes »

 


Ce recueil du prix Nobel de littérature 2018 renferme 11 nouvelles, pas toutes inédites, puisque sur le blog avait déjà été présenté « Les enfants verts », nouvelle parue à l’origine chez La Contre Allée en 2018, et présente ici de manière légèrement remodelée.

Olga TOKARCZUK semble s’amuser à brouiller les pistes tout au long de ces récits, tour à tour mystérieux voire gothiques, puis dystopiques, futuristes, s’appuyant sur une science à venir poussée et basés sur des recherches en cours. Seule la nouvelle « Les enfants verts » se déroule dans un lointain passé, en l’occurrence le moyen-âge.

La plupart de ces textes sont brefs, parfois quelques pages seulement, seules les deux dernières nouvelles sont construites comme de petits romans. Toutes sont destinées à faire peur, mais pas gratuitement, puisque l’âme humaine y est scrutée avec force détails, elles forcent la réflexion, dans une écriture ronde et ciselée. Une ambiance très XIXe siècle peut se dégager d’un récit, puis tout à coup climat d’anticipation avec des humanoïdes pouvant s’avérer effrayants.

Le talent réside bien dans la variété des récits. La quatrième de couverture intrigue en annonçant un monde entre Edgar Allan POE et la série « Black Mirror », ceci semble pour le moins saugrenu, et pourtant ces références sont diablement pertinentes. Il est en effet impossible de ne pas songer à l’une ou l’autre au cours de la lecture. En effet, ces nouvelles forment un tout, que l’on pourrait désigner comme l’évolution humaine au fil des derniers siècles, et ce jusque dans un futur plus ou moins proche.

Derrière cette atmosphère mystérieuse, inquiétante voire angoissante ressortent quelques facéties, des drôleries qui ne sont pas des blagues de potache mais s’intègrent harmonieusement, formant un tout très homogène. À noter cette splendide couverture qui donne le ton.

Les nouvelles futuristes sont teintées de science-fiction, appuyées par les technologies actuelles et les possibilités de leur avancée prochaine, y compris concernant les pertes de liberté individuelle. C’est sorti dernièrement aux éditions Noir sur blanc, qui ont fait paraître par ailleurs d’autres livres d’Olga TOKARCZUK. Traduction du polonais par Maryla LAURENT.

« Le monde sauvage. Sans êtres humains. Nous ne pouvons pas le voir car nous sommes des humains. Nous avons choisi de nous en distancier et, désormais, pour y revenir, nous devons changer. On ne peut pas voir ce dont on est exclu. Nous sommes prisonniers de nous-mêmes. C’est un paradoxe. Une perspective de recherche intéressante, mais également une erreur fatale de l’évolution : l’homme ne voit jamais que lui-même ».

http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/

(Warren Bismuth)

dimanche 15 novembre 2020

Jacques BAUJARD « Panaït Istrati, l’amitié vagabonde »

 


Une biographie de Panaït ISTRATI ne se prend pas à la légère. Surtout lorsque celle-ci, sortie en 2015 aux éditions Transboréal, est palpitante de bout en bout. La vie se présente mal pour le futur grand écrivain roumain né Gherasim ISTRATI en 1884, dont le père contrebandier décède alors qu’il n’a que neuf mois. Jeunesse marquée par la violence et ses premiers émois avec l’esprit révolutionnaire. Son « baptême » sera une manifestation en janvier 1905 en soutien aux travailleurs russes.

ISTRATI vagabonde entre 1907 et 1913 en Orient. Puis il écrit des articles militants et devient secrétaire du syndicat des ouvriers du port de Braïla, une petite ville qui va beaucoup compter dans son oeuvre future.

Panaït se marie une première fois en 1915, mais seulement 10 mois plus tard il s’enfuit du domicile conjugal et de Roumanie, où il ne reviendra qu’en 1925. Dès 1916 il apprend le français. Pacifiste convaincu, il s’installe tout d’abord en Suisse, pays neutre durant la première guerre mondiale, il y est travailleur itinérant. Il en repart en 1920, tuberculeux. Entre temps, il avait fait publier son premier article en français à propos de Tolstoï et du bolchevisme. À la même période sa chère mère décède.

Le tournant de sa vie se situe en 1921. Désespéré, il tente de se suicider en se tranchant la gorge avec une lame de rasoir. Cependant, il survit, mais lorsqu’il était entre la vie et la mort, une lettre trouvée sur lui et adressée à l’écrivain Romain ROLLAND, alors adulé, est transmise à son destinataire. ROLLAND entre alors en contact avec le jeune Panaït, une amitié de plusieurs années vient de naître. Mais pas seulement.

ROLLAND, confiant en le talent du roumain, lui conseille d’écrire. « Cette œuvre s’imposera par la violence du cœur ». Des livres, des romans, dans lesquels il déploierait avec sa verve un univers brossant un portrait de son parcours et de ce qui l’entoure. Ce qu’il fait. Lui et ROLLAND se rencontrent pour la première fois en 1922.

ISTRATI n’écrira plus qu’en français. C’est en 1923 que paraît son premier roman, « Kyra kyralina », très bien reçu par la critique. ISTRATI se remarie en 1924, mais là encore c’est un cuisant échec. L’écrivain vagabond vit enfin en partie de sa plume. Celui qui a jusqu’alors exercé tant de métiers, dont celui notamment de peintre en bâtiment, semble enfin avoir trouvé sa voie. Il rencontre Joseph KESSEL qui deviendra son ami.

Nouveau tournant : en 1927, ISTRATI est invité à Moscou pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution d’octobre. Enthousiaste et plutôt admiratif du régime en place en Russie, il s’y rend. L’année suivante, il part en voyage en Russie pour 16 mois. Là-bas il déchante rapidement en observant la réalité du bolchevisme. Rencontre avec l’auteur grec Nikos KAZANTZAKI qui l’impressionne grandement (il lui rappelle son ami Mikhaïl qu’il immortalisa dans plusieurs de ses romans) et deviendra un proche. C’est en 1929 qu’il publie « vers l’autre flamme », violent pamphlet contre le pouvoir soviétique. C’est alors que non seulement il est lâché par ses amis – dont Romain ROLLAND – mais doit affronter des attaques incessantes des camarades communistes, notamment les agressions écrites à répétition de l’écrivain Henri BARBUSSE. Le but est de faire taire ISTRATI. Mieux : faire en sorte qu’il n’a jamais existé en tant qu’écrivain. Le verdict est sévère : tout le milieu littéraire l’abandonne.

ISTRATI est alors isolé. Il ne peut plus voyager, se fait refouler de nombreux pays pour lesquels il représente désormais un danger. Il se commettra même dans un journal tendancieux, mais en tant qu’homme libre n’ayant de compte à rendre à personne.

« N’adhérer à rien, c’est ne pas mettre un seul genou à terre. N’adhérer à rien, c’est laisser au loin les fausses consolations du monde. N’adhérer à rien, c’est prendre son courage à deux mains et faire un pas de côté. La vie, avant tout ».

Troisième et dernier mariage en 1932 avant un retour définitif en Roumaine en 1934 pour y mourir. Ironie de l’histoire : en revenant chez lui à Braïla, il constate que sa maison a été transformée… en musée Panaït ISTRATI ! En effet, tout le monde le croyait mort. Il préfère en rire et chercher une autre demeure à Bucarest. Il semble d’ailleurs que le musée soit toujours en activité de nos jours.

ISTRATI s’éteint le 16 avril 1935, oublié et malheureux. Victime d’une véritable entreprise de démolition, c’est au moment où il sera célèbre qu’il lui deviendra horriblement difficile de s’exprimer par sa plume.

Heureusement, des décennies après sa disparition, des voix s’élèveront pour rendre justice et réhabiliter ISTRATI. Il peut être vu aujourd’hui comme l’écrivain vagabond et rebelle par excellence, anarchiste sans doctrine, libre-penseur et réel conteur d’exception. Auteur d’une quinzaine de courts romans, son univers d’errances libertaires teintées d’atmosphère de contes persans le rend unique et reconnaissable. Merci à Jacques BAUJARD, de la librairie parisienne Quilombo, de nous avoir fait partager ce voyage avec l’un des plus grands.

À 20 ans, Panaït ISTRATI écrivait : « Dans ce mouvement, j’ai toujours été un dilettante chaud, parfois impétueux. Pour moi, toute la vie se résume dans le mot sentiment. Aussi ne me suis-je attaché qu’aux seuls militants qui faisaient de l’amitié la plus vivante des religions. De la doctrine, je m’en moque ». Il s’y tiendra jusqu’au bout.

http://transboreal.fr/

(Warren Bismuth)