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dimanche 12 décembre 2021

Erri de LUCA, Paolo CASTALDI & Cosimo Damiano DAMATO « L’heure H – Pour ne plus jamais baisser la tête »

 


Cette bande dessinée, la première scénarisée en partie par Erri de LUCA, est à la fois un hommage et un souvenir. Hommage à la lutte des classes en Italie durant les années de plomb des 60 et 70’s, hommage aux grèves, à l’action directe dans un pays au cœur du tourbillon social. Souvenir de ces luttes d’un temps ancien, souvenir de l’organe en partie médiatique Lutta continua, journal militant sans concession qui était ce lien entre les ouvriers notamment (de LUCA y était un membre à part entière), le tout dans la bouillonnante ville de Tarente, région des Pouilles, Italie. Lutta continua était en partie financé par les ventes de toiles de peintres offertes par les auteurs. Ici c’est l’usine de sidérurgie de Tarente qui est au cœur de l’action, avec cette lutte syndicale menée notamment par Sara et Sebastiano alors que la production générale se tourne vers la quantité plutôt que la qualité et que les conditions de sécurité se dégradent manifestement.

Les dessins de Cosimo Damiano DAMATO, simples et épurés (comme l’est l’écriture d’Erri de LUCA) sont des aquarelles, parfois pleine page. Quant au texte, au message plutôt, il est celui de la combativité, de la lutte contre le capitalisme, pour la sécurité au travail, contre les cadences inhumaines que des centaines d’ouvriers ont payé de leur vie sur les dix dernières années (dans les 60’s et 70’s), notamment cette fois de trop, un mort, avec un verdict accusant la négligence des prolétaires, alors que c’était bien la sécurité seule qui était en cause, son absence plutôt. Les syndicats freinent des quatre fers quand les actions se succèdent dans tout le pays...

La résistance s’organise : «  Nous ouvriers nous devons inciter à l’embauche. Travailler moins et travailler tous ! ». 1975, préparations de tracts, combat pour la semaine des 35 heures. La pêche était l’une des grosses activités industrielles de Tarente, mais l’usine locale a pollué les eaux, impactant de plein fouet l’activité piscicole. Les grèves dans l’entreprise sont perlées avec des arrêts de travail de quinze minutes sur les chaînes de production, parfois même de simples ralentissements de cadence. « Au lieu de faire les grèves habituelles devant les portes en y laissant leur salaire, les ouvriers ont inventé les arrêts d’un quart d’heure sur la chaîne de montage ». Et puis il y a la motivation insufflée par l’ailleurs, celle se déroulant au Vietnam par exemple, avec le petit Poucet en passe de manger l’ogre, ou bien encore la Révolution des œillets au Portugal. Puis bref retour sur l’Italie fasciste, il n’y a pas si longtemps en fin de compte, cette Italie dont l’héritage est ces années de plomb.

Cette bande dessinée très aérée est à la fois historique, humaniste et sans concession, elle est une approche originale et pas du tout déformée ni fantasmée de l’œuvre d’Erri de LUCA, militant infatigable qui fut au cœur de ces révoltes des années 70 quand il était lui-même ouvrier. Avec pudeur, modestie, passion et rigueur, il revient sur ces années de lutte sans merci. La BD se lit un peu comme un « vrai » livre d’Erri de LUCA : lentement pour bien profiter de chaque mot, de chaque tournure de phrase, de chaque image. Elle dépeint ce temps presque révolu où l’ouvrier décidait qu’il n’avait plus rien à perdre et s’organisait en conséquence. Ce récit est clairement un appel à la rébellion ainsi qu’un document historique sur la lutte en noir et rouge. « Notre victoire ne se mesurera pas au nombre d’ennemis tués, mais au nombre de ceux qui s’uniront à nous ».

Dans plusieurs de ses ouvrages, de LUCA a déjà plus ou moins longuement fait état de Lutta continua, de la lutte sociale des 70’s en Italie (je pense notamment à « Impossible », mais pas seulement). Ici, des dessins sont ajoutés, donnant une certaine forme au message, dans des tons grisâtres comme la morosité de cette décennie mortifère.

« L'heure H » est sortie cet été chez Futuropolis, elle me semble un très bon marchepied pour découvrir le message politico-social de de LUCA, mais elle est aussi une pièce à part de cette œuvre riche même si elle peut facilement s’imbriquer dans le tiroir estampillé « autobiographie » de l’auteur.

https://www.futuropolis.fr/

(Warren Bismuth)

vendredi 27 novembre 2020

Henrik REHR & Chantal VAN DEN HEUVEL « Léon & Sofia Tolstoï »

 


Pour cette ambitieuse biographie du grand Léon TOLSTOÏ (1828-1910), les auteurs se sont centrés sur la relation à géométrie variable entre l’écrivain et sa femme Sofia. Car c’est aussi à travers Sofia que TOLTOÏ put devenir ce monstre sacré. C’est notamment elle qui relut, corrigea et recopia les grands romans de TOLSTOÏ.

BD éblouissante revenant sur la jeunesse tumultueuse et arrogante de l’écrivain, les femmes, les fêtes, l’alcool dans le monde aristocratique russe. Il devient propriétaire terrien et n’est guère tendre avec ses serfs. La relation avec Sofia devient sérieuse, mais c’est pourtant sa sœur que le comte visait.

Sur proposition de son frère, TOLSTOÏ va participer à la guerre dans le Caucase puis en Crimée. Parallèlement il écrit ses souvenirs de jeunesse. Il revient de la guerre métamorphosé, se lie d’amitié avec TOURGUENIEV bien que leur relation soit volcanique. TOLSTOÏ s’intéresse à la doctrine anarchiste de PROUDHON tout en se retirant dans sa résidence bourgeoise de Iasnaïa Poliana. C’est là que ses relations avec Sofia se compliquent.

TOLSTOÏ fut un homme de l’excès, y compris dans son amour pour Sofia. Excessif également dans sa croyance chrétienne lorsqu’il a une cinquantaine d’années, foi d’où il finira par tirer une « nouvelle religion » : le tolstoïsme. Il se met à rédiger ceux qui deviendront ses futurs chefs d’œuvre. C’est Sofia qui porte son travail, par ses appréciations, ses corrections, ses encouragements.

Cependant TOLSTOÏ se détache de plus en plus de sa femme. Il souhaite libérer le peuple, le pousser coûte que coûte vers l’indépendance et l’émancipation, qui passent par la foi, encore et toujours. À sa demande, son œuvre tombe dans le domaine public, Sofia est furieuse, d’autant qu’ils ont 13 enfants à nourrir. Sofia qui elle-même commence à regarder ailleurs, jusqu’à sa rencontre avec un pianiste, alors que son Léon de mari s’entiche d’un certain TCHERTKHOV, qui deviendra son maître à penser et aura une forte emprise sur TOLSTOÏ.

Dans cette BD lumineuse, tous les grands traits de la vie de TOLSTOÏ sont abordés, mais ceux de Sofia également : son incompréhension aux décisions de son mari, son abnégation devant leurs enfants, mais aussi son âme de femme qui se révolte devant le caractère parfois misogyne de l’écrivain, un TOLSTOÏ par ailleurs fort jaloux qui écrit « La sonate à Kreutzer » en référence à un professeur de piano de sa femme, professeur que TOLSTOÏ imagine dans un bien autre rôle.

C’est cette « Sonate à Kreutzer » qui met le feu aux poudres dans le couple. Sofia prend les armes de son mari et lui répond par un livre. Ce sera « À qui la faute ? » (j’y reviendrai très prochainement). Dès lors, la guerre est déclarée. Les auteurs de cette BD n’oublient pas la fin pathétique, à la fois du couple et bien sûr la mort de TOLSTOÏ, s’éteignant en 1910 dans une gare perdue, à 82 ans, alors qu’il fuit définitivement sa femme.

La vie de TOLSTOÏ fut un ensemble de rebondissements, de nouvelles pensées, de chefs d’œuvre littéraires. Mais il ne faut jamais oublier l’intime. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celui du grand écrivain fut d’une rare complexité. Cette BD donne fort justement la parole à Sofia, cette sorte d’oubliée, de sacrifiée de l’histoire, une femme en retrait qui pourtant finit par s’affirmer. Sa figure rythme la présente biographie.

Dans une mise en page classique et sobre, les dessins font l’effet d’une gifle. Une couleur principale de fond qui change selon la période évoquée, mais surtout une succession de vignettes détaillées qui retranscrivent judicieusement l’ambiance de la Russie profonde de la fin du XIXe siècle. Les personnages sont expressifs et le rythme général assez rapide. Une BD qui, pas si curieusement que cela, donne envie de se repencher sur l’œuvre de TOLSTOÏ, mais aussi sur ce « À qui la faute ? » intrigant, écrit de la main de Sofia. C’est sorti en 2020 chez Futuropolis, pensez à vos cadeaux de Noël (pub gratuite)…

http://www.futuropolis.fr/

(Warren Bismuth)

vendredi 6 novembre 2020

Aurélien DUCOUDRAY & Jeff POURQUIÉ « La troisième population »

 


Une BD reportage sur un lieu symbolique de la psychiatrie française : la clinique de La Chesnaie dans le Loir-et-Cher. Établissement unique et renommé, il accueille à ciel ouvert un public en particulier névrotique ou psychotique. L’originalité de La Chesnaie est que les patients gravitent dans une sorte d’autogestion : ils participent à la vie du lieu de manière active, mais exercent toutes les missions par un système de rotation des tâches. Il en est de même pour le personnel hospitalier.

Au cœur du Loir-et-Cher, La Chesnay se dresse sur un terrain assez privilégié : grande surface de nature où les patients peuvent se promener en toute liberté. Les deux auteurs de cette BD ont donc décidé de s’immerger afin de raconter ce qu’ils y ont vu, entendu. Et c’est foutrement instructif. Retour sur l’historique du lieu, de sa gestation à son ouverture en 1956.

De leur séjour dans cet établissement, les auteurs en ramènent des émotions qu’il font partager : des moments d’inquiétude, mais aussi beaucoup de fou rires, les rencontres, les échanges, c’est toujours très humain et non jugeant. Discussions avec le personnel médical, et en fin de volume avec le créateur du lieu !

Mais pourquoi ce titre ? « La première population c’est les patients, la deuxième population, c’est les moniteurs et les médecins, et la troisième c’est tous les extérieurs qui viennent à La Chesnaie pour donner quelque chose aux première et deuxième populations ». Modèle du genre, La Chesnaie est aujourd’hui réputée pour sa grande liberté, son humanisme et l’originalité de sa démarche. Haut lieu de la psychiatrie, il est un exemple concret de l’accompagnement psy en autonomie partielle.

Responsabiliser les malades est l’un des leitmotivs très ancré dans l’institut, ce sont par exemple eux qui distribuent les médicaments à leurs collègues de cure. Le but est de faire ressentir aux patients leur enfermement comme naturel, comme une simple vie en communauté.

Les couleurs de cette BD sont variées, tantôt pastel, tantôt noir et blanc, avec quelques pointes dans les couleurs franchement agressives. Tout dépend bien sûr de l’anecdote contée. L’atmosphère reste feutrée, intimiste, même si les patients peuvent aller se balader à l’extérieur des espaces délimités, même en ville, bien que celle-ci soit très loin d’être une mégalopole.

À titre personnel, ce petit coup de cœur fut aussi influencé par le fait que je connais très bien les environs de La Chesnaie, qu’ils me sont (Loir et) chers, et que je retrouve dans cette BD, cachée entre les bulles, un peu de cette vie de la région Centre, y compris le supermarché du coin.

C’est sorti en 2018 chez les toujours inspirés Futuropolis, ça se déguste tranquillement, avec en ligne de mire le travail psychiatrique original fourni dans un lieu devenu mythique.

http://www.futuropolis.fr/

(Warren Bismuth)

mardi 10 décembre 2019

Stéphane LEVALLOIS « Leonard2Vinci »


Un scénario résolument futuriste voire farfelu pour une BD bien calée dans l’air du temps pour le thème : pour célébrer les 500 ans de la disparition de Leonard de VINCI en cette année 2019, Stéphane LEVALLOIS met les bouchées doubles, et en partenariat avec le Louvre (ici co-éditeur) qui propose une immense exposition, il y va de son trait de crayon avec ce roman graphique fou fou.

En l’an 15018 (donc un peu après demain tout de même), un vaisseau, le Renaissance, renfermant les derniers vestiges des humains en vie après une attaque extra-terrestre, dérobe un tableau de VINCI exposé au musée du Louvre, « Sainte Anne, la vierge et l’enfant jouant avec un agneau ». Par chance, une empreinte digitale du peintre est retrouvée sur l’œuvre, c’est ainsi que ce cher Leonard est tout simplement cloné. Ce clone pourrait bien, afin de sauver la planète terre, faire revivre les « machines infernales » inventées tout au long de sa vie par de VINCI.

En effet, n’oublions pas que Leonard de VINCI fut aussi reconnu pour son sens très développé de la science, dessinant de nombreux croquis de machines diverses (dont la première voiture automobile, le premier homme volant ou le premier char d’assaut), fonctionnant selon des engrenages, de l’eau, la pression de l’air, des turbines, etc. Dans cette BD, ces machines ressuscitent, ou plutôt sont enfin réalisées (de VINCI n’a, pour la plupart d’entre elles, jamais fabriqué ces appareils). Comme une partie de ces créations était destinée à l’armée et à la défense, il suffira de s’inspirer du maître pour enfin fabriquer concrètement les engins.

Une BD en noir et blanc (sauf pour les peintures de VINCI, que LEVALLOIS a souhaité reproduire à l’identique, donc en couleurs), un scénario de science-fiction assez décoiffant, cette combinaison pourrait rebuter. Il n’en est rien, car c’est un plaisir de voir évoluer ces machines folles du génie, appuyées par des dessins complexes, parfois volontairement chaotiques (il en va de la survie de la terre tout de même !) et profonds sur le relief, certaines vignettes constituant une double page. L’histoire en elle-même, quoique peu sobre, reste simpliste, mais portée par ses exubérances graphiques, et sans l’aide du numérique, elle devient très plaisante, nos yeux s’arrêtant pour un temps long sur certains dessins sophistiqués. Le format de la BD étant plutôt grand, il est possible d’observer à loisir certains détails.

En fin de volume, l’auteur revient sur le travail accompli pour réaliser ce projet, sur les croquis pris en exemple, sur la trame qu’il en gardera. Les éditions Futuropolis n’ont peut-être jamais aussi bien porté leur nom, ce sont elles qui viennent d’éditer cette BD, en 2019 donc, pour fêter dignement un certain cinq centième…


(Warren Bismuth)

samedi 16 mars 2019

Jean-Luc CORNETTE « La perle »


Cette nouvelle BD de chez Futuropolis n’est autre que l’adaptation de la longue nouvelle éponyme de STEINBECK publiée en 1947, donc on n’est forcément pas en terrain inconnu.

Un couple d’indiens, Kino et sa femme Juana, dont le fils Coyotito vient d’être piqué par un scorpion à l’épaule. Le docteur, sachant que les indiens n’ont jamais d’argent, se fait porter pâle et refuse de soigner l’enfant. Kino, par ailleurs pêcheur de perles, va tout mettre en œuvre pour trouver fortune grâce à la pêche aux huîtres, et effectivement dans l’une d’elles se niche une énorme perle, la plus grosse que le monde entier ait jamais admiré.

Peut-on faire facilement fortune avec une perle ?  La réponse est évidemment négative : la méfiance, la convoitise, la cupidité, les nouveaux amis opportunistes, les parents du petit Coyotito ne vont pas tarder à percevoir l’âme humaine dans toute son horreur. L’argent rend fou ? Ce n’est jamais aussi vrai que dans cette adaptation très épurée, trois larges vignettes maximum par planche, pas plus, un minimum de détails, de longs traits réguliers, serrés, droits ou courbes, des couleurs vives mais là aussi expurgées, chaque couleur à sa place dans une case, les cases ne se mélangeant pas. Rien que la couverture de la BD donne parfaitement le ton.

Juana va bien tenter de raisonner Kino qui perd la raison, elle va vouloir le rendre comme avant, modeste et attentionné, mais cette diablesse de perle est la plaie de Kino qui ne voit plus que par elle. Juana proposera bien de s’en séparer, elle la voit comme une malédiction, Kino s’accrochant désespérément à sa trouvaille.

On n’imagine pas STEINBECK aussi décharné, aussi vide de paysages, cette découverte en dessins est assez étonnante par l’image qu’elle renvoie du travail de l’auteur. Pour le reste, les sujets chers à STEINBECK sont présents dans cette adaptation : la misère, le racisme, l’isolement, la violence, la cupidité de l’homme blanc, la dangerosité de la nature. Si le fond est parfaitement dépeint, la forme est déroutante. En effet, lorsqu’on lit STEINBECK, on voit des couleurs passées, jaunies, voire du noir et blanc (peut-être à cause de John FORD !). Et ici c’est la vivacité des couleurs qui saute aux yeux. Les dialogues sont peu nombreux, le silence est restitué par ce rendu efflanqué, un peu désespéré, aride, même les visages sont émaciés, les corps maigres aux os pointus.

Cette « Perle » parue en tout début de 2019 est décidément à découvrir pour tous les amateurs de STEINBECK, ne serait-ce que pour le découvrir sous une différente facette.


(Warren Bismuth)

dimanche 7 octobre 2018

Éric LIBERGE, Gérard MORDILLAT & Jérôme PRIEUR « Le suaire – Deuxième tome, Turin 1898 »


Après un premier tome se déroulant dans les environs de Troyes en France en 1357


où un faux suaire du Christ vient d’être fabriqué de toutes pièces, ce deuxième volet nous entraîne à Turin, Italie, en 1898. Une certaine Lucia faribole en secret avec Enrico, un député socialiste, loin des yeux de son père Tomaso, monarchiste convaincu et autoritaire, alors que le fameux suaire du Christ a élu domicile à Turin après être passé par Chambéry depuis son départ de Lirey en 1357, et qu’il va être pour la première fois photographié par le chevalier Secundo Pia sur fond de tension populaire contre la monarchie.

Seulement, c’est Enrico qui va prêter une partie du matériel nécessaire à la prise photographique, et sa présence lors du spectacle de démonstration de ladite photo est très mal perçue par Tomaso qui s’étouffe de rage. Lucia, la fille de ce dernier, est tiraillée et va devoir bientôt choisir entre son père ou son amant. Alors qu’elle observe la fameuse photo du suaire enfin développée et censée représenter la figure du Christ alors suant, elle y voit le visage de Tomaso, ou croit le voir. Un duel à mort se prépare…

Mêmes éléments que pour le tome 1, le scénario me paraît toutefois ici plus abouti. À partir d’une histoire vraie, celle de la première photo du saint suaire en 1898, à partir de personnages historiques ayant existé (c’est bien ce Secundo Pia qui a pris la photo), les auteurs imaginent une fiction assez sombre mais fortement teintée de romantisme. Cependant, à cette époque l’antisémitisme bat son plein et l’on se dispute la religion du Christ, refusant obstinément pour certains d’admette qu’il fût juif. Tous les débats ayant trait à la religion ou la politique (monarchistes contre socialistes) sont enflammés et exacerbés. La lutte est féroce et, sans mauvais jeu de mots, de mauvaise foi.

Mais encore une fois, ce sont les dessins qui donnent la véritable force de cet album : du noir et blanc très travaillé avec un relief impressionnant, des visages et corps très expressifs, des détails assez spectaculaires dans les décors, pour un rendu tout à fait éblouissant. Mention spéciale pour les somptueux intérieurs de bâtiments.

Le troisième et dernier tome emmènera le suaire du côté du Texas en 2019. Bien sûr, nous en reparlerons afin de clore à notre manière cette superbe trilogie. En attendant, le tome 2 vient de sortir chez Futuropolis, et vous feriez bien d’aller entre autres fouiller le visuel de l’affaire.


(Warren BISMUTH)

dimanche 1 juillet 2018

Vincent BAILLY & Tristan THIL « Congo 1905 – Le rapport Brazza, le premier secret d’État de la Françafrique »


Un long titre qui pourtant éclaire tout à fait sur ce que renferme cette BD historique : un rapport de 1905, considéré comme volé, perdu, puis détruit, qui refait surface et qui est la trame de ce récit. L’Histoire du Congo est un labyrinthe, un écheveau très complexe. Cette BD s’attache donc à la partie française du Congo au tout début du XXe siècle, et particulièrement lorsque Émile GENTIL en est commissaire général à partir de 1904 (il le sera durant 5 ans).

C’est pourtant un ancien commissaire général du Congo (entre 1891 et 1897), Pierre SAVORGNAN DE BRAZZA, qui  écrit un rapport accablant impliquant les hautes autorités françaises d’actes de barbarie sur le sol congolais envers la population autochtone noire. Il décide en 1905 de rédiger ce rapport après un immonde fait divers dit l’affaire GAUD/TOQUÉ, le premier administrateur des colonies, le second commis des affaires indigènes. C’est en 1903 qu’ils ont introduit un bâton de dynamite dans le rectum d’un homme afin de l’exécuter, mais ce n’est qu’en 1905 que l’affaire éclate.

Il serait très difficile en quelques lignes de revenir sur les relations, les faits divers, les mystères, les secrets du couple France/Congo d’alors. En tout état de cause, c’est bien BRAZZA qui va lancer l’alerte par son rapport dont la vie aura été particulièrement tumultueuse. Pour l’écrire, BRAZZA se rend à nouveau sur place, c’est là qu’il voit l’innommable : on torture, on tue, on fusille. La colonisation devient une loterie, ce sont les débuts de la fameuse Françafrique. Il va se donner les moyens de dénoncer cette horreur, même s’il sait qu’il met sa vie en danger.

C’est ce que raconte cette BD, de la genèse aux conséquences de ce rapport encombrant (la capitale Brazzaville tient son nom de BRAZZA). C’est parfaitement documenté et c’est agrémenté d’un dossier solide en fin de volume. De cette même époque mais pour la partie belge du Congo, l’excellentissime Éric VUILLARD avait écrit le roman d’un massacre, « Congo », un pays appartenant plus ou moins au roi belge LEOPOLD II. Dans cette BD, exactement durant les mêmes dates historiques, Vincent BAILLY et Tristan THIL nous plongent dans un autre bain de sang, un sang qui a eu du mal à éclabousser jusqu’en métropole étant donné le mystère longuement gardé à propos du rapport.

Une BD féroce et efficace qui fait réfléchir, et même si les auteurs s’empressent d’écrire qu’elle n’est pas exhaustive, elle est néanmoins un précieux témoin d’une période où les colonies résonnaient comme des camps d’esclavage, voire d’extermination. Les dessins sont bruts, la ligne assez violente, tout comme les visages représentés. Mais avec un tel scénario à décrire, on aurait eu du mal à trouver crédibles des sourires sur fond de rose bonbon. Remarquable travail, une BD pour ne pas oublier certaines exactions qui ont marqué un peuple à jamais. Paru chez FUTUROPOLIS en 2018.

http://www.futuropolis.fr/

(Warren BISMUTH)

vendredi 23 mars 2018

Emmanuel LEPAGE « Ar-Men, l'enfer des enfers » + DVD


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Cette superbe BD est la chronique d'un phare breton (inutile de faire le jeu de mots avec le far breton, on a déjà donné ! Et j'ai épuisé mon stock de farine hilarante). Présenté comme ça, le côté glamour vous échappe. Oui mais voilà. Les dessins sont admirables, le métier de marin est précisé : les nombreux naufrages au large de l'île de Sein entre 1703 et 1866, les bateaux s'abattant contre des récifs invisibles, des pièges tendus par la mer, les équipages qui boivent la dernière tasse de leur existence. La décision est prise de construire un phare au milieu de nulle part, juste au-devant des montagnes englouties, des morceaux de rocs immergés, pour prévenir les marins, tout à l'ouest, loin des terres.

C'est la pugnacité qui a construit ce phare. Lors de la proposition de projet, la population n'était pas d'accord. En effet, si les bateaux s'échouent moins, il n'y aura plus rien à piller, plus de nourriture à trouver dans les épaves. La Bretagne ouest va crever de faim, alors il faut que les autorités fassent les yeux doux et laissent miroiter du travail à profusion pour que le peuple se range derrière le projet comme un seul homme.

Puis on passe à l'étape de la construction. Laborieuse. Les assises du phare prennent vie sur un minuscule bout de rocher balayé en permanence par les vagues, les vents, les pluies. Les péripéties vont se succéder, romanesques. La construction aura duré 15 ans de 1866 à 1881), durant lesquels auront eu lieu 295 accostages pour des travaux ne représentant parfois que quelques minutes de travail effectif, 1421 heures de boulot acharné au total (moins de 8 heures par mois ! Des conditions difficiles rendant l’accès presque impossible), un mort à déplorer. D'immenses vagues auront fichu le château de carte dans la mer, on repartira de zéro. On inventera d'autres techniques. On tentera de minimiser une épidémie de choléra en cours sur l’île de Sein.

Une fois la construction terminée, il faudra dénicher des hommes assez cramés pour accepter de vivre dans cette tour de 32 mètres jaillissant de la mer. L'enfer des enfers. Le phare donne l'impression de flotter comme un bateau lorsqu'on le foule. Le mal de mer, mais sur de la pierre. Ar-Men va être habité pendant plus de 100 ans, avant d'être automatisé en 1990. C'est sur les murs mêmes de la tour que se révélera une partie de ses secrets, récits patiemment rédigés par divers gardiens de phares ayant vécu l'enfer et dont les messages furent redécouverts alors que l'on faisait de menus travaux et que les truelles besognaient allègrement sur les crépis. La BD va en outre s'articuler autour de légendes bretonnes. C'est là que l'on remarque le style original du dessin : sautant de siècle en siècle il se dilue pour bien nous faire saisir une atmosphère qui colle parfaitement à la période qu'il décrit.

Clou d'un spectacle pourtant déjà éclatant : LEPAGE dessine la mer à la perfection, il nous éclabousse les yeux à chaque page, nous invite à plonger (voir entre autres la couverture de l’album).

On a déjà là un objet assez singulier et de grande qualité, mais imaginez que l'on vous a concocté en bonus un DVD, rien que pour le plaisir, en l'occurrence un documentaire de 52 minutes réalisé par Herlé JOUON sur les phares de Bretagne et en particulier cet Ar-Men, le reportage avait été initialement tourné pour l'émission maritime « Thalassa ». C'est visuellement exceptionnel. On suit le photographe Jean GUICHARD, spécialiste des phares, ici en pleine prouesse en direct d'un hélicoptère duquel il tire ses clichés somptueux. Et puis on est témoins de la mission que s'est donné Emmanuel LEPAGE pour prendre la température avant d'entamer le travail de sa BD. Tel un trapéziste ou un funambule en équilibre, il se balance au bout d'une corde avant d'atterrir (amerrir ?) sur le pont de la tour du phare. Les images sont spectaculaires, les couleurs vivifiantes. La nature est montrée dans sa nudité, son apaisement comme dans son hostilité. L'odeur des embruns nous pénètre. Une BD, un DVD, faire d'une pierre deux coups pour un document tout à fait digne d'intérêt. Sorti en 2017 chez FUTUROPOLIS.

(Warren Bismuth)

vendredi 16 mars 2018

Éric LIBERGE, Gérard MORDILLAT & Jérôme PRIEUR « Le suaire – Premier tome, Lirey, 1357 »


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Nouvelle série BD qui sera sous forme de trilogie (j'ignore les prévisions de dates de parution des deux prochains volets). Penchons-nous calmement sur ce premier tome. Ouvrons-le. Et là tout de suite un choc. Pardon, LE choc. Non mais franchement, les dessins. Avant même de lire le scénario. Comme ça, à froid. Coup de foudre. Cœurs en suspens. C’est pas humain. On frise la perfection, du noir et blanc hyper stylisé, détaillé jusqu'à l'obsession, à chaque vignette ou presque une sorte de fresque devant laquelle on reste longtemps en pâmoison (pourquoi ça me rappelle par moment les dessins de MOISAN dans « Le Canard Enchaîné » des années 1960 ? Les pages pleines de MOISAN représentant un DE GAULLE monarque). Du noir très noir et du blanc immaculé. Devant une telle beauté on en oublierait presque de lire les bulles.

Cette trilogie sera sous le signe du Saint Suaire, une épopée du tissu dans lequel fut enveloppé le christ à sa mort. Si le deuxième volume se déroulera au XIXème siècle à Turin et le troisième dans l'Espagne contemporaine, ce premier a lieu en France, en Champagne plus précisément, du côté de Troyes en 1357. L'énigme n'est à vrai dire pas spectaculaire au fond, pas d'infernaux rebondissements. Dans un pays touché par la peste, Lucie aime son cousin Henri, évêque de Troyes, et souhaiterait l'épouser. Seulement il y a Thomas, prieur de l'abbaye de Lirey, sorte de gourou qui va entraîner Lucie dans un pacte morbide : fabriquer un faux suaire du christ pour haranguer les foules et remplir l'église de fidèles car la communauté a besoin d'argent pour construire une abbatiale afin de recevoir un morceau de La Vraie Croix (un bout de la croix du christ durant sa crucifixion sur le mont Golgotha).

Pas de quoi se relever la nuit me direz-vous. Peut-être, mais les dialogues sont bien écrits (par Gérard MORDILLAT et Jérôme PRIEUR, nom prédestiné pour ce genre de projet). Les deux lascars ont déjà un joli CV ensemble puisque à quatre mains ils ont entre autres sorti des films et séries documentaires (« Corpus Christi », « L'origine du christianisme », c'était eux) et des essais sur Jésus. En carrière individuelle et rien qu'en romans, MORDILLAT en a pondu une trentaine (la plupart pour la jeunesse). PRIEUR est spécialisé dans les documentaires (écrits et filmés) et essais, solide liste de publications pour lui aussi.

Revenons au présent volume : il y a cette intrigue concernant le suaire : en existe-t-il un vrai de vrai quelque part souillé de la sudation du christ alors qu'il semble si aisé d'en inventer de faux ? Quant aux dessins, je ne reviendrai pas sur leur élégance maximale, je rappellerai néanmoins qu'Éric LIBERGE a déjà commis pas mal de BD, dont les séries « Les corsaires d'Alcibiade » et « Monsieur Mardi-Gras Descendres » (entre autres), des biographies (notamment sur STALINE et Alan TURING). Rarement je me trouve à contempler aussi longtemps les dessins d'une BD sans me précipiter sur la lecture des dialogues. Je vous lance un défi : allez visiter votre magasin de bandes dessinées favori, demandez l'ouvrage en question, asseyez-vous et commencez à tourner les pages en observant les dessins, sans vous préoccuper de la lecture, je suis sûr que ça va fonctionner. Un conseil : ne prévoyez pas de rendez-vous chez le dentiste juste après car vous pourriez fort bien lui poser un lapin et lui donner l'opportunité de se venger sur vos molaires lors de la prochaine séance.

Bref, ces dessins possèdent une force inouïe qui est tout bonnement hypnotique, une raison pour faire durer cette lecture, encore et encore, car ces 70 pages passent très vite. Le projet de proposer une trilogie courant sur 3 époques séparées de sept siècles semble très ambitieux, attendons les deux prochains volumes, mais nul doute que la claque des dessins sera encore bien présente. C'est sorti chez FUTUROPOLIS en 2018 et c'est plus que prometteur.

(Warren BISMUTH)


mercredi 13 septembre 2017

Bruno CADÈNE, Xavier BÉTAUCOURT & Éric CARTIER« One two three four Ramones»


La BD De La Semaine : « One, Two, Three, Four, Ramones ...

La très chaotique carrière des RAMONES enfin disponible en bande dessinée (en version crayon à papier, ce qui nous ramène (sans jeu de mots) plus aisément à cette période des 70’s) ! RAMONES c’est ce groupe de New-York considéré comme l’inventeur du punk-rock (dès 1974) avec ce premier album sorti en 1976, soit avant la vague anglaise. Les vagues, il va d’ailleurs en être question dans cette BD, des vagues très écumantes faites par les membres des RAMONES : défonce en permanence, toute la dope, toutes les dopes sont bonnes à prendre, jusqu’à friser le pathétique. Et puis il y a l’alcool, et ces tournées interminables. Les scénaristes ont tout d’abord décidé de suivre plus particulièrement le parcours de Dee–Dee RAMONE, depuis son enfance (sur près de la moitié de la BD) jusqu’au premier concert des RAMONES en 1974. Puis ils vont se focaliser sur le groupe, des authentiques détraqués à la sauce new yorkaise. Derrière la musique, les albums (parfois ratés), l’immense notoriété, on va aller prendre des nouvelles des membres du groupe, junkies invétérés, ivrognes, certains schizophrènes ou bipolaires, un sacré tableau de gueules cassées et défoncées (à la came bien sûr). La carrière des RAMONES n’est pas précisément une promenade de santé ni un havre de paix : bastons, disputes, qui vont mener certains membres à ne plus s’adresser la parole, ce qui peut vite paraître anxiogène quand un groupe tourne dans un van, avec la promiscuité quotidienne, les pétages de plombs à répétition, les batteurs qui se barrent, sont remplacés, parfois à l’arrache, reviennent, les petites amies échangées. Cette BD est un résumé éclectique (et bien sûr électrique) mais éclairant sur ce groupe de véritables losers qui aura mené jusqu’à épuisement une carrière de 1974 à 1996, tournant partout, ne parvenant jamais à se défaire de ses démons d’addictions. Une BD qui aurait pu être sous-titrée « 4 garçons dans le vin », même si c’est surtout le whisky qu’ils biberonnaient entre 2 piquouzes et un paquet de clopes. Fin de l’aventure lors d’un concert mémorable en 1996. La suite est brève : 3 membres originaux morts entre 2001 et 2004, le 4ème en 2014. En fin d’ouvrage, un dossier bien fichu explique certaines pages de la BD en rajoutant des anecdotes quelque peu croustillantes. Même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque, je ne vais pas vous dévoiler tous ces bouts de vies racontés dans ces pages, l’effet de surprise devant rester entier. N’étant pourtant pas un grand fan des RAMONES, j’avoue que cette BD m’a beaucoup plu, peut-être plus pour l’aspect des racines du punk, des racines morcelées, effritées, avec quelques autres références musicales venant agrémenter les propos. Les RAMONES représentent bien à eux seuls ce slogan en verve depuis si longtemps « Sex drug and rock’n’roll ». Jusqu’à la mort… BD sortie en 2017 chez FUTUROPOLIS.
http://www.futuropolis.fr/

(Warren Bismuth)