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jeudi 30 novembre 2017

Fabien HEIN et Dom BLAKE « Écopunk : Les punks, de la cause animale à l’écologie radicale »


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Voilà un outil indispensable pour mieux connaître les racines, les valeurs notamment écologiques et le mode de vie du mouvement anarcho-punk mondial. Tout d’abord il est agréable de constater que les auteurs connaissent bien leur sujet puisqu’ils font référence à des groupes et organisations restés parfois très en marge au sein même d’un milieu pourtant – volontairement – très peu médiatisé. Tout est ici scruté : la naissance de cette mouvance dès 1977 en parallèle au déferlement punk-rock, les influences allant chercher clairement du côté du mouvement hippie des fin 60’s/début 70’s, mais aussi chez des écologistes qui a priori n’ont rien à voir avec les punks : Murray BOOKCHIN, Jacques ELLUL, Ivan ILLICH, Peter SINGER, Léon TOLSTOI, et surtout ce diable d’Edward ABBEY, écrivain eco-warrior États-Unien totalement époustouflant (que je vous conseille de lire de toute urgence ! Six de ces livres traduits sont disponibles chez les excellentes Éditions GALLMEISTER), et bien sûr chez les théoriciens d’un anarchisme pleinement revendiqué et concrétisé quotidiennement. Résumer ce documentaire n’est pas une mince affaire pour moi, immergé dans ce mouvement politique, social et musical depuis maintenant plus de 30 ans, donc avec sans doute ce manque de recul pourtant nécessaire pour analyser objectivement la situation. L’histoire de l’anarcho-punk, si elle est passée au crible sur ses sources, est développée concernant l’écologie, incluant des thèmes aussi variés que la lutte anti-nucléaire, l’anti-bagnole, la promotion du vélo comme moyen de transport (les fameux bikepunx), la défense animale (contre la vivisection, la torture animale, pour le végétarisme (dès la fin des 70’s) puis le véganisme (dans les 80’s et surtout 90’s), contre le cuir, pour la libération des animaux de laboratoires notamment par le biais de structures telles l’A.L.F. ou l’E.L.F., pour l’antispécisme malgré ses limites évidentes, les auteurs posant des questions très pertinentes sur le sujet), contre l’aliénation technologique née du progrès à tout prix, pour le développement de communautés le plus souvent squattées (en héritage des hippies) où le but est le maximum d’autosuffisance et d’autonomie, pour la floraison de squats urbains actifs de contestation et de recherches de solutions, mais aussi parallèlement pour la permaculture et la ruralité (détaillées en fin de volume), et en général contre l’ogre capitaliste, le travail salarié aliénant et pour le Do it yourself (D.I.Y., « fais-le toi-même ») au quotidien. La toile de fond de cette réflexion ; CRASS, communauté hautement influente et groupe musical inventeur de l’anarcho-punk (le groupe en tant qu’entité musicale n’existera que de 1977 à 1984, mais le collectif est toujours actif). C’est par le prisme de ce groupe majeur que les auteurs vont présenter et développer la pensée anarcho-punk pour laquelle CRASS est la véritable figure de proue dissidente et libre dès 1977, CRASS dont le batteur Penny RIMBAUD est déjà un « vétéran » lors de l’explosion du punk et a acquis de l’expérience en matière d’autonomie et d’autogestion communautaire. C’est avec Gee VAUCHER (la responsable des visuels de CRASS) qu’ils ont fondé DIAL HOUSE, une communauté rurale anarcho-punk dans les 70’s, ils ont littéralement débroussaillé pour ce qui deviendra une vague immense. Les textes et actions du mouvement sont expliqués grâce à de nombreux documents (interviews, écrits dans des fanzines, paroles de groupes, sabotages, manifestations, tracts, etc.) et d’innombrables liens à donner le tournis à chaque page. Le mouvement écopunk part d’Angleterre avec CRASS bien sûr, rapidement suivi par des groupes comme POISON GIRLS, FLUX OF PINK INDIANS, CONFLICT, CHUMBAWAMBA, ou encore OI POLLOI en Écosse. Lorsque je parlais d’auteurs qui connaissent leur sujet, c’est aussi parce qu’ils s’attardent sur un groupe absolument méconnu, SAW THROAT (les musiciens du groupe bruyant SORE THROAT), qui n’a sorti qu’un album (absolument magistral par ailleurs) en 1989, dans une indifférence assez totale pour un discours écologiste assez poussé, appuyé par un poster inséré dans le disque. Un focus est également présenté par le biais du groupe folk-punk BLACKBIRD RAUM. Les revendications de CRASS vont passer l’Atlantique pour devenir une arme assez redoutable aux Etats-Unis et Canada dès la fin des 70’s et le début des 80’s, avec des groupes comme D.O.A., DEAD KENNEDYS et leur chanteur charismatique Jello BIAFRA, M.D.C., et plus près de nous avec entre autres PROPAGANDHI (très présents dans l’ouvrage), AUS-ROTTEN ou encore APPALACHIAN TERROR UNIT, sans oublier le fanzine et label PROFANE EXISTENCE, sorte de détonateur du véritable mouvement anarcho-punk États-Unien. Tout n’est pourtant pas idyllique dans cette lutte quotidienne pour une survie moins polluante et plus responsable, puisqu’il y a les groupes plus « hardlines » qui insultent, condamnent de manière véhémente et prennent à partie les gens qui ne pensent pas comme eux (la plupart de ces groupes ne feront pas une longue carrière, détestés au sein même de l’anarcho-punk, mais leur influence première en matière de véganisme notamment n’est pas à sous-estimer). Une chronique trop pointue de ce sommaire vertigineux serait sans nul doute contre-productive, aussi je vous conseille de directement commander et vous plonger dans ce guide de l’Histoire de l’anarcho-punk et écopunk. Nous pourrons regretter toutefois les références presque monopolistiques pour les mouvances anglaise et États-Unienne, omettant presque systématiquement les luttes pourtant bien réelles dans d’autres pays, sur d’autres continents, même si ces luttes furent évidemment très influencées par cette étincelle que fut CRASS. Ne pas oublier qu’en France (l’un des auteurs est français, d’où ma remarque), la question de la défense animale est présente chez les groupes punks dès le milieu des 80’s, se développant durant la décennie estampillée 90, il en est de même pour les collectifs de squats et de structures autogérées. Le mot « radical » dans le titre peut aussi questionner, car aujourd’hui je reste personnellement persuadé que c’est bel et bien le capitalisme qui est radical, non pas les moyens utilisés pour le combattre. Ce bouquin rend hommage à tou.te.s ces punks politisé.e.s d’une manière tout à fait respectable voire perspicace, comme il rend hommage à un mouvement entier resté volontairement dans l’ombre, comme une revendication anonyme sans meneurs (l’anonymat y est absolument crucial), sans tête pensante, sans hiérarchie, sans chefs, sans réelle organisation, une immense structure déstructurée en somme. À une période où l’on semble rechercher des leaders pour relayer une juste cause, il est nécessaire de se souvenir que les anarcho-punks n’ont jamais accepté aucun leader, pourtant le mouvement perdure et reste fort et dérangeant, comme il l’a toujours été. Comme quoi une figure unique ne paraît pas toujours souhaitable. La conclusion partielle après la lecture de cet ouvrage pourrait être la suivante : même s’ils n’ont rien inventé ou pas grand-chose, les anarcho-punks ont toujours été à la pointe, voire à l’avant-garde des luttes environnementalistes et dans toutes leurs ramifications, pas seulement pour dénoncer, mais aussi pour construire un autre monde. Ils furent parmi les pionniers de sujets sociétaux aujourd’hui au cœur des réflexions, notamment sur la question animale, anti-nucléaire, anti-capitaliste, mais aussi plus prosaïquement sur la culture D.I.Y. (on en parle beaucoup depuis quelques années dans les milieux bobos qui croient avoir inventé le fil à couper le plomb). La curiosité des anarcho-punks a fait que leur combat a toujours été au cœur de leurs pensées et de leur environnement, ceci bien avant que les médias s’emparent des sujets, un mouvement d’une incroyable richesse, d’un foisonnement sans fin, qui fait qu’aujourd’hui il est presque stupéfiant de constater que nombre de problèmes sociétaux du XXIème siècle ont déjà été débattus chez les anarcho-punks depuis deux ou trois (parfois quatre !) décennies. N’oublions pas celui sur l’écriture inclusive, débat absent – car hors sujet – dans le présent livre mais pourtant bien réel chez les anarcho-punks depuis plusieurs décennies. Pour finir, il me paraît indispensable de voir en ce mouvement un vrai « lanceur d’alerte » général et toujours vif, sans cesse aux aguets et loin d’être éteint. Sans tomber une seule seconde dans l’idolâtrie, n’oublions jamais l’impact qu’a pu avoir CRASS sur les questions politiques, environnementales et de cause animale. Ce documentaire qui fait un bien fou est sorti aux Éditions indépendantes (forcément) LE PASSAGER CLANDESTIN en 2016. L’ultime conclusion (après je vous rends votre liberté, promis craché) sera celle même de ce livre hautement salutaire : « On pourrait bien se convaincre aujourd’hui que, si le punk est mort, son cadavre bouge encore ». Et pour longtemps.


(Warren Bismuth)

dimanche 26 novembre 2017

Patrick ROTMAN & Benoît BLARY « Octobre 17 »


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Pour marquer le centenaire de la sinistre Révolution Russe, de nombreux ouvrages sont venus décorer les vitrines des librairies et autres bibliothèques. Il faudrait plusieurs vies pour tout lire, aussi allons-nous plutôt nous attarder sur une bande dessinée. Pas n’importe laquelle car deux fins limiers sont à la manoeuvre. On ne présente plus Patrick ROTMAN et ses nombreux travaux historiques, politiques, où d’ailleurs les deux sujets sont souvent intimement liés. Petite liste de ses méfaits, loin d’être exhaustive (ce Monsieur a beaucoup travaillé et beaucoup produit). Documentaires télé : « La guerre sans nom » (avec Bertrand TAVERNIER, sur la guerre d’Algérie), « L’ennemi intime – violences dans la guerre d’Algérie », « La foi du siècle – Histoire du communisme » (en 4 parties, ce qui montre qu’il n’est pas un débutant pour réaliser la présente BD), « Chirac » (en 2 parties), « 68 », « Le grand Georges » (sur le résistant Georges GUINGOUIN), « Les fauves (sur la haine viscérale entre SARKOZY et VILLEPIN). Scénarios de films : « Nuit noire – 17 octobre 1961 » (sur les violences policières orchestrées par Maurice PAPON à l’encontre des manifestants algériens), « La conquête » (sur la carrière politique de Nicolas SARKOZY à partir des années 2000), « L’ennemi intime » le film. Dans une moindre mesure il a écrit quelques livres de référence sur des sujets qui lui tiennent à coeur. Bref, un caïd. Je découvre (blâmez-moi !) Benoît BLARY, dessinateur de bandes dessinées et beaucoup plus jeune que son comparse ROTMAN. Il semble lui aussi travailler sur les thèmes de la politique et de l’Histoire même si son curriculum vitae est bien moins étoffé. En ouvrant cette BD, on sait qu’on va être au plus prêt de l’Histoire. Les auteurs ont choisi de dépeindre la Russie entre la première tentative de Révolution en février 1917 et sa véritable exécution (c’est le cas de le dire) en octobre de la même année. Environ six mois racontés avec détails, passion pour un scénario qui tient franchement la route. De la première tentative par LENINE – même si une répétition générale avait eu lieu en 1905 - entraînant la chute et l’abdication du tsar Nicolas II à l’armée menée par TROTSKI en passant par la formation d’un gouvernement provisoire et boiteux puis les balbutiements d’un jeune loup aux dents longues qui fera bientôt tristement parler de lui : Joseph STALINE. Les diverses tractations, intimidations sont passées au peigne fin. C’est aussi la mise en place pratique de l’idéologie bolchevik. Mon but n’est pas ici de résumer ces six mois, les événements en sont connus et consultables aisément (et ROTMAN a infiniment plus de talent que moi pour le faire !), mais plutôt de vous faire part de cette BD très bien fichue, avec ses dessins réalistes au couleurs jaunies, comme si les auteurs exhumaient de vieilles photos d’époque. Un bref dossier vient accompagner le tout, pour nous y retrouver dans la chronologie. Sortie en 2017 et co-éditée par SEUIL et DELCOURT. Cette chronique est aussi là pour rappeler le gros travail au fil des décennies de ROTMAN, ruez-vous sur ses documentaires, ses films et ses livres, vous ne serez pas déçu.e.s.

(Warren Bismuth)

Charlotte DELBO « Ceux qui avaient choisi »


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Une fois n’est pas coutume, un bouquin étudié au collège, une pièce de théâtre plus précisément. Charlotte DELBO a été déportée pendant deux ans durant la seconde guerre mondiale après avoir subi la perte de son mari et cette Françoise de la pièce est le double de Charlotte. Pièce en deux actes dont le premier se décline en deux tableaux : dans le premier, Françoise, ancienne déportée, rencontre Werner, ancien nazi plus ou moins repenti, sur la terrasse d’un bar d’Athènes vingt ans après la fin de la guerre. Le deuxième tableau revient sur la relation de Françoise avec son mari, leur dernière entrevue à la prison de la (mauvaise) Santé puis l’assassinat de celui-ci par les milices. L’acte second est la suite de l’entretien de Françoise avec Werner. Un Werner qui déclare avoir été faible, influençable, Françoise campant sur ses positions de Résistance au nazisme, expliquant que la population allemande connaissait le projet d’Hitler avant même la guerre, Werner gêné, compatissant, souffrant d’avoir été lâche. Les dialogues sont étonnants, où l’on sent Françoise à la fois respecter et haïr un interlocuteur qui vient de voir en elle le sosie de sa propre femme morte durant la guerre. Certains échanges sont très forts, implacables. Un Werner tombant immédiatement amoureux d’une Françoise dont le cœur ne bat plus pour l’amour depuis la mort de son mari. Le livre est bien documenté avec notamment une biographie expresse de Charlotte DELBO, le contexte historique de la pièce, des repères également historiques, des pages centrales représentants des œuvres en couleur de cette période, et surtout en fin de volume des extraits du triptyque de Charlotte DELBO consacré à Auschwitz, bien plus qu’une autobiographie de déportée. Ici, on remarque bien également l’aspect autobiographique dans les dialogues. Ce que l’on se demande toujours, c’est comment les collégien.ne.s vont prendre cette pièce, car derrière le ton plutôt posé et calme des dialogues, il est bien question d’horreur sans nom. Cette pièce fut écrite en 1967, nous vous présentons une édition toute récente de 2017, 50 ans après, comme une commémoration. Pour ne pas oublier.


(Warren Bismuth)

vendredi 24 novembre 2017

Georges SIMENON « La danseuse du Gai-Moulin »


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Il était inconcevable que je continue à alimenter ce blog sans présenter au moins un volet de la longue série des Maigret (mais il y aura sans doute d’autres chroniques ultérieurement), l'un des personnages fictionnels qui m'a le plus marqué. SIMENON l'a développé tout au long de sa carrière littéraire, comme si Maigret était l'organe respiratoire du romancier, voire le romancier lui-même. Commissaire découvert par le public dans le roman « Pietr le Letton » en 1931 (nous verrons plus loin qu'il est en fait apparu par écrit dans l'univers et l'imagination de SIMENON dès 1929), il rend son tablier en 1972 par « Maigret et Monsieur Charles ». En 1976 si ma mémoire est exacte, après en avoir pourtant fini avec Maigret depuis 4 ans, SIMENON lui écrira une lettre factice pour le remercier sur un ton plein de sollicitude. Durant ces quelques 41 années sont écrits 75 romans (nous verrons là aussi que ce n'est pas tout à fait vrai) et 28 nouvelles, tous d'une grande qualité. Nous passerons sur les nombreuses adaptations télévisuelles ou cinématographiques, nous en aurions le tournis. Maigret est un personnage assez stable, en ce sens où il n'évolue pas tellement durant la vie que lui prête SIMENON, si ce n’est qu’il picole peut-être un peu moins au fil des années (comme son auteur). Maigret représente tout de même près de la moitié des productions de SIMENON à partir de 1931 lorsque celui-ci choisit de signer ses romans de son vrai nom. Ici c'est la dixième enquête (cette chronique montrera par la suite qu'il n'en est rien) officielle du commissaire, parue en 1931 (oui, pas moins de dix romans de Maigret sortiront durant l’année en question). Dans cette affaire se déroulant dans les quartiers de Liège (SIMENON y est né en 1903), deux jeunes hommes, Delfosse et Chabot, cherchent à subtiliser l’argent de la boîte de nuit « Le Gai-Moulin » dont ils sont pourtant des piliers. Après la fermeture, ils se laissent enfermés dans la cave de l'établissement afin d'en fracturer le tiroir caisse. Mais rien ne se déroule comme prévu, et au pied du comptoir menant à la caisse, c'est un cadavre qu'ils rencontrent, celui de Graphopoulos, petit caïd grec sans envergure et comme eux habitué des lieux. Ils s'enfuient à toutes jambes. Le corps de la victime est retrouvé le lendemain, pas du tout dans les murs du « Gai-Moulin », mais dans un jardin d’acclimatation, dans une malle en osier. Un véritable sac de nœuds se présente alors aux services de police liégeois, d'autant que s'il existe bien des questions d'argent dans ce hold-up manqué, se mêlent par-dessus celles de coeur (la présence de la très convoitée Adèle), de rivalité, assorties de dimensions psychologiques chères à SIMENON. Dans ce roman, un détail frappe : c'est l'une des rares fois dans la « vie » de Maigret qu'il ne prononce sa première phrase qu'à environ la moitié de l'enquête. Si l’on aperçoit Maigret effectivement auparavant, ce n'est que par sa silhouette, il ne dit mot, et l'on finit par douter de l’identité de l’inconnu terré dans l'ombre. Autre élément assez significatif : le dénouement est particulièrement soigné, peut-être plus complexe que la moyenne de la série, avec des ramifications assez ténébreuses. Plusieurs rebondissements ainsi que des situations plutôt inédites (« imagine-t-on le commissaire Maigret mis en examen ? » pour presque paraphraser l'ami FILLON) et des trouvailles scénaristiques tout à fait dignes d'intérêt. Il est difficile de « noter » un volume des Maigret car tous me paraissent complémentaires et captivants dans l'exercice dramatique et la construction des faits divers et des enquêtes qui en découlent. À ma connaissance aucune enquête n'est faible, tout est parfaitement huilé (SIMENON aimait à répéter qu'écrire les romans de Maigret le divertissait après les longues et douloureuses suées lors des accouchements difficiles de ses « romans durs »), tout est en place, aucun grain de sable à déplorer dans l'engrenage. Pour vous en rendre compte, je vous conseille de lire par exemple l'une (au moins !) des 28 nouvelles où le commissaire y apparaît, car même en quelques pages les descriptions sont détaillées à l’extrême et les enquêtes minutieuses, de vrais tours de force. J'écrivais au début de cette chronique que Maigret n'a pas vraiment été inventé dans le roman « Pietr le Letton » (pourtant le premier roman officiel de la série) et qu'il y a eu plus de 75 romans avec le commissaire. En effet, avant de signer du nom de Georges SIMENON à partir de 1931, l’auteur a auparavant utilisé divers pseudos, et sous ces faux patronymes, il a déjà fait vivre Jules Maigret, il l'a esquissé, le rendant de plus en plus charpenté au fil des enquêtes. Avant ce « Pietr le Letton » écrit en mai 1930, Maigret a déjà été testé dans les romans suivants : « Train de nuit » (où le commissaire n'est que figurant, mais ici paraît pourtant être sa « vraie » naissance), « La jeune fille aux perles », « La femme rousse », « La maison de l'inquiétude », et « L'homme à la cigarette », cinq romans écrits en 1929 et 1930 mais qui ne seront publiés originellement qu'entre 1931 et 1933 (c'est-à-dire après les premières publications de Maigret, ce qui les a peut-être de fait relayés au second plan, d'autant qu'ils ne seront jamais regroupés dans les intégrales de Maigret car sortis sous pseudonymes, et même pas mentionnés dans les listes pourtant dites exhaustives). Tous les cinq ont été regroupés en un même volume sorti chez OMNIBUS en 2009 : « Maigret entre en scène », un ouvrage de 700 pages, indispensable pour tout fan de Maigret qui se respecte, et une immense surprise à sa lecture, car il est indéniable que Maigret est bien né à ce moment-là, quelques mois avant sa première apparition en édition, avant sa naissance officielle, une sorte de préquelle comme nous dirions aujourd'hui, où tout au long de ces cinq enquêtes, SIMENON se  fait la main et épaissit son personnage au fur et à mesure. Ce ne sont donc plus 75 mais bien 80 romans dans lesquels figure le célèbre commissaire. Il ne sera pas nécessaire de vous présenter ni de vous faire part de toutes les enquêtes de Maigret que je lis (j'en suis un grand consommateur, et me trouve présentement à avoir presque entièrement épuisé la collection), mais je me devais de l'introduire dans ce blog un jour ou l'autre car Maigret m'a accompagné une bonne partie de mon existence, que ce soit par le cinéma (ma préférence ira vers sa représentation sous les traits de Jean GABIN), la télé (un Jean RICHARD un brin emprunté dans ma lointaine jeunesse, puis bien sûr un Bruno CREMER impeccable et crevant l’écran) ou par le « vrai », celui des soirées lecture en mode farniente sous la couette en compagnie de SIMENON (oui, sous la couette, car ce diable de Maigret se consomme de préférence de la fin de l'automne au début du printemps). L'une des plus magiques rencontres possibles avec la littérature de séries, de celles qui vous collent définitivement à la peau et finissent par vous hanter à vie.


(Warren Bismuth)

mercredi 22 novembre 2017

Gisèle FOURNIER « Le dernier mot »


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Une femme dont nous ignorons le nom décide de prendre la plume pour exprimer son mal-être, sa dépression et sa fatigue de vivre. De vivre dans les conditions actuelles de son environnement personnel. Son mari ne l’aime plus et la délaisse. Certes ensemble ils ont eu une fille (Émilie, enfant qu’elle ne voulait pas, la seule qui aura une identité dans ce roman, ce n’est pas un hasard) mais l’homme a accaparé celle-ci dès son adolescence par le biais de la peinture pour isoler la mère qui semble sombrer dans la folie. L’homme, volage, tente bien une virée du côté de l’Espagne pour que le couple se ressource et se ressoude puisque Émilie a quitté le domicile conjugal. Ils ne parviennent pas jusqu’à leur but. La femme se sent trop mal psychiquement, épuisée, comme détruite, victime d’un fardeau trop lourd à porter. Elle se sent en effet dénaturée, epiée en permanence, comme victime d’un vaste complot. Le couple s’arrête néanmoins dans un petit port. La femme voit dans un filet que remontent des pêcheurs un corps féminin, sans vie. Son mari n’y ayant vu que des poissons la décrédibilise. Pourtant, dans le journal du lendemain, un article fait part de la découverte d’une femme dans un filet de pêcheurs. Et si le mari était coupable ? Par sa dénégation ? Son attitude sur la défensive ? La femme en est certaine, quand ledit mari est retrouvé défenestré. Ce roman est découpé en deux parties distinctes : le carnet intime de la mère, tantôt en narratrice, tantôt témoin de sa propre vie, une seconde voix parlant à la troisième personne, qui serait une sorte de conscience, de lucidité, de garde-fou. La seconde partie est tenue par les écrits d’Émilie qui font écho à ceux de sa mère. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les évènements ne correspondent pas du tout à ceux relatés par la maman ! Un court roman qui traite de sujets graves comme l’alcoolisme, la persécution, mais surtout la mythomanie et la perversion narcissique, l’emprise puis la victimisation. L’écriture y est chirurgicale, d’une précision extrême, les phrases longues alternant avec les courtes. Comment un être peut-il manipuler ses proches avec constance et sans discernement ? Une plongée stupéfiante au coeur de cette mythomanie dont il paraît indéniable que l’auteure en fut victime, tellement les exemples et les actions du quotidien collent parfaitement avec celles dont se souviennent d’autres victimes, elles aussi abusées, trahies, et parfois détruites. Tout sonne ici comme du vécu, c’en est effrayant de lucidité et de réalité : les crises de nerfs, les espionnages incessants, les inventions sans fin, la terreur pesant sur les proches. Un roman indispensable pour celles et ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion sur la perversion narcissique, pour bien prendre conscience qu’un destin aussi machiavélique peut entrer à tout moment dans notre vie et qu’il est urgent de s’en prévenir. Un bouquin qui pourrait être un récit, sorti en 2010 chez MERCURE DE FRANCE, sa lecture laisse des traces, fait resurgir, chez les victimes des faits, des situations du quotidien qui, si elles mettent mal à l’aise, permettent de constater que cette pathologie n’est pas un cas isolé, ce qui peut en quelque sorte rassurer, et se dire que toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé (dans notre parcours) n’est absolument pas fortuite. Le goût laissé est plutôt celui du dégoût, un roman salutaire pour faire explorer la dangerosité extrême des pervers.es narcissiques et donner des pistes concrètes. Si ce livre peut paraître une fiction, je peux vous assurer qu’en fin de compte il n’en est nullement une, c’est ce qui fait son poids et son implacabilité, un roman d’une immense force. Merci Madame FOURNIER !

(Warren Bismuth)

lundi 20 novembre 2017

Mademoiselle CAROLINE & Julie DACHEZ « La différence invisible »


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Sous le feu des projecteurs aujourd’hui une BD m’ayant été fortement conseillée par plusieurs personnes, et comme je sais qu’elles sont sensibles à mon bien-être et désireuses d’enrichir ma culture personnelle, j’ai emprunté l’objet d’une main légère, confiante et intéressée. Pour le meilleur. Un sujet très original traité ici : l’autisme d’Asperger. Je ne rentrerai pas dans les débats au cours de cette chronique servant à soumettre un sujet et non de le développer ni de l’analyser (j’en serais d’ailleurs bien incapable). Ce syndrome d’Asperger est encore peu connu en France (on a un énorme retard sur ce point), mais pour simplifier très grossièrement, une personne qui en est atteinte souffre : dans ses relations sociales, du bruit au quotidien, d’un imprévu « cassant » ses habitudes, ses nuits sont agitées, son discernement sur « l’autre » n’est pas affûté (de fait elle ne porte aucun jugement sur autrui), ses besoins de repères sont énormes. Pour mieux comprendre et étendre le sujet il vous faudra lire cette excellente BD où l’autisme d’Asperger est exposé sous les traits de Marguerite, atteinte du syndrome, évoluant difficilement dans un quotidien angoissant pour elle. Nous la suivons d’heure en heure, au travail, avec ses ami.e.s, dans sa relation de couple, dehors en ville, mais aussi dans son cocon, son appartement, où là elle se sent en sécurité. Les dessins sont tantôt gris (pour les périodes de doute ou la routine), tantôt très colorés (pour les crises de panique ou au contraire les moments de grand bonheur), toujours modernes, volontiers naïfs, minimalistes, épurés. Les dialogues sont simples et les auteures évitent les termes techniques qui pourraient détourner les lecteur.ices. En fin de volume, une présentation de l’autisme en général, de celui d’Asperger en particulier, points faibles, points forts, difficultés rencontrées. Cependant il n’est pas dit s’il faut répondre à tous les critères ou seulement à une partie pour être diagnostiqué.e Asperger, donc ce point est resté très flou dans mon esprit et a engendré comme un trouble. Mais ruez-vous sur cette BD très ludique qui développe un vrai sujet méconnu sans en tartiner à outrance de manière trop scientifique, donc facilement accessible et pas élitiste. Et l’idée de présenter un sujet un brin tabou par le biais d’une bande dessinée qui de surcroît ne prend pas le chou est assez lumineuse, la BD devient un vrai média d’informations sur l’actualité, ce serait dommage de ne pas en profiter. Sortie en 2016 chez DELCOURT.


(Warren Bismuth)

vendredi 17 novembre 2017

Pierre BAYARD « Aurais-je été résistant ou bourreau ? »


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Voilà une excellente question ! Bien que n'ayant pas vécu un événement donné de l'Histoire car pas nés ou vivant ailleurs à ce moment-là, dans quel camp nous serions-nous placés ? Celui des vainqueurs potentiels ? Des dissidents ? Aurions-nous gardé une neutralité sans failles ? C'est ce que demande Pierre BAYARD, en allant exhumer dans le passé du XXème siècle divers massacres mais aussi expériences psychanalytiques (BAYARD est professeur ET psychanalyste !). En début d'ouvrage il analyse l'expérience dite de MILGRAM et sa « soumission à l'autorité » qui fit couler beaucoup d'encre dans les années 1960 (et fut immortalisée dans le magnifique film d'Henri VERNEUIL « I comme Icare » de 1979 avec un redoutable Yves MONTAND). Puis il se penche plus en détails sur la seconde guerre mondiale non sans avoir « fictionné » sa propre personne et utilisé l'uchronie pour se transposer jeune adulte au début la grande boucherie. Il nous invite à nous projeter en arrière en s'appuyant sur des exemples concrets pour démontrer par exemple qu'un destin de résistant n'est pas tout tracé d'avance. Prenons celui de Daniel CORDIER, Maurassien convaincu et fasciste actif, qui se retrouve dans la résistance et devient secrétaire particulier de Jean MOULIN par accident ! Il fera ses classes de résistant sous le célèbre pseudonyme de CARACALLA. BAYARD mentionne avec respect et tendresse Les Justes, celles et ceux qui ne pouvaient concevoir l'alternative au fait d'avoir aidé, protégé, secouru ou sauvé d'une mort certaine quelques éléments d'une population discriminée et traquée. Ces Justes qui resteront anonymes, qui refuseront toute gloire, puisque leur intervention leur parut naturelle (il y en a un paquet qui devraient d'urgence prendre exemple sur ces Justes pour ne pas perpétuellement déborder d'autosuffisance sirupeuse et moite qui tend à nous dégoûter de leur simple évocation). Dans ce bouquin on croise Romain GARY et son parcours de résistant, pourtant à l'opposé de celui de CARACALLA. À classer près de celle de MILGRAM voici l'expérience de BATSON sur « le conformisme de groupe » (un autre grand danger sociétal), détaillée par l'auteur et servant à mieux comprendre les réflexes humains sous l'influence collective (ou comment sciemment se tromper collectivement sans scrupules). BAYARD met également en exergue le parcours de Hans et Sophie SCHOLL et leur organisation « La rose blanche ». Il n'oublie pas une Milena JESENSKA, ancienne muse de KAFKA et perpétuelle révoltée qui tiendra tête à ses gardiens au camp de concentration de Ravensbrück. Il prend des tas d'exemples et contre exemples, où malgré un objectif commun, les motivations ainsi que les parcours personnels sont très différents, très éloignés, voire aux antipodes les uns des autres, chacun comme unique. BAYARD va se rapprocher un peu plus de nous, énumérant les massacres du Cambodge sous les Khmers rouges dans les années 1970 (rappelez-vous Pol POT), ceux de l'ex-Yougoslavie ainsi que de populations entières au Rwanda durant la décennie 90. Pour exposer ses thèses sur sa formule « résistant ou bourreau » durant la seconde guerre mondiale, Pierre BAYARD ne part pas sans munitions : son père a lui-même été résistant, certes pas parmi les premiers, mais pas vraiment non plus en queue de peloton. J'avais récemment lu « Le Titanic fera naufrage » (ÉDITIONS DE MINUIT 2016) du même auteur et, malgré quelques remarques très convaincantes et des exemples à la pelle non dénués d'intérêt, j'avais été quelque peu effrayé lorsque BAYARD tentait de mener son lectorat du côté de la physique quantique ou du paranormal. Rien de cela ici : réflexions solides, recherche psychologique sérieuse, exemples historiques d'une grande précision, travail global très poussé, nombreuses références en matière de documents de tous formats. BAYARD fait réfléchir, nous amène à nous poser ses propres questions, à nous positionner dans cette uchronie déstabilisante, c'est une sorte de jeu cruel dans lequel on prend part de plein gré. Ce petit bouquin est un outil psychanalytique assez remarquable qui nous bouscule, c'est sorti en 2013 aux magnifiques ÉDITIONS DE MINUIT. On reparlera sans doute de ce BAYARD qui vient par ailleurs de signer « L'énigme Tolstoïevski » où sont scrutés les personnages des romans de TOLSTOÏ et DOSTOÏEVSKI, sans doute une belle leçon littéraire et documentée en perspective.


(Warren Bismuth)

lundi 13 novembre 2017

Jean-Paul CHABROL « Anduze dimanche 23 novembre 1692, la foi, le sang et l’oubli »


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Ce 23 novembre 1692 au cœur des Cévennes dans la petite ville d’Anduze, un crime a lieu, celui d’un bourgeois « Nouveau Converti » (les N.C. ou nouveaux convertis étaient les anciens huguenots convertis à la religion catholique), Antoine LAMBERT, consul. Alors qu’il lui avait été signifié que des protestants s’étaient réunis dans une maison d’Anduze, il se rend sur place. C’est alors qu’il reçoit plusieurs coups de couteau d’un dénommé Antoine GAVANON, dit La Vérune, paysan et prédicant (donc protestant). Ce dernier parvient à s’enfuir malgré avoir été blessé par une pierre lancée par le propre fils de LAMBERT qui ignore pourtant tout de l’agression. S’ensuit une enquête sans l’accusé, disparu, un notable mort et une ville en émoi. Dans ce XVIIème siècle, Anduze est un important diocèse de la région. Depuis la révocation de l’édit de Nantes de 1685 interdisant le culte protestant, la ville est en ébullition, les attaques, violences sur personnes sont nombreuses. Beaucoup de protestants se sont officiellement convertis (les fameux N.C.) mais continuent d’avoir un cœur huguenot. LAMBERT, quant à lui, a clairement choisi le camp catholique et pourchasse sans faillir les protestants, ses anciens « amis ». L’Église réformée est victime d’intimidations perpétuelles et se défend sur le terrain. La révolte gronde, et ce fait divers prend une ampleur considérable, d’autant que l’assaillant et meurtrier La Vérune a pu s’enfuir au nez et à la barbe de la population pourtant en partie présente dans les rues, une quarantaine de témoignages en font foi. Cependant, la plupart de ses témoignages se sont évaporés (comme La Vérune), épaississant un peu plus le mystère de cette journée du 23 novembre. La Vérune a-t-il eu des complices ? La population huguenote a-t-elle simplement décidé de se taire pour ne pas accabler un allié ? L’enquête minutieuse de Jean-Paul CHABROL est captivante à plus d’un titre. Non seulement il réalise un travail d’investigation brillant, travail de fourmi où il amoncelle tout détail ayant trait à l’affaire, mais sa verve toute journalistique tient en haleine le lecteur médusé. CHABROL expose les faits, les témoignages glanés, plante un décor plein de suspense qui donne un poids supplémentaire à ce fait divers. Il reprend certains écrits de l’époque, où l’on réalise que la langue française était d’une palpable lourdeur en ce siècle ancien. Un exemple pour imager mes propos, une citation du rapport judiciaire « (…) Nous avons trouvé trois petites plaies sur la main gauche, lesquelles nous croyons avoir été faites avec beaucoup de violence par un instrument aigu et tranchant comme couteau ou baïonnette et lui avoir causé la mort sur le champ pour avoir entièrement coupé la veine forte (la veine porte rectifie l’auteur) et autres vaisseaux considérables, comme il nous parut par la grande quantité de sang extravasé dont le bas-ventre s’est trouvé rempli. Et parce que cela contient vérité, nous avons fait et signé le présent rapport ». Au vu de cet exemple, la réforme de l’orthographe a parfois été d’une grande aide à la compréhension afin de rendre la langue plus fluide pour les générations futures. À ceci nous pouvons ajouter l’illettrisme d’une bonne partie de la population (forcé ? Feint ? Par peur ? À des fins de protection ?), ainsi qu’une langue française méconnue (ici la plupart des citoyens ignorent le français et parlent en occitan), ce qui ne fait qu’embrouiller un peu plus cette affaire déjà peu claire. Les témoignages largement ultérieurs du meurtrier (30 ans après les faits), La Vérune, viennent colorer un peu plus ce petit bouquin : en effet La Vérune est un personnage picaresque qui s’exprime à la troisième personne pour parler de lui. Dans ce documentaire qui peut presque être lu comme un roman à la fois policier et d’aventures par son rythme haletant, sont exposés la situation politique et religieuse en Cévennes, les meurs et coutumes, les superstitions, mais aussi le décor architectural, et bien sûr les rites religieux. Jean-Paul CHABROL, en spécialiste des Cévennes du XVIIème siècle, nous fait partager sa passion sans emphase, de manière simple et facilement compréhensible jusqu’au dénouement inattendu sur la condamnation finale. Est inséré un solide index des noms, activité et religion pratiquée des personnes croisées tout au long de ces pages. Ce petit bouquin inclassable est un vrai sucre d’orge, apaiserait presque, alors que les faits énoncés sont d’une violence sans nom. En parlant de violence, les combats meurtriers entre catholiques et protestants continueront pendant des années, jusqu’à accoucher de la révolte des Camisards en 1702, mais ceci est une autre histoire, une autre partie de l’Histoire. Bouquin sorti en 2011 chez les excellentes éditions ALCIDE, présentées déjà à plusieurs reprises dans ce blog (notamment un autre livre de CHABROL), une façon ludique, j’allais écrire amusante, de nous replonger au cœur de cette fin de XVIIème siècle cévenol. Une maison d’édition à soutenir, travail impeccable, présentation comme contenu.


(Warren Bismuth)

samedi 11 novembre 2017

Evguéni ZAMIATINE « L’inondation » + 2 nouvelles


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« L’inondation » : Adeptes de la sinistrose, soyez ici comblez ! Une nouvelle de ZAMIATINE à faire pâlir de jalousie les plus obscurément nihilistes d’entre vous ! Dans les années 1920 en Russie (pardon, en U.R.S.S.) un couple banal de la quarantaine bat de l’aile dans un immeuble vétuste : Trofim Ivanyvitch et sa femme Sophia, sans enfants. Leur voisin du dessus, un menuisier veuf, se meurt et finit par rendre l’âme. Le couple décide de récupérer son enfant Ganka, une adolescente. Rien ne se passe comme prévu car si Ganka est parfaitement acceptée par Trofim Ivanovytch, elle rejette Sophia qui le lui rend bien. Trofim et Ganka se rapprochent de plus en plus, jusqu’à devenir amants au vu et au su d’une Sophia se réfugiant dans sa noirceur. C’est alors qu’une inondation d’une violence inouïe se répand dans les rues de la ville et emporte tout sur son passage avec notamment la Neva qui sort de son lit. Soudain, une hache va s’abattre sur une tempe… Longue nouvelle de grand style, épurée mais très dense, « L’inondation » est l’un de ces petits joyaux lus en une heure qui vous trotte dans la tête pendant longtemps. Car ce couple représente l’U.R.S.S. Stalinienne balbutiante entraînant déjà misères et mort du peuple dans son sillage (l’inondation). Écrite en 1929 cette nouvelle précède de deux ans l’exil de ZAMIATINE pour la France. Alors qu’il est à Saint Pétersbourg rebaptisé Leningrad depuis 1924, il note le lieu et date de l’écriture du texte « Pétersbourg 1929 », encore une manière de son refus de se plier au diktat Bolchevik. ZAMIATINE fut un éternel pourchassé : emprisonné sous le tsarisme car soupçonné de sympathie Bolchevik, puis sous le régime Bolchevik car accusé de propagande contre-révolutionnaire, et bien sûr censuré par les deux régimes. Il disait en 1921 « Je crains que la littérature russe n’ait bientôt qu’un seul avenir : son passé ». Cette « inondation » est l’un de ses écrits devenus les plus connus, c’est aussi une nouvelle glaciale et divinement écrite. Elle a été éditée à diverses reprises en France, la version proposée est celle de chez ACTES SUD/SOLIN sortie en 1988, mais il existe par exemple une édition bien plus récente (2013) chez SILLAGES. Le réalisateur Igor MINALEV l’a portée à l’écran en 1994 avec Isabelle HUPERT.
« La montre » : Très courte nouvelle visiblement écrite en 1934, soit trois ans avant la mort de l’auteur. L’action se déroule à Leningrad où Saïzer a bien réussi sa vie à travailler le bois. Il n’est pas indifférent à sa secrétaire Verotchka et compte bien le lui signifier. Il veut exhiber sa richesse par une montre en or, symbole de la réussite sociale. Verotchka semble ne même pas remarquer la présence de cette montre, jusqu’à ce que Saïzer, offrant du feu à un homme dans la rue, se rend compte que sa montre lui a été dérobé. C’est lorsqu’il était exilé à Paris que ZAMIATINE a écrit cette micro-nouvelle. Toute l’atmosphère de ses écrits est ici esquissée et vaut bien que vous laissiez filer une demi-heure à vous pencher sur ce texte.
« Le miracle du mercredi des cendres » : Très courte nouvelle là encore, de 1924, où un chanoine et un archevêque font visiblement des choses peu orthodoxes. Un docteur représentant la science va s’entretenir avec le chanoine de la Sainte Vierge. Nouvelle où des sujets comme l’homosexualité (sans doute très mal venu chez les Soviets !), la religion, les péchés sont traités de manière burlesque et grotesque. Pourtant le fond est on ne peut plus sérieux. ZAMIATINE s’attaque de front à des thèmes tabous.
Je n’ai personnellement trouvé ces deux nouvelles qu’en version « pdf » et « epub », vous pouvez donc les lire de votre ordinateur ou les transférer sur votre lieuse. Elles sont lisibles sur l’excellent site « BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE » ou nombre d’écrits d’auteur.e.s russes ou slaves tombés dans le domaine public sont consultables gratuitement. Une vraie mine d’informations. La même « BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE » édite des romans russes à des prix dérisoires en ebooks. Nous y reviendrons. Un site de référence.

(Warren Bismuth)


lundi 6 novembre 2017

J.M.G. LE CLÉZIO « Alma »


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Alma est un domaine sis sur l’île Maurice, propriété de la famille Felsen. LE CLEZIO nous raconte lentement son histoire (qui est aussi la sienne propre) par le biais de deux narrateurs qui se font écho de chapitre en chapitre. D’abord Dominique, dit Dodo, vagabond lépreux sans âge qui erre au gré de ses rencontres. Né pour faire rire, en l’absence de nez mais pourvu d’une longue langue, il peut lécher ses yeux. Il est sans malice et sans haine, pouvant être amoureux platonique et touchant. Ses chapitres sont écrits en italique. L’autre c’est Jérémie, contemporain et possédant ses racines sur l’île, il va enquêter sur sa feue famille (ses grands parents furent les derniers de ses descendants à y vivre, ils finirent par s’exiler), mais aussi sur le sort réservé jadis au Dodo, grand oiseau majestueux disparu de la surface de la terre il y a trois cents ans car chassé et décimé par les européens dès qu’ils colonisèrent à leur sauce les lieux. Il ne reste de lui aujourd’hui que des ossements et beaucoup de légendes. Par ses recherches Jérémie va trouver trace de l’esclavage organisé sur l’île Maurice, de la traite négrière. Bien sûr les deux destins vont finir par se recouper au terme d’une exploration minutieuse. Un livre qui ne se lit pas sur un hall de gare. Beaucoup de personnages y figurent, de manière plus ou moins constante, les époques s’entrecroisent, si bien que l’on ne sait plus toujours dans quel siècle nous nous trouvons. Les différents passages sur l’extermination du Dodo sont saisissants, tous comme ceux sur l’esclavage. Mais j’ai le sentiment de m’être un peu perdu dans ce roman, concentration pas assez poussée, fatigue ou manque de repères historiques et/ou géographiques ? Peut-être un peu tout ça. Il n’empêche que l’écriture de LE CLÉZIO – que je découvrais seulement, que la foudre s’abatte sur moi ! – est une prose poétique, où la nature est très présente. La narration de Dodo le hobo est celle d’un petit garçon, donc paradoxalement parfois difficile à lire. LE CLÉZIO nous fait partager les vieux rites de l’île, les superstitions et coutumes créoles, et il réussit parfaitement à clore un roman dans lequel je me serai en partie noyé, ce qui ne signifie pas que ce livre est raté. Sorti en 2017 dans l’excellente collection « BLANCHE » des ÉDITIONS GALLIMARD.


(Warren Bismuth)

jeudi 2 novembre 2017

Francesco MATTEUZZI & Elisabetta BENFATTO « Anna Politkovskaïa journaliste dissidente »


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Qui n‘a jamais entendu parler de la journaliste d’investigation russe Anna POLITKOVSKAÏA ? Personne ou presque. Un nom de famille qui résonne comme un véritable sacerdoce. Cette BD est une biographie de son combat contre l’arbitraire, pour la liberté d’expression dans un pays écrasé par la corruption et les intimidations. De la négociation sur le terrain avec les rebelles tchétchènes en pleine prise d’otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou en 2002, en passant par la tentative de dialogue lors de la prise d’otages de Beslan en 2004 dont nous avons récemment parlé en ces pages :
Cette fois-là la journaliste sera empêchée, un thé un peu trop « chargé » l’empoisonne dans l’avion la menant vers les preneurs d’otages, elle manque de mourir, s’en sort d’un poil. Ce n’est malheureusement que partie remise. En 2006, le jour même des 54 ans de Vladimir POUTINE fêtés avec faste, elle est fusillée dans la cage d’ascenseur chez elle, un ascenseur pour l’échafaud, ou comment supprimer sans fioritures des témoins gênants, les empêcheurs de trafiquer en rond. Une vie de combat, très résumée certes dans cette BD, mais qui permet d’entrevoir l’ampleur du système mafieux en Russie, mais également de trembler pour ces journalistes dans l’incapacité de faire leur travail au-dessous d’une épée de Damoclès permanente. Le dossier de fin de volume est très riche : biographie d’Anna et historique de la Russie post soviétique succincts, portrait d’Anna par le journaliste italien Andrea RISCASSI, longue interview d’un autre journaliste italien Paolo SERBANDINI, de quoi pénétrer plus avant dans le sujet à propos du journalisme d’investigation en général et sur les prises de risques effarantes d’Anna en particulier. Une BD politique en noir et blanc, sur un sujet brûlant et un incendie loin d’être éteint. Sortie à l’origine en 2010 en Italie, elle est traduite puis paraît en France en 2016 chez STEINKIS.


(Warren Bismuth)