Une femme dont nous ignorons le nom décide de prendre la plume
pour exprimer son mal-être, sa dépression et sa fatigue de vivre. De vivre dans
les conditions actuelles de son environnement personnel. Son mari ne l’aime
plus et la délaisse. Certes ensemble ils ont eu une fille (Émilie, enfant
qu’elle ne voulait pas, la seule qui aura une identité dans ce roman, ce n’est
pas un hasard) mais l’homme a accaparé celle-ci dès son adolescence par le
biais de la peinture pour isoler la mère qui semble sombrer dans la folie.
L’homme, volage, tente bien une virée du côté de l’Espagne pour que le couple
se ressource et se ressoude puisque Émilie a quitté le domicile conjugal. Ils
ne parviennent pas jusqu’à leur but. La femme se sent trop mal psychiquement,
épuisée, comme détruite, victime d’un fardeau trop lourd à porter. Elle se sent
en effet dénaturée, epiée en permanence, comme victime d’un vaste complot. Le
couple s’arrête néanmoins dans un petit port. La femme voit dans un filet que
remontent des pêcheurs un corps féminin, sans vie. Son mari n’y ayant vu que
des poissons la décrédibilise. Pourtant, dans le journal du lendemain, un
article fait part de la découverte d’une femme dans un filet de pêcheurs. Et si
le mari était coupable ? Par sa dénégation ? Son attitude sur la
défensive ? La femme en est certaine, quand ledit mari est retrouvé
défenestré. Ce roman est découpé en deux parties distinctes : le carnet
intime de la mère, tantôt en narratrice, tantôt témoin de sa propre vie, une
seconde voix parlant à la troisième personne, qui serait une sorte de
conscience, de lucidité, de garde-fou. La seconde partie est tenue par les
écrits d’Émilie qui font écho à ceux de sa mère. Et le moins que l’on puisse
dire, c’est que les évènements ne correspondent pas du tout à ceux relatés par la
maman ! Un court roman qui traite de sujets graves comme l’alcoolisme, la
persécution, mais surtout la mythomanie et la perversion narcissique, l’emprise
puis la victimisation. L’écriture y est chirurgicale, d’une précision extrême,
les phrases longues alternant avec les courtes. Comment un être peut-il
manipuler ses proches avec constance et sans discernement ? Une plongée
stupéfiante au coeur de cette mythomanie dont il paraît indéniable que
l’auteure en fut victime, tellement les exemples et les actions du quotidien
collent parfaitement avec celles dont se souviennent d’autres victimes, elles
aussi abusées, trahies, et parfois détruites. Tout sonne ici comme du vécu,
c’en est effrayant de lucidité et de réalité : les crises de nerfs, les
espionnages incessants, les inventions sans fin, la terreur pesant sur les
proches. Un roman indispensable pour celles et ceux qui souhaitent approfondir
leur réflexion sur la perversion narcissique, pour bien prendre conscience
qu’un destin aussi machiavélique peut entrer à tout moment dans notre vie et
qu’il est urgent de s’en prévenir. Un bouquin qui pourrait être un récit, sorti
en 2010 chez MERCURE DE FRANCE, sa lecture laisse des traces, fait resurgir,
chez les victimes des faits, des situations du quotidien qui, si elles mettent
mal à l’aise, permettent de constater que cette pathologie n’est pas un cas
isolé, ce qui peut en quelque sorte rassurer, et se dire que toute ressemblance
avec des personnes existant ou ayant existé (dans notre parcours) n’est
absolument pas fortuite. Le goût laissé est plutôt celui du dégoût, un roman
salutaire pour faire explorer la dangerosité extrême des pervers.es
narcissiques et donner des pistes concrètes. Si ce livre peut paraître une fiction,
je peux vous assurer qu’en fin de compte il n’en est nullement une, c’est ce
qui fait son poids et son implacabilité, un roman d’une immense force. Merci Madame
FOURNIER !
(Warren Bismuth)
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