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mercredi 3 juin 2020

David KLDIACHVILI « Le malheur »


« Le malheur » est une pièce de théâtre très courte écrite en 1914 par un géorgien, David KLDIACHVILI (1862-1931), qui fut en son temps célèbre en son pays, ayant écrit sous différentes formes, mais commettant uniquement trois pièces, celle-ci étant sa dernière.

En peu d’espace temps, de nombreux personnages traversent la scène dont l’action se situe dans un village de Géorgie. Ilia, sur des béquilles, qui dialogue avec Maïa sur le monde en perdition (nous sommes quelques mois avant le déclenchement de la première guerre mondiale). Puis Touphia apparaît : son mari Anton est malade, puis vient Amiran, un vieil homme dont le champ a été dévasté par un troupeau inconnu.

Ensuite tous les protagonistes viennent s’affairer autour du malade Anton sur sa civière. Chacun veut le sauver à sa manière, surtout en priant, ce qui n’est pas du goût de Pavel, individualiste non croyant, un brin provocateur et définitif. Mais la volonté d’entraide se mue en une sorte de pugilat verbal à partir du moment où il faut passer à l’action, les inimitiés surgissent et le « chacun pour soi «  devient une arme, entraînant violence et division dans les actes. « Souvent les paroles restent des paroles et non seulement elles ne se transforment pas en action, mais elles prennent parfois un cours bien différent ».

Récit sombre : « Mais, mon bon monsieur, qui a jamais entendu parler de repos pour nous !... Quand nous serons mis en terre, alors le temps du repos sera venu pour nous aussi !... Mais tant que nous sommes vivants, qu’est-ce qui nous donnerait du repos ?... Il y a tant de travail, tant à faire… Comment pourrions-nous penser au repos !... Nous nous démenons comme de beaux diables, mais nous sommes quand même dans la misère, alors si nous nous mettions au repos, il ne resterait aucun de nous. Mon repos sera dans la terre, mon cher, dans la terre ! ».

Cependant, une pointe d’espoir se fait apercevoir par moments pour ces miséreux qui n’attendent pas grand-chose de l’avenir dans ce pays exsangue et meurtri.

La préface de Maïa VARSIMASHVILI-RAPHAEL est une biographie brève et très éclairante de David KLDIACHVILI, un auteur qui a souffert comme ses personnages dans un pays sans cesse ballotté et victime de violences diverses. Aux éditions L’Espace d’un Instant, outre les pièces dénichées et totalement inconnues en occident, le point fort est aussi dans la présentation. La pièce n’y est pas seule imprimée, les explications, informations sont nombreuses et permettent d’entamer les récits avec quelques billes historiques en main afin de mieux les cerner. Dans ce petit volume, c’est particulièrement vrai. Cette pièce vient de sortir, elle est traduite du géorgien par Janri KACHIA, dissident géorgien exilé, décédé en 2012.

http://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)


mercredi 20 mai 2020

Bassa DJANIKASHVILI « Angry bird »


Deux familles géorgiennes dans une ville du monde contemporain. Ghio, jeune homme de 16 ans, vit avec son père Toma, chrétien. Sa mère est morte d’un cancer. Khatuna, jeune fille de 16 ans également, vit avec ses parents musulmans, Nora et Hassan, Khatuna étant quant à elle sur le chemin de l’athéisme. Ghio et Khatuna, même âge même passion pour le jeu vidéo, en particulier celui appelé Angry bird, violent et hypnotique. C’est ce jeu qui donne l’idée aux deux adolescents de me mettre en place une petite machination redoutable, un projet machiavélique à base de mensonges et d’inventions : faire passer leurs pères respectifs pour des terroristes religieux. Le terrain s’y prête, en pleine tension religieuse dans leur petite ville où l’école a d’ailleurs dû fermer par crainte terroriste.

Khatuna tient tête à ses parents dès que Dieu s’invite à table. Elle ne comprend pas pourquoi, si les chrétiens et les musulmans honorent le même Dieu, ils se font la guerre au nom de celui-ci. Mais la mosquée locale est attaquée par les chrétiens, et Hassan, le père de Khatuna, est blessé. De son côté Ghio parvient à persuader son père Toma qu’Hassan est bien un terroriste cachant des explosifs chez lui et qu’il devra être châtié, puni pour l’exemple. Ensemble, ils montent un plan de plasticage dans lequel Hassan serait accusé, alors que ce dernier, à son arrivée dans la ville après la destruction de sa maison suite à un glissement de terrain dans un ailleurs non nommé - un petit village -, avait été aidé par Toma. L’amitié s’est métamorphosée en haine sur fond de croyance. Seulement, Khatuna tombe enceinte après une séance de sexe dans la cour de la mairie avec Ghio, tout d’abord mimée devant un film pornographique.

Ellipse d’un mois, la pression se fait suffocante. Hassan s’implique dans une collecte pour la construction d’une nouvelle mosquée « Si on les autorise aujourd’hui à construire une mosquée, demain ils nous interdiront de boire de l’alcool ». Hassan apprend, ainsi que Toma, que Khatuna et Ghio, amants et pourtant ennemis devant le Seigneur, vont avoir un enfant. Les deux pères se provoquent en duel, durant lequel Toma déclame des extraits de la Bible tandis qu’Hassan lui fait écho avec des versets du Coran. L’action devient confuse : la violence vue est-elle réelle ou sortie d’un jeu vidéo ? La réalité est-elle doublée par la fiction ? Ou bien l’inverse ?

Dans cette courte pièce de théâtre à la fin particulièrement apocalyptique, il est bien sûr question de haine religieuse dans un même environnement, mais aussi de la recherche à tout crin du bouc émissaire, c’est-à-dire l’autre, celui qui ne vit pas comme nous, qui ne pense pas comme nous, qui ne prie pas comme nous. En fond, l’emprise des jeux vidéos (ici sur la jeunesse géorgienne) et des adolescents coupés de la réalité, qui n’évoluent que dans un quotidien virtuel fait de violence gratuite. Tout finit par se troubler, s’entremêler, dans une efficace mise en scène. Peu de personnages, ce qui donne beaucoup de force au récit, un scénario épuré, essoré, ne laissant percevoir que l’essentiel. Les dialogues sont bien en place et l’on ne s’ennuie pas une seconde.

Pièce historique aussi, avec cette Géorgie si proche et la fois si loin de la Russie, une Géorgie accablée par ses préjugés : « Puis les frontières ont commencé de fonctionner et toutes sortes d’abominations se sont infiltrées. On ne peut pas distinguer le bien du mal. Notre seul moyen de résister à l’Ouest est de croire en Dieu. Pour résister à l’homosexualité, à la puanteur de l’argent, au libéralisme, au vice. Je prie Dieu pour qu’il me donne la force ». Pièce coup de poing à lire cul sec, traduite du géorgien par  Gery CLAPPIER, Maia KIASIASHVILI et Clara SCHWARTZENBERG, elle est préfacée par Yoann LAVABRE qui nous apprend par ailleurs qu’elle fut victime de la scoumoune pour ses représentations. Et comme toutes les publications des éditions L’Espace d’un Instant, elle est particulièrement soignée et originale. Parue tout d’abord en 2013, elle vient d’être traduite en français et publiée. Un théâtre intelligent d’une grande pureté, sans oublier le politique et le social. Editions maîtresses sur le théâtre méconnu et international.

http://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)