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mercredi 14 février 2024

Svetlana PETRIÏTCHOUK « Finist, le clair faucon »

 


Pour cette brève pièce de théâtre de 2018, l’autrice russe Svetlana PETRIÏTCHOUK a collecté sur Internet des témoignages de femmes russes ayant rejoint le djihad islamique. Ce sont celles qu’elle nomme les Mariouchkas, en référence à un conte russe, conte que parallèlement elle adapte ici pour les besoins de son propos.

Ces femmes anonymes cherchent en priorité la sécurité qu’elles ne ressentent pas en Russie, ainsi que le grand Amour. C’est par le biais des réseaux sociaux qu’elles entrent en communication avec des hommes. Mais ils sont liés à Daech, et leur font miroiter un avenir radieux. Une fois embrigadées, ces femmes sont fières de porter le hidjab et de participer à une refonte de la société. Ce qu’elles ignorent, c’est qu’elles ont quitté un monde ultra-patriarcal pour un autre tout aussi radical. Les modes de passages aux frontières jusqu’en Syrie sont ici abordés par les témoins elles-mêmes

En italiques, des tutoriels truffés d’humour pour devenir une bonne pratiquante, une vraie femme au foyer, soumise et obéissante aux traditions ancestrales. Nous suivons ces femmes sans identité dans leurs pérégrinations, leurs errances, comme dans leurs procès suite à leur capture par les autorités russes. Retour au pays. Saint Augustin s’invite au tribunal.

Ce livre est en quelque sorte découpé en trois parties. La première, qui est presque une introduction à l’action, en est la préface, magistrale, signée Elena GORDIENKO. La deuxième est la pièce de théâtre proprement dite, la troisième, dite « annexes », représentant des compléments de la compagnie théâtrale Soso Daughters « basée sur la transcription de la représentation captée le 31 janvier 2021 à Moscou », et issu là encore d’un travail de recherches de témoignages sur la Toile, et qui réserve quelques surprises.

La préface est une mine d’informations. Entre autres, elle nous apprend les faits suivants : suite à la pièce « Finist, le clair faucon », l’autrice Svetlana PETRIÏTCHOUK ainsi que la metteuse en scène Jénia BERKOVITCH, furent arrêtées puis incarcérées à Moscou en mai 2023 pour apologie du terrorisme par le régime de Vladimir POUTINE, après avoir pourtant reçu un prix prestigieux, Le Masque d’Or, pour les meilleurs costumes et… le meilleur travail dramaturgique ! À ce jour les deux femmes se trouvent toujours en détention provisoire. Je vous joins un article récent de l’affaire paru dans la presse, et signée de la préfacière du présent volume :

https://desk-russie.eu/2024/02/10/des-femmes-prises-au-piege.html

En outre, on peut lire la note suivante dans la même préface : « C’est la première fois, en Russie post-soviétique, que des artistes de théâtre sont mis en cause dans une affaire pénale pour leur œuvre elle-même, et non pas sous d’autres prétextes », c’est dire la gravité des faits. Svetlana PETRIÏTCHOUK est issue du théâtre moscovite Teatr.doc connu pour son engagement au sein de la vie culturelle russe. Cette pièce lucide et politique est à lire, d’autant qu’elle pourrait avoir des conséquences inattendues, et qu’un soutien à de telles artistes s’avère nécessaire contre la Russie actuelle et contre l’injustice en vue de leur libération.

Ce précieux témoignage vient enfin d’être publié aux éditions L’espace d’un Instant en ce début d’année 2024. Terrifiant et édifiant. Des suites dramatiques sont à craindre, il est urgent de se mobiliser, la sévérité déjà reconnue du régime est encore à redouter. Cette pièce (et ses conséquences) serait peut-être passée sous mes radars si L’espace d’un Instant ne s’était pas dressé sur mon passage. Merci encore. Et toujours. J’allais oublier : la pièce est traduite par Antoine NICOLLE et Alexis VADROT, qui nous ont permis de découvrir cette oeuvre forte.

https://parlatges.org/boutique/

(Warren Bismuth)

samedi 1 septembre 2018

Boualem SANSAL « Le train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu »


Dans ce roman qui vient tout juste de sortir, Erlingen est une ville allemande fictive de 12000 âmes où est censé arriver un train ou plusieurs afin d’embarquer toute la population qui court un danger imminent. Ce danger le lecteur ne le connaîtra pas précisément. Cependant SANSAL va tellement le mettre sur la piste qu’il réalisera rapidement qu’il s’agit de l’islamisme fanatique et radicalisé. C’est par des biographies également fictives que SANSAL va faire ressurgir la réalité, d’Allemagne en Angleterre, de la France aux U.S.A. Il va à ce propos se remémorer les massacres des peuples indiens, anéantis par des colons venus d’Europe, colons nettoyant tout sur leur passage afin d’imposer le nouveau monde, compétitif et cruel (allusion au radicalisme actuel, bien sûr). Quant à ce train fantôme, que certains attendent hâtivement, d’autres avec angoisse, il représente bien ceux qui se rendaient à la queue leu leu vers des camps dont le terminus était souvent la chambre à gaz quelque part en Allemagne (déjà) ou en Pologne.

Comme toujours chez SANSAL, ce livre n’est pas qu’un roman, c’est aussi une longue page d’Histoire, une fable démente, un essai philosophique, un pamphlet contre l’islamisme (pas contre l’Islam, SANSAL tient à être clair là-dessus). Cette fois-ci, ce sont également des échanges épistolaires entre une mère et sa fille, sauf que la fille ne lira les lettres de son aïeule qu’une fois cette dernière décédée, et ne lui répondra qu’à ce moment-là.

Chez SANSAL les personnages semblent toujours secondaires, ils ne sont d’ailleurs pas toujours très bien brossés, ils manquent de caractère, de charpente, ils racontent plus qu’ils ne vivent, aussi je ne m’attarderai pas sur eux mais plutôt sur le fond, car si ce roman est totalement dans la lignée de ces précédents par les thèmes, les constats et les cris d’alerte, ici il est fortement imprégné par au moins trois écrivains.

Le premier, et l’aurez peut-être constaté dès le titre du présent roman, est KAFKA et sa « Métamorphose », planant durant tout le récit et véritable question de fond : un être humain peut-il se réveiller un jour métamorphosé, avec de nouveaux principes, un cœur perdu et une haine palpable ? Ce roman est très kafkaïen, beaucoup de questions sont soulevées, peu sont résolues. On ne connaît pas exactement l’ennemi, on ne voit pas comment le combattre : « Le mystère actuel est l’envahisseur. Nous ne savons rien des croyances qui l’animent mais sa façon de se couvrir de hardes, d’être partout et nulle part, de se tapir dans l’ombre et de frapper dans le dos, de savourer ses victoires par des cris aberrants et des transes échevelées, semble dire que sa religion, si c’en est une, s’est construite sur la tradition des peuples chasseurs-cueilleurs et s’exalte de nos jours sur des ruminations propres aux groupes humains qui sont passés de la société archaïque menacée d’extinction à la société de consommation compulsive sans passer par la société de labeur et de production de biens ».

Le deuxième auteur influent est Henry David THOREAU dont les thèses parsèment le roman, on sent bien que SANSAL est pénétré d’une grande admiration pour lui, même s’il convient que THOREAU n’a passé que deux ans protégé des hommes et de leur folie.

Le troisième, et c’est bien moins net, est le Dino BUZZATI du « Désert des tartares », livre dans lequel SANSAL voit la destinée imagée du monde en marche et futur. Il est cité en fin de volume.

Mais chez SANSAL ce n’est pas la douche froide en permanence, d’abord parce que la langue est d’une rare richesse, ensuite parce qu’il sait provoquer des situations cocasses afin d’amener un sourire réparateur voire rédempteur. Et puis il y a ces expressions désuètes qui fleurent bon le parler de naguère. Donc, si ce roman ressemble fort aux précédents de SANSAL, jusqu’à cet islamisme comparé au nazisme qu’il avait déjà fortement évoqué dans « Le village de l’allemand » par exemple, ce « Train d’Erlingen » est à lire, car il est peut-être plus complexe que tous les précédents, notamment par la structure originale en poupée gigogne. Peut-être aussi plus abouti que « 2084 », quoique dans la même lignée.

Vous n’y apprendrez rien de nouveau concernant les convictions et les combats de SANSAL, mais vous passerez un très bon moment aux côtés d’un écrivain érudit et très méticuleux, un auteur hautement engagé qui se fait lanceur d’alerte par sa plume et son militantisme. SANSAL est de ces écrivains indispensables qui savent prendre des risques pour faire éclater la vérité. Laissons-lui la parole afin de clore cette chronique : « Notre funeste erreur face à l’ennemi aura été la colère. Ecrasés par nos peurs et nos angoisses, nous avons cessé de réfléchir et nous sommes laissés gagner par le morbide attrait de la soumission ou celui de la furie destructive. Rabaissés à ce point, nous lui avons cédé le beau rôle du vainqueur magnanime qui, désolé et prêt à aider, regarde le fou trépigner et appeler à la mort ».

(Warren Bismuth)

jeudi 26 juillet 2018

Erwan LARHER « Le livre que je ne voulais pas écrire »


C'est un tour de force qu'accomplit Erwan LARHER dans « Le livre que je ne voulais pas écrire ». Au moins à deux niveaux : nous avons été noyés sous les images choc, suite au 13 novembre 2015, les textes à sensation des meRdias, comme si la course à l'horreur était plus forte que l'histoire humaine qui se déroule en arrière-plan. Erwan LARHER écrit plus tard, au moment où nous sommes abreuvés de préjugés sensationnalistes, les yeux et la tête embrumés par les traces de sang du pavé parisien. Il faut sortir de cela, revenir à l'humain, à l'individu, au groupe, pour tenter de narrer l’inénarrable.

L'auteur se livre beaucoup tout au long de ces pages, plus qu'un documentaire sur la chronologie des événements, Erwan LARHER se met à nu, nous confie ses sentiments, ses ressentis, ses peurs et ses angoisses. Une large part de son œuvre est laissée à ses proches : les chapitres s'emmêlent, entre récit de sa vie passée, retour sur l'horreur et témoignages de ses amis, de sa famille, sur leur point de vue pendant le drame. Et c'est précisément – à mon sens – ce qui fait de cet ouvrage une véritable œuvre : il y a l'impliqué, celui qui est au centre du maelström, qui est un caillou, qui ne bougera pas pour échapper aux regards des bourreaux (que l'on nous présente d'ailleurs, ce qui est fort intéressant car cela recentre le débat : il s'agit d'une histoire d'humains avant d'être une histoire de fanatisme et d'extrémisme), il y a toutes celles, tous ceux qui se sont agités (ou pas), à l'extérieur, entre Facebook, les sites d'infos, la télévision en continu, les numéros d'urgence, la grande chaîne qui s'est formée au-delà du Bataclan. L'auteur l'avoue lui-même : il a été plus que soutenu, il a été porté.

Ce témoignage, ce récit de vie et de mort est aussi très intéressant car il fait la part belle à l'après. On traite trop peu de l'après, comme si le simple fait d'avoir réchappé vivant à l'enfer permettait aux individus de clore ce chapitre et de continuer leur vie. Que nenni, ce serait trop simple. Il y a les séquelles physiques (la douleur de la balle, les soins interminables, l'hospitalisation, le questionnement quasi obsessionnel sur le retour possible de la virilité), mais aussi les séquelles psychologiques. Pendant longtemps, à travers les pages, l'auteur est dans le déni. Non, il ne fait pas de cauchemars, il ne rejoue pas la scène, il plaisante, rigole et s'entoure de ses ami-es, de sa famille, et semble passer à travers. Jusqu'au moment où il se rend compte que la douleur est tenace, qu'elle ne passe pas. Le trauma se joue aussi à travers la somatisation, et c'est là qu'interviennent les individus méritants qui peuplent les hôpitaux, les cabinets privés, qui questionnent l'être jusqu'à extraire le mal de la chair. Il y a d'ailleurs un très beau plaidoyer pour le personnel hospitalier, les petites mains qui réparent les corps et les âmes.

Erwan LARHER met un point d'honneur à contextualiser l'événement, pourquoi est-il allé à ce concert notamment, avec un retour sur son enfance et son adolescence, pourquoi y est-il allé seul. Véritablement, l'auteur donne à voir les mécanismes de défense qui lui permettent d'avancer de la meilleure manière qui soit : humour et rationalisation.

Loin des récits chocs et autres témoignages macabres, voyeuristes primaires, passez votre chemin. Ici on est dans le vrai, dans l'humain et la note qui reste en bouche après avoir refermé le roman c'est l'espoir. L'espoir et la joie. Le thème de base n'est pas tant cette soirée au Bataclan que l'humain, dans son essence, face aux violentes aspérités que la vie nous balance injustement en pleine face, sans qu'on s'y attende, sans qu'on ait pu le pressentir.

Je vous engage donc vivement à lire « Le livre que je ne voulais pas écrire », sorti aux éditions Quidam en 2017. Quant à moi je vais aller fouiner dans la bibliographie d'Erwan LARHER dont le style m'a beaucoup touchée.

Et je vous engage aussi à regarder le très poignant documentaire réalisé par Netflix , « 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur ».


(Émilia Sancti)

lundi 29 janvier 2018

ZEROCALCARE « Kobane Calling »


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Cette BD italienne plutôt épaisse est à la fois un carnet de voyage, un récit de guerre, un travail géopolitique, un recueil de témoignages et une fable humoristique. L’auteur, ici scénariste et dessinateur, ZEROCALCARE, qui a par ailleurs fait ses classes dans la scène punk et alternative italienne au tout début de la décennie 1990 (ce « Kobane Calling » est un hommage au « London calling » de THE CLASH), est allé au cœur de la guerre au Moyen-Orient, pour voir concrètement ce qui s’y passe exactement. Son but : rejoindre cet espace de liberté au Kurdistan autour de la ville de Kobané. Sur la carte, une fine langue syrienne située à la fois sur les frontières turque et irakienne, c’est-à-dire là même où Daech possède des bases et une puissance influente. Je vous fais l’impasse sur les nombreuses péripéties, les anecdotes racontées au fil de ce récit, des histoires diverses, drôles ou émouvantes, décalées ou révoltantes. ZEROCALCARE, au-delà de son voyage, tient à nous informer, nous faire réagir à la situation sur place. Les kurdes de Kobané ont fait fuir les armées de Daech sans aucun appui, ils sont même plutôt mal vus en Syrie, en Turquie et en Irak. EL ASSAD ne les aime pas, ERDOGAN non plus, les religieux pas plus. C’est donc isolés que les kurdes (aidés cependant par le P.K.K.), notamment les Y.P.G., pourchassent l’État Islamique. La BD décrit cette lutte jusqu’en 2015, c’est-à-dire figeant le combat à cette date. Attention, beaucoup de choses se sont passées depuis et il nous faudra nous informer ailleurs pour connaître la suite. Je ne souhaite pas entrer dans les détails sur la forme de la BD car elle est en tous points surprenante : du noir et blanc aux dessins à la fois précis et faussement naïfs, des visages semblant tout droit échappés de mangas, une mise en page pouvant paraître chaotique (sans doute l’influence du punk…), et surtout des dialogues originaux ! Dialogues entre jeunes, avec la langue qui va avec, celle de la rue, mais aussi celle des jeunes « branchés », le tout mixé avec des mots ou expressions typiquement romains (l’auteur est un romain pur jus). L’humour vient égayer les moments tragiques, l’odeur de cadavres, ZEROCALCARE sait manier le burlesque, le loufoque, rendant le récit moins étouffant. Mais il laisse aussi parler les témoins du quotidien : biographies expresses de combattant.e.s, interviews minutes. C’est donc une BD qui parle avec une fausse légèreté de l’un des plus importants conflits de ces dernières décennies, comme pour désacraliser la guerre, dédramatiser l’horreur. En près de 300 pages, l’auteur nous fait comprendre cette lutte, n’oublie pas que les femmes kurdes jouent un rôle prépondérant contre Daech, il sait les mettre en avant (elles représentent 40 % des Y.P.G.). À lire la déclaration des régions autonomes du Rojava, on croirait avoir à faire à un tract libertaire, anarcho-collectiviste. Les choses sont en train de bouger très vite par là-bas, c’est à la fois encourageant, excitant et inquiétant lorsqu’on voit l’isolement des troupes kurdes. En tout cas, cette BD a été traduite en France 2016 aux Éditions CAMBOURAKIS, et je vous conseille d’aller faire un tour dans ses pages, en plus d’y rire vous y apprendrez des tas de choses qui vous serviront lorsque vous assisterez par médias interposés aux suites de cette guerre sans fin.

(Warren Bismuth)

mercredi 3 janvier 2018

Boris CYRULNIK & Boualem SANSAL « L’impossible paix en Méditerranée »


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Interview croisée (menée par José LENZINI) de ces deux intellectuels, le premier psychiatre et neurologue français, le second écrivain algérien. Le menu est dense et chaque protagoniste devra répondre plutôt brièvement à des questions pertinentes. Néanmoins, les réflexions sont poussées, creusées et peuvent nous laisser sur le bord de la route, nous peu érudits en géopolitique et Histoire des religions et autres fanatismes. Les deux funambules restent en équilibre en déroulant leurs thèses sur de nombreux sujets brûlants : islamisme, antisémitisme (les deux thèmes se recoupant de plus en plus), conflits israélo-palestiniens, poids divers des U.S.A., de la Russie, de l’Europe ou encore de l’O.N.U. sur la scène politique mondiale, comparaison de l’islamisme et du nazisme, situations politico-religieuses du Maghreb, du Moyen-Orient, chimère de la paix, des paix devrait-on dire, intérêts des grands puissances, etc. Autant dire qu’en quelques dizaines de pages il n’est pas aisé de développer des arguments sur tous ces points. Néanmoins CYRULNIK et SANSAL s’en sortent comme des chefs, avec des phrases qui font mal, lucides pourtant, mais pouvant nous mener au désespoir quant à l’avenir de l’humanité sur notre planète. Boualem SANSAL ne se définit pas précisément comme un écrivain courageux : « Courage ? Non, surtout pas ! Le courage est une flamme qui peut pâlir et s’éteindre et vous manquer au moment le plus crucial. C’est même une folie, une exaltation passagère. Non ! C’est quelque chose de plus fort [La résistance dans le contexte actuel], de plus vrai, c’est la vie menacée par la ruine, la haine et la souillure qui va puiser dans les profondeurs de l’âme ce qui est sa substance même : sa dignité ». Dans cet échange épistolaire, CYRULNIK n’est pas en reste : « Je suis assez pessimiste parce que je pense qu’on ne peut prendre conscience de la paix et en jouir que si l’on a été en guerre, et que, de nos jours, il n’existe plus de procédure pour arrêter la guerre et faire la paix ». De nombreuses phrases seraient à mettre en exergue tellement la conversation est de haut niveau. Que dire de cette fort judicieuse pensée de Boualem SANSAL où il trempe encore sa plume dans le vitriol « Mais l’échec vient en fait du surgissement (attendu, pas attendu ? Provoqué, naturel ?) du « printemps arabe », qui a chassé les dictatures arabes sans faire entrer la démocratie et faire apparaître ce qui était à peine soupçonné : la profonde et irrésistible réislamisation des peuples arabes et l’inclinaison de nombre d’entre eux (chez les jeunes, les commerçants, les professions libérales) vers des courants radicaux » ? Les deux penseurs se répondent parfois, l’un rebondissant de manière dynamique sur la thèse de l’autre. C’est tout de même un échange assez relevé donc il ne faut pas s’emballer à sa lecture. Certains passages peuvent s’avérer complexes, pourtant ils sont dits, écrits avec simplicité, sans mots où un dictionnaire nous apparaîtrait comme indispensable. En fin de volume, plusieurs annexes : un « Appel des écrivains pour la paix » lancé en 2012 par Boualem SANSAL et David GROSSMAN, suivi d’un article du même SANSAL sur Jérusalem, une lettre visionnaire de FREUD datée de 1930, pour terminer sur des réponses bonus de l’interview par CYRULNIK parues en 2009. Une conversation qui donne envie d’aller plus loin, de mieux comprendre ce qui se passe irrémédiablement sous nos yeux impuissants, grâce à ces pistes soutenues tracées par deux hommes éclairés et dédiés à la vérité contre la barbarie. Sorti en 2017 aux ÉDITIONS DE L’AUBE.


(Warren Bismuth)