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mercredi 8 mars 2023

Cathie BARREAU « L’oiseau blanc »

 


Lucas est un homme qui a parcouru le monde, notamment le Liban et le Canada, vingt années loin de ses terres natales situées dans le bocage, dans l’ouest de la France. Durant vingt ans il a travaillé, aimé, souffert, ses parents et sa sœur sont morts d’un accident de la route alors qu’il était à Beyrouth. Le mal du pays se faisant de plus en plus sentir, Lucas a décidé de revenir, décroche un travail à l’observatoire de l’eau.

Dans une langue soignée et poétique, Cathie BARREAU nous faire vivre le destin de son héros, tour à tour émigré puis autochtone, parsemant ses pensées de souvenirs, délicieuses ou sombres, amoureuses ou désenchantées. Puis s’attarde sur le dérèglement climatique qui entraîne des bouleversements dans le paysage même du bocage, la sécheresse frappant la région. « Septembre avait passé et j’étais lent à trouver mes habitudes dans mon propre pays. Mon poste à l’observatoire de l'eau m’occupait et la sécheresse des mois passés était suffisamment inquiétante pour que je me détourne de mes propres bouleversements. Nous attendions la pluie. Le marais craquait, s’ensalinisait, ne semblait plus grouiller de rien. Les nappes phréatiques étaient au plus bas. On allait restreindre la consommation d’eau ».

Lucas souffre d’isolement, a des difficultés à renouer avec ses vieux repères, d’autant que le marais a changé de visage depuis son lointain départ. La vie s’écoule lentement dans l’angoisse du lendemain. On regarde le ciel, l’espérant chargé de nuages, on observe les oiseaux, leur comportement ne semblant plus le même. Soudain ils se taisent... « L’impuissance à dire l’inquiétude, l’indifférence apparente des uns et des autres ne cachaient qu’une frayeur devant le manque de pluie ».

La pluie est enfin prévue, mais elle pourrait prendre la forme d’une tempête et balayer le bocage avec violence et sans pitié. Il faut alerter les habitants tandis qu’ils commencent à s’interroger sur certains permis de construire délivrés en dépit du bon sens. Alors que le calme semble enfin revenu, un homme inconnu du village est retrouvé mort, et pourrait bien posséder un lien familial avec l’une des habitantes, tandis qu’un certain Grégoire confectionne un avion de ses propres mains…

« L’oiseau blanc » (vous comprendrez la signification du titre en fin de volume) est un très beau texte, subtil et délicat. S’il interroge sur l’avenir de notre planète en se focalisant sur un hameau perdu, c’est aussi pour alerter sur le fait que nous sommes tous concernés. Lucas est un personnage désorienté, comme le climat. Son retour sur ses terres se fait alors qu’un changement majeur est en cours dans le paysage, il se sent migrant chez lui : « J’avais retrouvé mon pays mais j’étais entré dans une réalité inconnue ». Ce roman traite du métissage, des racines profondes comme des difficultés à s’intégrer, à être admis dans un cycle déjà ancien. Il est une interrogation sur notre avenir commun, épaulé par des protagonistes bien construits. Il sait se faire mystère, nous poussant à ne pas lâcher le livre. Il est aussi un appel au collectif, au réveil.

La catastrophe climatique est ici représentée par un paysage à la fois austère et aimé, ce bocage qui souffre, craint la sécheresse comme les inondations à répétition. L’allure du bocage change comme celle du monde, à une vitesse toujours plus délirante. Ce texte est un message d’alerte, il ne commet pas l’erreur de prévenir que le drame est bientôt là, il met l’accent sur le fait qu’il est déjà en cours et qu’il sera bientôt trop tard si nous ne protégeons pas la nature. Mais il est aussi une espérance, les dernières pages en témoignent.

« L’oiseau blanc » vient de sortir aux éditions L’œil ébloui, il est à découvrir pour son élégance de style, sa conscience, sa douceur malgré la tragédie, mais aussi pour sa superbe couverture signée Florence MASSIN qui colle parfaitement au récit.

https://www.loeilebloui.fr/

(Warren Bismuth)

mercredi 3 mars 2021

Cathie BARREAU « Lettre de Natalia Gontcharova à Alexandre Pouchkine »

 


Un homme agonisant dans une chambre. Tout à côté, derrière la cloison, une femme est installée à un bureau, elle écrit. Ce bureau est celui d’Alexandre POUCHKINE, blessé à mort lors d’un duel en janvier 1837, et la femme qui écrit s’appelle Natalia GONTCHAROVA, elle est l’épouse du poète depuis 6 ans. POUCHKINE vient de provoquer un homme en duel, l’accusant de tourner autour de la belle Natalia, mais la balle de son adversaire a atteint l’écrivain au thorax, il lui reste quelques heures à vivre.

La lettre rédigée ici est sortie de l’imagination de Cathie BARREAU, elle est celle d’une femme délaissée, abandonnée. Natalia GONTCHAROVA a certes aimé POUCHKINE, mais le poète russe adulé par tout un peuple fut parfois un piètre compagnon : noceur, joueur, égoïste, attiré par les femmes mais pourtant possessif et même autoritaire voire vicieux.

Pendant que POUCHKINE vit ses derniers instants, l’autrice imagine donc sa femme Natalia vidant un sac devenu trop lourd à porter, se délestant de reproches toujours tus jusque là. Les gémissements de douleur de son mari, son aîné de 12 ans, viennent s’ériger à la place de ceux qu’il n’a jamais poussés lors de l’acte d’amour. Devant cette aridité, Natalia fut attirée par un certain Georges D’ANTHÈS, un officier français. Des rumeurs ont couru sur une éventuelle liaison amoureuse.

Cathie BARREAU ne revient sur cet épisode que brièvement, par petites touches, se focalisant sur le ressenti d’une femme pour son mari expirant. Jamais le poète n’apparaît, c’est toujours sous le trait de l’homme privé, de l’époux presque anonyme qu’il est montré. « Alexandre, tu vas mourir et nous ne nous rencontrerons jamais ». Au-delà de ce monologue inventé, c’est bien la condition des femmes que Cathie BARREAU tient à mettre en exergue : ces femmes réduites au rôle de femelle domestique et soumise à un époux.

Ce long et superbe poème en prose d’une soixantaine de pages est ambivalent : si l’autrice se coule dans le personnage de Natalia, c’est pour mieux en déborder et universaliser son propos. Texte flirtant beaucoup avec l’érotisme, le sens charnel, il en reste pourtant délicat sans jamais trop en montrer. « Que rien de grand ne m’arrivât avec toi, cela ne m’inquiétait pas le moins du monde. Je souriais souvent en m’endormant. Mon corps inexpérimenté savait tout. Il reposait avec douceur et prévoyait le meilleur un jour ; je ne pouvais envisager à quel moment, mais j’avais foi en l’avenir et me savais tout prête à vivre. Il ne me manquait qu’une chose : la liberté ».

Cathie BARREAU envoie des piques, fait de Natalia l’expéditrice, mais ne nous y trompons pas, derrière ces phrases polies par la plume de Natalia, c’est bien Cathie BARREAU qui s’exprime : « Mais il arrive souvent que, tous, je vous haïsse, vos grandeurs et vos mépris, vos lourdeurs et vos dénis. Quand vous courez vers le Caucase, bottés et harnachés de prétention et de douleur cachée, exaltés par vos voix d’hommes brutaux, avides de vivre aussi près de la mort que possible alors que vous ne savez rien de la vie, jouissant des tourments que vous allez infliger à vos soi-disant ennemis mais aussi à vos compagnons de guerre, petits fantassins d’une armée que vous dirigez, persuadés que vous êtes immortels, pauvres hommes bourreaux, convaincus que la justice et la gloire sont de votre côté, ensanglantés de vos bassesses inavouées, je sais que des siècles ne suffiront pas à vous faire entendre que rien ne sert de tenter de régler ses insatisfactions dans la guerre. Le Caucase, ses plaines et ses montagnes, ses peuples, mourront sans cesse sous les coups de vos masculines rancoeurs ».

Ce texte à la fois offensif et plein de doigté féministe vient de paraître aux éditions L’œil ébloui, maison d’édition indépendante depuis 2013 et basée à Nantes, forte d’une vingtaine de titres. Celui de Cathie BARREAU était initialement sorti en 2006 chez Laurence Teper. Il est ici réédité avec des aquarelles florales de Patricia CARTEREAU ainsi qu’une brillante postface de Françoise NICOL. S’il est un document à charge contre POUCHKINE, il montre d’un doigt plein de finesse l’avidité des hommes.

https://www.loeilebloui.fr/

(Warren Bismuth)