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dimanche 29 octobre 2023

Ivan BOUNINE « Le village »

 


Dans le cadre du challenge « Les classiques c’est fantastique », le thème du mois, qui ouvre de grands perspectives, est un (ou plusieurs) ouvrage à présenter issu des palmarès de Prix Nobel de littérature ou Prix Goncourt, autant dire que l’éventail est large. Moka et Fanny des blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores ne manquent décidément pas d’inspiration ni de ressources pour dégoter des thèmes attractifs. Je possédais depuis, disons, quelques années, ce roman de Ivan BOUNINE, premier russe à avoir obtenu le Prix Nobel de littérature (en 1933), l’occasion m’était donné de l’explorer.

Ce roman est le premier de l’auteur. Et il est d’un intérêt tout au moins littéraire quant à sa forme et son contenu. Écrit en 1909, il n’est pas encore l’un de ces romans aboutis dont la littérature russe a fait œuvre. Cependant, il est bien plus qu’une esquisse, il est même un véritable exercice de style.

Les frères Krassov, Tikhon et Kouzma, ont grandi ensemble, puis se sont brouillés, ont tracé leur chemin, chacun de son côté. À 50 ans, Tikhon, sans enfants (sa femme Nastasia Pétrovna a plusieurs fois accouché d’enfants morts), tient une auberge, tandis que Kouzma, se revendiquant anarchiste, vient de faire publier un recueil de poésie. Tikhon l’embauche comme administrateur et parallèlement tombe amoureux d’une jeune femme dont le mari est subitement mort. D’ailleurs, l’a-t-elle ou non empoisonné ? Tikhon entretient des relations explosives avec ses moujiks, Kouzma en est témoin, triste et impuissant.

« Le village » n’est pas fait d’un bloc, il est une analyse dans son jus des mœurs de la Russie rurale et profonde du début du XXe siècle. Mais il est loin de l’enjoliver ! Bien au contraire, il tire à boulets rouges sur ces mentalités considérées comme dépassées. Les dialogues sont en langue populaire, forts de nombreuses apostrophes pour couper les mots, comme s’ils étaient mâchés et recrachés par ceux qui les prononcent. On peut y voir l’influence de Nikolaï LESKOV, romancier russe à l’atmosphère rurale marquée, mais sous l’emprise d’une poésie envoûtante : « La pluie se calmait, le soir tombait : devant la télègue, sur un pacage vert, un troupeau galopait vers les isbas. Une noire brebis aux jambes fluettes s’était écartée, et une femme la poursuivait, se couvrant de sa jupe mouillée, pieds nus, montrant de blancs mollets lustrés. À l’ouest, au-delà du bourg, le ciel s’éclaircissait ; à l’orient, sur le fond poudreux et moiré d’une nuée, au-dessus des blés, deux arcs décrivaient leur courbe, verts et violets. Une senteur dense et moite venait des herbes champêtres, une odeur tiède – des habitations ».

BOUNINE (1870-1953) ne rangeait d’ailleurs pas cette œuvre dans la catégorie ‘Roman‘, il y voyait plutôt comme une longue poésie en prose. Et c’est vrai que la langue narrative est riche, dense, précise, musicale, exactement à l’opposé des dialogues. BOUNINE décrit par exemple avec force détails une foire aux bestiaux ainsi que les échanges verbaux des protagonistes, les deux styles tranchent, se font face. L’auteur semble n’avoir aucune empathie pour ces villageois qu’il décrit parfois de manière abrupte, proche de la caricature, alors que ses deux personnages principaux, les frères Krassov, sont emplis de mélancolie, regardant avec nostalgie leur lointain passé.

Les repères concernant la date approximative de l’action sont rares mais assez nets : préparation de la guerre entre la Russie et le Japon (débutée en 1904), prémices puis fin de la révolution de 1905, dissolution de la Douma (en 1907). Ce qu’a voulu faire BOUNINE ici est sans doute de tester son style. En effet, l’intrigue est légère, presque inexistante. En revanche les longues phrases magnifiques par leur enrobé sont nombreuses, leur musicalité est bien présente, même si la traduction de Maurice PARIJANINE (de 1922), par ailleurs fort bien exécutée, ne reflète sans doute pas toute l’ardeur de ce travail. L’action ouvre pas mal de portes quant à une piste de scénario, mais les referme aussitôt : beaucoup de questions sont soulevées, aucune réponse n’est proposée, le roman reste constamment en suspens, ce qui peut en gêner en partie la lecture.

Les villageois de BOUNINE sont cruels, racistes, ils s’organisent pour faire expulser des exploitations les travailleurs non natifs de la région pour les faire remplacer par des locaux. Dans ces coins reculés, on tombe malade, on ne peut pas se soigner. Les chapitres sont brefs, mais le tout souffre parfois d’une certaine longueur pour montrer peut-être un peu impudiquement une population rurale à l’agonie, comme le régime d’alors (qui tombera huit ans plus tard, c’est-à-dire presque le lendemain).

BOUNINE amorce la révolution manquée de 1905, ne s’y attarde pas, fait miroiter des horizons sur la pensée socialiste révolutionnaire, les referme aussitôt, ce n’est pas le but de ce roman. Il esquisse, s’en contente, se focalise sur son style, les impressions, dépeint la société villageoise à la façon d’un impressionniste, presque sans héros, à part ces deux frangins qui ne crèvent pas non plus « l’écran » de leur présence. BOUNINE cherche visiblement à se rassurer, à se montrer qu’il est capable de fournir une œuvre littéraire pouvant se faire remarquer. Il semble déjà en partie affranchi de l’influence théâtrale et burlesque de GOGOL même si elle se fait encore sentir avec force par moments, débarrassé également en partie des formes presque naturellement imposées pour la littérature russe par DOSTOÏEVSKI ou TOLSTOÏ. Il a trouvé un style même si le fond est encore un peu brouillon.

Si vous ne connaissez pas la littérature russe, il n’est peut-être pas du tout judicieux de la découvrir par l’entremise de ce titre, qui ne la repréente pas particulièrement. Même réflexion si vous ne connaissez pas BOUNINE, ce n’est pas son œuvre la plus significative. BOUNINE fut le premier écrivain russe à recevoir le Prix Nobel de littérature, c’était en 1933, il était alors exilé en France, il ne rejoindra jamais sa Russie.

« Le village » existe en version numérique et petit prix aux éditions Bibliothèque Russe et Slave, les éditions Ginkgo l’ayant réédité récemment en version papier.

https://bibliotheque-russe-et-slave.com/index1.html

(Warren Bismuth)



mercredi 25 octobre 2023

Danielle BASSEZ « Le même et l’autre »

 


Ce texte frappant et moderne débute avec la perte d’un proche après un accident. Puis le principal protagoniste de ce roman-poésie se confie et retrace sa propre vie, faite de drames aussi. Déjà à l’adolescence, ce corps qui se construit contre sa volonté, « Longues heures passées à se nier, pour paraître ce que l’on n’est pas ». Car il faut agir comme le regard de l’autre s’y attend et le souhaite, sous peine d’être catalogué, quasi criminalisé dans une société bien-pensante.

 

L’histoire de toute une jeunesse est passée en revue : les années 60 et 70, la période hippie avec l’amour libre comme étendard. Mais quelque chose cloche pour lui, l’ostracisé. On le regarde différemment, avec une certaine circonspection. Il n’entre pas assez dans les cases d’une jeunesse n’en revendiquant pourtant aucune, il est intrigant, alors certains essaient de voir ce qui peut bien se cacher dans les sous-vêtements.

 

Avec délicatesse, lucidité, originalité et intelligence, Danielle BASSEZ aborde la question ô combien actuelle du genre, avec sa voix toujours singulière et discordante, son style remarquable, à la fois feutré et puissant. Son personnage est né « elle » et ne se sent pas à l’aise dans ce rôle distribué. Il trouve refuge dans la littérature, la poésie, se voit en voyou anticonformiste, y compris dans des jeux sado-masochistes, pas tellement novateurs, dans des places bien trop définies pour l’homme et la femme. Les cases, encore et toujours.

 

Il écrit pour exorciser le mal-être. Mais voilà, d’après un spécialiste, son texte n’est « pas assez viril ». Il devrait être abordé autrement, plus conformément à des règles données, car « On s’y perd, on ne sait plus qui est qui. Il faut choisir. Ou bien… Ou bien… Il n’y a que deux voix possibles. Pas d’intermédiaire, pas de neutre. La langue est un piège. Alors il fait comme les loups, les renards : il ampute. Il censure. Il y a des choses dont on ne parle pas ». Car il ne faudrait pas non plus venir chahuter la belle et académique langue française, avec ses règles, ses interdictions, ses tabous.

 

La langue, justement, celle de Danielle BASSEZ, est prenante, ensorcelante, elle est d’une redoutable précision, aboutie. Ce livre est marquant : en un peu plus de 100 pages, il pose des questions essentielles sur le genre, il bouscule, il dérange autant qu’il est implacable, construit comme du roc. Paru en 2023 hors collection chez Cheyne éditeur, il se doit d’être lu, tant pour la forme que sur le fond, il est l’un de ces petits bijoux de l’année 2023 par son audace.

 

« Elle-même, ajoute-t-elle, ne se sent pas femme, pas homme non plus, elle se sent rien, ou tout. Tout autre chose. Animal. Ou ange. Cette forme-ci ce jour, et après, une autre. Au fond, c’est assez pratique. Elle a tous les points de vue à la fois. « Imagine, dit-elle, je suis sur le bord d’un puits. Si j’étais dedans, je serais enfermée et ne verrais que l’intérieur ; si j’étais dehors, je ne verrais que le paysage alentour, mais pas le dedans. Sur le bord, je vois de tous les côtés ». Autre que lui, différente jusque dans la différence ».

https://www.cheyne-editeur.com/

(Warren Bismuth)

dimanche 22 octobre 2023

Aurélie OLIVIER « Mon corps de ferme »

 


Rien que le titre gifle, joue sur les mots, les images. Le contenu dérange aussi, fait de ruralité, d’animaux de ferme abattus, transformés en vulgaire viande à nourrir les humains. Tout ceci dans une poésie brutale en vers libres, à la fois terriblement lucide et magique par sa langue au cordeau.

Tout commence dans les années 50, les paysans sont devenus des forces vives de la Nation. Ils se sont modernisés, nourrissent tant et tant de citoyens, alors que les gouvernements motivent par les remembrements. D’un agriculteur à l’autre, d’une ambition à l’autre, il est toujours possible de finir « paysan directeur général », gérer une grosse exploitation où il sera possible d’exploiter… des ouvriers.

Portes ouvertes sur l’agriculture intensive (des chiffres parlants d’eux-mêmes sont révélés ici), pesticides et diverses bombes à retardement. La Bretagne est prise en exemple, et ce n’est pas précisément joli. Le catholicisme, les croyances s’en mêlent, la Terre appartient au Seigneur, alors… Et puis les fêtes de villages, on s’enivre, on oublie tout, on devient à son tour une bête, tandis qu’un peu partout les publicités colonisent l’espace public.

On appuie sur « pause » lors des congés payés, on s’évade. Puis on reprend exactement où l’on s’était arrêté avant les vacances. Un monde qui tourne en vase clos, communautariste, recroquevillé, endetté (ah, les tracteurs hors de prix, qu’aucune famille ne pourrait se payer sans les crédits exorbitants, ni les aides de l’Etat).

Le monde bouge il paraît. Alors tout doit bouger, jusqu’à l’absurdité, jusqu’à la nausée :

« Les cafés du port proposent

des glaces au goût Schtroumpf

mais les algues vertes sont bio

 

Binic est une petite boutique

qui enfouit l’étable sous la mer

les Bretons ont le teint halé

 

Les touristes se projettent

lunettes de soleil sur le nez

Armor-Lux prêt-à-porter »

Avec grande habileté, Aurélie OLIVIER joue avec les mots, les malmène, les entortille, les « élastise », les remodèle, les sculpte, les déforme, et nous les renvoie en pleine poire. Car les images sont crues, font mal, nous attaquent au cœur de notre zone de confort, celle où nous préférons restés aveugles. Nous aussi avons été témoins d’émissions de télé-réalité faisant la part belle au quotidien fantasmé de l’agriculteur, tandis qu’invisibles sortaient de terre les pesticides, entraînant de nombreuses maladies graves, parfois mortelles, en une omerta collective et caractéristique.

« Mon corps de ferme » est un récit de vie, une enfance ballottée au milieu de la pollution inodore dans un monde replié, isolé, retranché. C’est ceci que la poétesse Aurélie OLIVIER met à jour, c’est un immense coup de poing, mais de seulement 55 pages de quelques lignes chacune. On aurait bien accepté un peu de rabe. Sans produits chimiques. Paru toute fin 2022 aux éditions du Commun, ce texte est violent, fort, de la poésie historique et documentaire à partager et à transmettre.

https://www.editionsducommun.org/

 (Warren Bismuth)

mercredi 18 octobre 2023

Abbas NALBANDIAN « Quelques histoires des pluies d’amour et de mort »



Cinq scénettes se succèdent, où, à chaque titre de l’une d’elles, le mot « pleut » s’est glissé. De petites histoires apparemment sans rapport, et pourtant, mises bout à bout, elles forment un tout. Un homme est mort, la mère et sa fille tentent de faire disparaître le corps. Une mère décédée discute pourtant avec son fils et son mari alors que ce dernier apprend qu’il est atteint d’une grave maladie. Un professeur et son élève conversent à propos de sujets tabous…

Dans chacune des scènes, les échanges sont faits de phrases brèves, dans un dynamisme qui ne laisse aucun temps mort. Le monde de l’absurde vient s’inviter dans le scénario, donnant à cette pièce des accents tout Beckettiens. Les dialogues pourraient parfois former un unique monologue, les passerelles entre les séquences existent aussi par le biais de répétition de mots ou de situations volontaires. En fond, omniprésente : la peur. « À l’instant, j’étais en train de me parler. Non, t’étais avec quelqu’un d’autre. Avec quelqu’un d’autre ? Avec qui ? Il n’y a personne ici. Si, il est là. Tu me fais peur. J’ai peur. Pourquoi t’as peur ? Parce que tu dis qu’il y a quelqu’un ici. Eh bien, ce n’est pas une raison d’avoir peur. Pas avoir peur ? Le fait qu’une personne rentre dans sa chambre et voie qu’il y a un étranger dedans, ça ne te fait pas peur ? ».

Ce livre de l’iranien Abbas NALBANDIAN (1947-1989) est une curiosité à bien des égards. En outre, il évoque l’homosexualité dans un pays qui ne l’autorise pas. C’est aussi une singularité par son rythme effréné dans les échanges, par la cohérence entre chaque scénette, pourtant distincte des autres puisque les protagonistes sont toujours différents. La pièce fut écrite en persan en 1977, peu avant la chute du régime du Shah d’Iran, bientôt remplacé par l’islamisme radical de l’Ayatollah KHOMEINI (1979). À partir de cette date, les travaux littéraires et théâtraux de NALBANDIAN sont interdits par le régime. Misérable, l’auteur finit par se suicider en 1989.

« Quelques histoires des pluies d’amour et de mort » est une pièce du théâtre de l’absurde, mais c’est également un vent de liberté dans un Iran autoritaire. Cependant, il ne faut pas y voir un travail sur le burlesque. En effet, tandis que l’évocation de la folie est bien réelle, la première séquence démarre dans le noir tandis que la dernière se clôt également dans une profonde opacité. Ainsi la boucle est bouclée, voici bien la preuve que ces quelques scènes a priori indépendantes se complètent et sont d’un seul bloc, massif et cohérent. Elle est la dernière pièce de l’auteur, qu’il finira d’ailleurs par renier.

Cette pièce est traduite du persan par Fahimeh NAJMI (privée de travail en Iran, elle s’est exilée en France) et François RÉMOND, la préface étant signée Joseph DANAN. Un livre à explorer pour ses propos décalés et subversifs pour son époque et dans ce pays. Il vient de sortir chez l’espace d’un Instant.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

dimanche 15 octobre 2023

Constantin THÉOTOKIS « Vie et mort de Karavélas »

Il peut se cacher parfois, dans la grande malle sans fond de la littérature, de petits trésors oubliés. Tel ce « Vie et mort de Karavélas » de Constantin THÉOTOKIS, auteur dont nous commémorons le centenaire de la disparition en cette année 2023. Roman écrit en 1920, il s’ouvre sur une longue dispute entre villageois à propos d’un héritage.

Les frères Stratiris occupent avec leur famille la même maison. Leur voisine, la femme de Karavélas, se meurt et son logis est convoité par les frangins, d’autant que le sieur Karavélas pourrait bien prochainement avoir besoin d’eux. Karavélas n’est pas le nom de cet homme (qui se prénomme Thomas), c’est un surnom donné par les membres du village, il signifie à peu près « L’étrangleur » ou « Le bourreau ». Tout le monde se garde bien de prononcer ce nom en présence du principal intéressé car il le met en rogne, le rend violent.

Commencent des comptes d’apothicaires à propos de l’héritage à venir de Karavélas, mais pas seulement. Le roman plonge dans une cruauté familiale sans bornes, une ruralité féroce, des échanges belliqueux et orduriers ont lieu entre les villageois. Les femmes s’en mêlent et ne sont pas les moins vives. D’ailleurs ce roman place à même niveau les femmes et les hommes, ce qui est une gageure au début du XXe siècle.

La femme Karavélas agonise, pleine de fiel envers son mari, lui reprochant toute une vie à ses côtés, une vie gâchée, le récit s’assombrit. Ce couple sans enfant ne fut pas un modèle du genre. La femme disparue, Karavélas est tout d’abord choyé (chacun lorgne du côté des ses biens et de sa maison en particulier) et chaque villageois veut réaliser une bonne action pour lui afin d’être couché sur testament. « Ah, mon pauvre Thomas ! Tu vas plonger dans des eaux sales, profondes et bien glauques. Et comment vas-tu t’en sortir ? Tu vas te retrouver dans de beaux draps si tu vas avec eux… Là-bas, chez ton beau-frère, avec tout ce monde, toute cette promiscuité, dans une si petite maison. Sans compter que là-bas, chacun a son petit caractère. Comment feras-tu pour y échapper ? ».

Rapidement, Karavélas n’est plus dorloté mais insulté, conspué, tel un bouc émissaire dans un village où il faut trouver un seul coupable pour tous les coups durs. Les habitants sont calculateurs, méchants, égoïstes, sales en dedans, et vont même entamer des travaux de rénovation de sa maison afin qu’elle coïncide enfin avec celle de la famille Stratoris. Karavélas, seul avec son âne, devient la risée du village. Mais il pourrait bien se venger…

« Vie et mort de Karavélas » est une farce féroce et cruelle. L’héritage rend les êtres cupides, ce petit village grec n’échappe pas à cette généralité. Tout le monde va régler des comptes avec autrui, va vociférer, parler plus fort que le voisin, les scènes sont théâtrales, à la fois burlesques et dramatiques, car malgré le sujet qui pourrait prêter à rire, on se sent mal à l’aise devant ces gens pleins de venin. C’est un roman sans issue car les propos sont allés trop loin, les familles se déchirent et Karavélas, la victime, pourrait bien les hanter encore longtemps pour ce qu’ils lui ont fait subir.

Voici un roman plein d’enseignements sur la vie rurale en Grèce au début du XXe siècle, mais plus globalement sur une mentalité faite d’envie, de jalousie, de rumeurs et de haine à peine contenue. Constantin THÉOTOKIS (1872-1923) se joue des ruraux, les observe et ne les apprécie pas franchement. Pourtant, nous prenons en pitié ce pauvre Karavélas, victime désignée d’une bande de lâches affamés de gain. La vengeance étant un plat qui se mange froid, la fin du roman, très forte, apporte son lot de surprises. Ce superbe texte est à découvrir dans la collection de littérature grecque des éditions Cambourakis. Paru en 2021 dans une traduction de Marc TERRADES, soit à peu près un siècle après sa rédaction, il serait dommage de passer à côté.

https://www.cambourakis.com/

(Warren Bismuth)

mercredi 11 octobre 2023

Jordan PLEVNEŠ « Cyrille et Méthode, Who are you ? »

 


En préambule, l’auteur macédonien Jordan PLEVNEŠ présente les deux frères dont les prénoms sont insérés dans le titre de sa pièce de théâtre écrite en 2015 en macédonien. Cyrille et Méthode, nés à Salonique au IXe siècle « ont présenté la civilisation slave sur la scène de l’Histoire du monde, aux côtés des civilisations hébraïque, latine et grecque. Ils l’ont fait entre 815 et 885, avec leur traduction de la Bible en slavon d’église ».

L’action se déroule sur plusieurs continents et nous permet de suivre plusieurs personnages à la fois. Cyrille Bélomorski est conférencier, fils d’un Léon qui souhaiterait qu’à sa mort ses cendres soient dispersées dans un puits près de son lieu de naissance en Grèce qu’il a quittée étant enfant et n’y est jamais retourné. Le frère de Cyrille, Méthode, travaille pour l’entreprise russe Gazprom à Vladivostok dont 93 pays dépendent. La femme de Cyrille, Jane, prépare une thèse sur Franz KAFKA, plus exactement sur une phrase précise et mystérieuse extraite de son journal : « La Russie a déclaré la guerre à l’Allemagne. Après-midi piscine ».

Les dialogues entre membres de la même famille s’entrecroisent, par le biais de la technologie et de la communication contemporaine, alors que Cyrille travaille sur un projet de film sur (l’autre) Cyrille, Méthode et la civilisation de l’amour. Dans un monde moderne où l’humain est esclave du temps, de l’argent et des voyages d’affaire (« Je suis venu de Washington à Sofia uniquement pour un essayage de costume »), l’épopée des deux frères grecs du IXe siècle semble être celle d’une fable, d’un temps suspendu voire stoppé, en tout cas fort lointain, impalpable.

De pays en pays, les personnages de Jordan PLEVNEŠ évoquent la guerre, son absurdité, les massacres dans de nombreuses régions du monde, tandis que la phrase de KAFKA continue de hanter Jane, et que Albert CAMUS vient s’inviter dans les échanges.

« Cyrille et Méthode, Who are you ? » est un texte exigeant, vertigineux dans son aspect géographique comme historique. Le texte saute du IXe au XXIe siècle sans filet de sécurité, il peut paraître mystique voire mythologique. En 25 brèves scénettes et un épilogue, l’auteur crée un climat disparate et incertain fait de nombreuses citations, alors que les choses simples du quotidien semblent avoir disparu de la mentalité de l’espèce humaine. Le lectorat doit s’accrocher pour faire la clarté sur un texte toujours en mouvement, sans un seul moment de répit.

La courte préface est signée Georges BANU (décembre 2022) alors que la traduction est assurée par Frosa PEJOSKA-BOUCHEREAU. Une pièce labyrinthique où se mêlent géopolitique, Histoires mondiale et intime sur une période de onze siècles, c’est dire l’ardeur de la tâche. Elle vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant et soulève de nombreux questionnements.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

dimanche 8 octobre 2023

Elsa DORLIN « Guadeloupe mai 67 »

 


Bien que Elsa DORLIN soit directrice de publication de l’ouvrage et de ce fait la seule mentionnée sur la couverture, ce sont trois individualités qui ont pris part à la rédaction de ce documentaire historique, politique et social. En France métropolitaine, le massacre en mai 1967 de manifestants guadeloupéens est peu connu, aussi il était important de raviver la mémoire collective avec, en introduction, une nécessaire information sur le choix même des mots du titre et du sous-titre (« massacrer et laisser mourir »).

C’est du côté de Basse-Terre que la révolte populaire se fit entendre en premier dans la rue dans ce département d’outre-mer en 1967. Les causes sont nombreuses : crise politique majeure, présence accrue de l’Etat français dans l’administration, contexte social bouillant. À ceci vient s’ajouter le passage dévastateur de l’ouragan Inès en septembre 1966, le point d’orgue étant les élections législatives truquées de mars 1967, et l’étincelle une agression raciste en pleine rue le 20 mai suivant. La révolte s’étend alors à Pointe-à-Pitre.

Le premier intervenant du livre est Jean-Pierre SAINTON (très récemment décédé, quelques mois à peine après la sortie de cet ouvrage) qui expose ici le contexte ainsi que ses propres souvenirs d’enfant, il vivait alors en Guadeloupe et avait 11 ans. Il plante le décor de manière pédagogique « Au fondement, c’est l’épilogue d’une crise sociale résultant des soubresauts terminaux de la société d’habitation tardive des années 1960, de la poussée de l’urbanisation, de la croissance du chômage des jeunes, fruits à la fois de l’avancée démographique et de la stagnation de l’économie de production ». Et l’ouragan Inès vient parachever le mécontentement et la désillusion.

La guerre d’Algérie est encore dans toutes les mémoires, et Mathieu RIGOUSTE, le deuxième intervenant, analyse les points communs entre celle-ci et la situation en Guadeloupe, notamment par le biais du préfet de la Guadeloupe à partir de mai 1965, un certain Pierre BOLOTTE dont le pedigree est assez impressionnant. Ancien collabo durant la deuxième guerre mondiale, il a fait l’Indochine, l’Algérie (il a notamment commandé la torture de Fernand IVETON, militant communiste, torture qui entraînera la mort du prisonnier, lire à ce propos le très documenté « De nos frères blessés » de Joseph ANDRAS), BOLOTTE rejoint l’île de la Réunion en 1958 avant d’être nommé en Guadeloupe. Il appartient au tristement célèbre clan FOCCARD et, dès son arrivée, projette un contrôle antisubversif de la population en prenant exemple sur le modèle de l’Algérie. Il tirera sa révérence en 2008 après avoir été le premier préfet de Seine-Saint-Denis en 1969.

En Guadeloupe ces événements sont nommés ceux de « Mé 67 ». D’une grève massive naissent des charges de police d’une rare violence au cours des manifestations. Officiellement on dénombre huit morts. En fait il y en a beaucoup plus (peut-être près de cent). À ce jour le chiffre n’est toujours pas connu et ne le sera sans doute jamais. Ce que l’on sait en revanche, et que les trois intervenants développent, c’est que certains prisonniers noirs n’ont pourtant pas pris part aux émeutes, ils sont arrêtés pour l’exemple. La presse métropolitaine est alors très discrète voire proche du pouvoir sur ce qui se déroule en Guadeloupe, alors que de nombreuses personnes disparaissent, certaines sont noyés (on se souvient des événements du 17 octobre 1961 à Paris et de la répression sans limites de manifestants algériens dont beaucoup périront noyés dans la Seine, poussés par les forces de l’ordre). Pour ce qui se qui est de la Guadeloupe, Mathieu RIGOUSTE n’hésite pas à employer le terme de crime d’Etat tout en étayant ses propos, en évoquant à maintes reprises, comme d’ailleurs Jean-Pierre SAINTON, l’acharnement à l’encontre du collectif révolutionnaire Gong et le racisme envers les noirs.

Elsa DORLIN ferme la marche pour un texte plus philosophique sur le rôle de la police dans un Etat, la place prépondérante du racisme, analyse le processus de massacre de populations colonisées et/ou considérées comme inférieures, tout en revenant sur d’autres révoltes, antérieures à ce « Mé 67 » mais similaires. Pour se faire, elle convoque notamment les pensées de Michel FOUCAULT, Aimé CÉSAIRE et Franz FANON. Les notes et éléments bibliographiques sont d’ailleurs fort nombreux dans l’ouvrage. « En 1967, la formule rhétorique employée par Bolotte en dit long. La France veut rétablir un gouvernement des vies guadeloupéennes : élever, conduire la population, pour mieux réaffirmer la transcendance de l’autorité de la métropole – seul berger légitime. Or, si le troupeau en vient à se donner son propre guide, sa propre voix, à décider de son chemin, alors la chasse est ouverte ». On ne fait pas plus clair.

Vous l’aurez compris, ce documentaire est essentiel par son analyse d’un mouvement contestataire oublié bien que massacré. C’est d’ailleurs tout le contexte politique des Antilles et de Guadeloupe qui est ici précisé par trois spécialistes argumentant de manière didactique mais précise. Le livre est sorti en 2023 aux éditions Libertalia qui comme toujours nous comblent d’une autre histoire politique, celle des perdants.

https://www.editionslibertalia.com/

(Warren Bismuth)

mercredi 4 octobre 2023

Ali COBBY ECKERMANN « Ruby Moonlight »

 


Avant de présenter ce livre de poésie, il est nécessaire de revenir sur le parcours de Ali COBBY ECKERMANN, « poète aborigène issue des peuples Yankunytjatjara et Kokatha. Née en terre Kaurna en 1963, elle appartient à la « génération volée », celle des enfants australiens aborigènes qui ont été enlevés à leurs familles par des agences gouvernementales ou des missions religieuses. Adoptée alors qu’elle était bébé par la famille Eckermann, elle reprit contact avec sa mère à l’âge adulte ».

Ainsi que l’annonce la page de garde, « Ruby Moonlight » ne se veut pas un recueil de poésie, mais « Un roman sur l’impact de la colonisation en Australie du Sud dans les années 1880 ». Il est toutefois une suite de poèmes en vers libres, chaque titre de ces 69 poèmes ne comportant qu’un seul mot et chaque poème présenté sur une page. Mais tous sont solidaires, soudés ensemble, pour un résultat contant une vraie histoire.

Ali COBBY ECKERMANN écrit sur les coutumes aborigènes, la vie au sein des tribus. Elle va en suivre une, victime d’un massacre alors qu’elle se trouve implantée sur ces terres depuis si longtemps. Ruby Moonlight en est la seule survivante, elle a 16 ans et raconte. Elle a tout d’abord suivi les émeus, puis est partie en forêt au bord de l’eau pour survivre seule. « la femme repose enfin son épuisement / repose son chagrin / et hume la pluie ». Dans ce superbe texte, aucune majuscule, aucune ponctuation. C’est alors qu’elle aperçoit Jack le mineur, un trappeur, l’épie, peine à l’approcher, méfiante et fascinée tout à la fois.

Les images sont simples, comme le quotidien de cette femme, elles n’en demeurent pas moins d’une grande robustesse, d’une force féministe conséquente où l’harmonie avec la nature n’est pas un fantasme, et où la cruauté humaine surgit malgré l’amour : « elle se réjouit que Jack soit / un homme de peu de mots / Jack se réjouit qu’elle soit / une femme de peu d’exigences / dans leur isolement / ils sont ciel / dans leur isolement / ils sont terre / l’isolement est indispensable / à leur fusion / il est interdit aux Européens / de forniquer avec les noirs ». La vie s’écoule au rythme des saisons, guidée par les superstitions, tandis que Jack pourrait bien avoir trouvé un trésor...

« Ruby Moonlight » est un livre pudique sur la simplicité et les sentiments, contre la colonisation, pour un retour à la vie en adéquation avec la nature, ainsi qu’un parcours de la propre vie de l’autrice en filigrane. Il est d’une beauté qui se partage, où l’intime vient rejoindre suavement l’Histoire. Il n’oublie pas l’horreur humaine, car « le son d’une lance / atteignant sa cible / est reconnaissable entre tous ». Il met en scène des personnages entiers, vrais, purs. Sorti en 2023 aux éditions Au vent des Îles (éditeur implanté en Polynésie française), il est formidablement traduit par Mireille VIGNOL qui le pare de fins attraits. Il est mis en valeur par la non moins magnifique couverture dont le graphisme est dû à Gabrielle AMBRYM. Un coup de cœur pour l’élégance, qu’elle soit dans le texte, la traduction et l’esthétisme.

https://auventdesiles.pf/

 (Warren Bismuth)

dimanche 1 octobre 2023

Joseph ANDRAS « Nûdem Durak – Sur la terre du Kurdistan »

 


Soucieux de respecter les choix des maisons d’édition, c’est avec ce titre que je présente ma chronique du jour. Pourtant il eût été peut-être plus juste de formuler ainsi le libellé d’introduction « Joseph ANDRAS & Nûdem DURAK ‘Sur la terre du Kurdistan’ » puisque ce livre a bien été écrit à quatre mains. Mais venons-en à son contenu.

En 2015 Nûdem DURAK, chanteuse kurde, est arrêtée puis emprisonnée par les autorités turques. Motif : militantisme au sein du PKK, organisation révolutionnaire kurde hostile à la politique menée en Turquie. Nûdem DURAK encourt une peine de prison de 19 ans, sa libération ne devrait être effective qu’en 2034.

Nûdem DURAK n’est pourtant inféodée à aucun parti, aucun organe politique, mais sa voix dérangeait le pouvoir, ses prises de position dans ses textes. Elle avait été emprisonnée deux fois par le passé, la troisième est la plus brutale. Née officiellement en 1988, elle assure ne l’être réellement qu’en 1993 (les raisons sont évoquées dans le livre). Vivre pour une femme dans un Moyen-Orient où il est « impossible d’être apolitique », où les conditions des femmes sont revenues à un état quasi féodal, et où tout acte contre le pouvoir est condamné, est un combat de tous les jours.

Dans un pays où certains livres, certaines langues sont interdits, l’avenir, loin d’être radieux, est même plutôt bouché et plus qu’incertain. Alors des femmes, des hommes se lèvent pour exprimer leur mécontentement, Nûrem est de ceux-ci. Joseph ANDRAS, déjà connu pour ses portraits saisissants et militants de Fernand IVETON dans « De nos frères blessées » (livre pour lequel il refusera le Prix Goncourt du premier roman), Kahnyapa DIANOU dans « Kanaky », HÔ CHI MINH dans « Au loin le ciel du sud » ou encore celui de Camille DESMOULINS dans « Pour vous combattre », dresse ici le portrait d’une autre figure de la lutte, celle de Nûdem DURAK. Comme en écho, la chanteuse, dans un texte en italique, vient dérouler son autobiographie ainsi que la situation au Kurdistan sur les dernières années, la pression émise par la Turquie et les relations délétères entre les deux peuples.

Si à ce jour Joseph ANDRA n’a travaillé pour ses livres que sur des personnages morts, il réalise que cette fois-ci, non seulement sa mission sera de donner force à une personne vivante, mais qu’en plus il correspond avec elle, depuis 2019, et alors que le régime turque de Recep Tayyip ERDOĞAN avec ses alliés de l’Iran et de la Syrie notamment se durcit de jour en jour envers le peuple kurde. ANDRAS ne se contente pas d’écrire, il agit. En homme de combat, il se rend sur place à plusieurs reprises, notamment du côté de la région indépendante du Rojava où les kurdes luttent sans merci pour conserver leurs territoires sans emprise. ANDRAS raconte : il est allé au Chiapas, il a écouté, appris. Là-bas la communauté est de tout cœur avec les kurdes. Il prend position, il prévient quant aux possibles procès d’intention « Il m’importe peu, au fond, que Nûdem fût membre ou non du PKK. Mais on se doit à la vérité des faits et aux règles les plus sommaires du droit ». « Amis » conspirationnistes, prenez-en de la graine…

Ceylan est la sœur de Nûdem, elle a été arrêtée elle aussi, presque en même temps. Nûdem tente de garder espoir, malgré la lassitude, l’incompréhension. Mais elle est toujours emplie de cette rage qu’elle fait partager par ses écrits, splendides, même si elle n’a quasiment pas été à l’école (où il était interdit de parler kurde). C’est ce que l’on appellerait aujourd’hui une « self-made woman ». Elle n’a pas l’impudeur de laisser le projecteur sur elle. Non, elle écrit sur ses frères et sœurs kurdes de lutte, sur sa jeunesse à elle, mais dans un contexte politique fort particulier où les médias d’opposition sont interdits.

De son côté ANDRAS rencontre et interroge quelques personnalités de la culture, elles aussi en lutte, notamment Asli ERDOĞAN (aucune affiliation familiale avec le président turque). Il couche sur le papier ce qu’il voit, ce qu’il lit, ce qu’il entend, en un véritable réquisitoire pour le peuple kurde, un texte présenté un peu comme des attendus de tribunaux, agrémenté de relais de nombreux témoignages d’autochtones ou d’exilés, qu’il retranscrit. Avec, et c’est l’une de ses marques de fabriques, des phrases percutantes en forme d’aphorismes : « Condamner le sang sans condamner l’ordre, c’est regarder le monde par l’œil du roi ».

ANDRAS a travaillé quatre années sur ce livre, de 2019 à 2023, et a parallèlement reçu un cadeau inestimable : le manuscrit inédit « Les notes de la liberté », écrit en turc par Nûdem DURAK. C’est ce manuscrit qui est ici intercalé tout au long du travail de ANDRAS, en résultent deux textes qui se complètent, s’identifient, ne pensant jamais l’un loin de l’autre. L’ouvrage se termine par des messages de solidarité de figures de la culture mondiale, messages postés sur le site Free Nûdem Durak. Le livre est paru en 2023 aux éditions ici bas, il est nécessaire, documenté, combatif, éblouissant de lucidité.

« J’ai vu que vous résumiez ce qui se passe en Iran à la question du voile. On vous parle de totalitarisme et vous parlez d’un vêtement. Dire que je croyais que vous étiez des gens éclairés, les européens ! ».

https://editionsicibas.fr/

(Warren Bismuth)