Cinq scénettes se succèdent, où, à chaque titre de l’une d’elles, le mot « pleut » s’est glissé. De petites histoires apparemment sans rapport, et pourtant, mises bout à bout, elles forment un tout. Un homme est mort, la mère et sa fille tentent de faire disparaître le corps. Une mère décédée discute pourtant avec son fils et son mari alors que ce dernier apprend qu’il est atteint d’une grave maladie. Un professeur et son élève conversent à propos de sujets tabous…
Dans chacune des scènes, les échanges sont faits de phrases brèves, dans un dynamisme qui ne laisse aucun temps mort. Le monde de l’absurde vient s’inviter dans le scénario, donnant à cette pièce des accents tout Beckettiens. Les dialogues pourraient parfois former un unique monologue, les passerelles entre les séquences existent aussi par le biais de répétition de mots ou de situations volontaires. En fond, omniprésente : la peur. « À l’instant, j’étais en train de me parler. Non, t’étais avec quelqu’un d’autre. Avec quelqu’un d’autre ? Avec qui ? Il n’y a personne ici. Si, il est là. Tu me fais peur. J’ai peur. Pourquoi t’as peur ? Parce que tu dis qu’il y a quelqu’un ici. Eh bien, ce n’est pas une raison d’avoir peur. Pas avoir peur ? Le fait qu’une personne rentre dans sa chambre et voie qu’il y a un étranger dedans, ça ne te fait pas peur ? ».
Ce livre de l’iranien Abbas NALBANDIAN (1947-1989) est une curiosité à bien des égards. En outre, il évoque l’homosexualité dans un pays qui ne l’autorise pas. C’est aussi une singularité par son rythme effréné dans les échanges, par la cohérence entre chaque scénette, pourtant distincte des autres puisque les protagonistes sont toujours différents. La pièce fut écrite en persan en 1977, peu avant la chute du régime du Shah d’Iran, bientôt remplacé par l’islamisme radical de l’Ayatollah KHOMEINI (1979). À partir de cette date, les travaux littéraires et théâtraux de NALBANDIAN sont interdits par le régime. Misérable, l’auteur finit par se suicider en 1989.
« Quelques histoires des pluies d’amour et de mort » est une pièce du théâtre de l’absurde, mais c’est également un vent de liberté dans un Iran autoritaire. Cependant, il ne faut pas y voir un travail sur le burlesque. En effet, tandis que l’évocation de la folie est bien réelle, la première séquence démarre dans le noir tandis que la dernière se clôt également dans une profonde opacité. Ainsi la boucle est bouclée, voici bien la preuve que ces quelques scènes a priori indépendantes se complètent et sont d’un seul bloc, massif et cohérent. Elle est la dernière pièce de l’auteur, qu’il finira d’ailleurs par renier.
Cette pièce est traduite du persan par Fahimeh NAJMI (privée de travail en Iran, elle s’est exilée en France) et François RÉMOND, la préface étant signée Joseph DANAN. Un livre à explorer pour ses propos décalés et subversifs pour son époque et dans ce pays. Il vient de sortir chez l’espace d’un Instant.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
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