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mercredi 14 mai 2025

Georges SIMENON « Monsieur La Souris »

 


La Souris est un clochard des rues de Paris, habitué des commissariats où il se fait coffrer pour dormir au sec. Seulement il vient de tomber sur un corps inerte, un cadavre en somme, muni d’une enveloppe jaune contenant quelque chose comme 4500 dollars. Il va lui falloir jouer fin pour livrer un bout de vérité sur les circonstances de sa découverte, sans toutefois trop en dire, notamment sur le cadavre, que la police n’a pas encore trouvé. Le but est de pouvoir, dans un an et un jour, devenir propriétaire officiel du magot.

La Souris, alsacien désinvolte, culotté et drôle se rend au commissariat, s’y entretient avec Lognon, inspecteur de police municipale. L’enquête avance vite et le mort s’avère être un financier suisse. L’affaire se complique, d’autant que des figures peu reluisantes entrent en piste et qu’une femme accuse le fondé de pouvoir du mort de l’avoir fait passer de vie à trépas, ce qui pourrait bien faire avorter le projet de La Souris. L’enquête est confiée au commissaire Lucas tandis que de son côté, La Souris cherche à en savoir plus sans en avertir la police.

« Monsieur La Souris » est un « roman dur » fascinant de Simenon. Ecrit en 1937 à une époque où Simenon pense en avoir terminé avec son commissaire Maigret (le dernier roman le mettant en scène date de 1934, et Maigret ne réapparaît que ponctuellement dans de courtes nouvelles), il offre pourtant une ambiance absolument similaire. Mieux : son inspecteur Lognon ne va pas tarder à revenir en scène, quelques années plus tard, cette fois en inspecteur… du commissaire Maigret (son surnom « l’inspecteur malgracieux » ne lui vient d’ailleurs pas de l’équipe de Maigret mais bien de ce Monsieur La Souris !). Lucas, ici le commissaire fumant la pipe, fait déjà à cette époque partie des « lieutenants » de Maigret. Janvier, un autre des fidèles de Maigret déjà apparu antérieurement, est mieux qu’aperçu dans ce « Monsieur la Souris ». Bref, ce roman contient tous les ingrédients pour être un Maigret… sans Maigret ! Il est en quelque sorte peut-être le seul Maigret « caché » dans toute l’œuvre de Simenon. Il pourrait faire partie de la saga (il y est même fait quelques allusions à la ville de Vichy, du département d’où Maigret est né, l’Allier).

Ce roman est doublement à ne pas mésestimer, l’enquête et sa conclusion étant tout à fait bien menées pour une chute de choix. Quant à Simenon, il n’a jamais pu se défaire de « son » Maigret et le fait revivre ici sous les traits de son équipe, comme si le commissaire observait ses collègues en direct de sa maison de campagne où il a pris alors sa retraite à Meung-sur-Loire. Quant à Lucas, il apparaît assez brièvement dans un roman contemporain à « Monsieur la Souris », un de ces roman durs dont l’ambiance pourrait se rapprocher des Maigret, « L’homme qui regardait passer les trains ». Lucas interviendra dans d’autres romans durs.

Un bémol toutefois, mais qui n’est pas propre à ce roman. Simenon avait le désagréable réflexe, alors que le corps d’un mort n’a pas encore été retrouvé et que la personne est donc par définition toujours considérée comme vivante, de faire témoigner ses personnages en en parlant systématiquement ou presque au passé, comme s’ils avaient eu vent du décès. Cette faute est constante dans son œuvre, mais peut-être qu’ici elle est encore plus flagrante, d’autant que l’histoire repose en partie sur la non découverte du corps et que les témoignages se succèdent, évoquant tous le financier suisse au passé.

« Monsieur La Souris » montre, comme le recueil de nouvelles « Le petit docteur » déjà chroniqué ici, que Simenon, après avoir plus ou moins effacé Maigret, ne parvient pas à vivre sans lui, sans y faire plus ou moins implicitement allusion. C’est comme un personnage qui le hante, lui empêche de regarder à côté, sans lui. Il est incontestable que ce « Monsieur La Souris », mieux qu’un clin d’œil ou un hommage, est un tome non revendiqué de Maigret où Simenon tente de se séparer de la figure de son héros, comme pour le punir, en confiant une enquête de Maigret à d’autres intervenants. Mais Maigret, expulsé par la porte, reviendra par la fenêtre, cette fois pour toujours dans l’œuvre de Simenon. Pour qui Maigret occupe une place particulière, il me semble déraisonnable de ne pas découvrir ce roman dur, un prolongement de la série. Quant à Monsieur La Souris, rendez-vous dans le roman pour voir ce qu’il advint de lui. Il fut adapté à l’écran en 1942 par Georges Lacombe avec Raimu dans le rôle principal, j’en garde un bon souvenir quoique nébuleux.

(Warren Bismuth)

mercredi 23 novembre 2022

RODOLPHE & MAUCLER « Simenon le roman d’une vie »

 


Comme son titre l’indique, ce roman graphique propose une biographie de Georges SIMENON, de sa jeunesse à Liège jusqu’à son arrivée à Paris et ses premiers succès littéraires.

Enfant, SIMENON dévore les romans classiques malgré l’hostilité évidente de sa mère, femme autoritaire et injuste, lui préférant le cadet, Christian. Père présent et bienveillant, mais effacé par le caractère volcanique de sa femme, catholique pratiquante. Bien vite le jeune Georges est attiré par les femmes, obsession qui le poursuivra toute sa vie.

Tout d’abord enfant de chœur, SIMENON signe ensuite ses premiers contrats professionnels : apprenti pâtissier puis libraire. Mais à chaque fois il est congédié. Le tournant se situe avec ce poste décroché comme journaliste à la gazette de Liège, célèbre quotidien local de tendance catholique. Très vite le jeune Georges apprécie les faits divers et les affaires de meurtres, comme il apprécie la proximité des prostituées, une drogue qui là encore ne le quittera pas.

Il participe à des fêtes arrosées, bien sûr entouré de femmes qu’il désire. Il fait la connaissance de Tigy qui finit par devenir sa femme. Une femme qui doit accepter un ménage à trois ainsi que les écarts sentimentaux et sexuels de son mari, notamment avec Joséphine BAKER.

La mort de son père laisse un vide. Cet homme pourtant si souvent discret et insignifiant lui a permis en un sens de se sentir homme. C’est à cette période qu’il accomplit son service militaire, mais un projet le taraude : écrire des romans. Le premier d’entre eux est rédigé en septembre 1920 et s’intitule « Au pont des arches » (SIMENON a alors 17 ans). Il est publié sous pseudonyme : Georges Sim. De là s’amorce une boulimie d’écriture, près de 200 romans et nouvelles en une dizaine d’années (!), principalement érotiques ou légers, toujours publiés sous divers pseudonymes, dans des journaux et gazettes, avant les années 30. En aparté, notons que sous son vrai nom, SIMENON publiera à peu près autant de romans et nouvelles.

Afin de rencontrer le succès, il s’installe à Paris, où il fréquente les milieux littéraires, ponctue ses affinités de bamboches sévères. En 1929 il achète le bateau « L’ostrogoth » qui va lui permettre de connaître la vie sur l’eau, un autre quotidien, qui par ailleurs va influencer une partie de son œuvre future (il s’imagine en digne héritier de Joseph CONRAD). Lors d’un voyage en Hollande à bord de son bateau, il crée le personnage de Maigret, puis organise à Paris le désormais célèbre bal anthropométrique afin de faire connaître « son » commissaire. C’est sur cette note pleine d’espoir que s’achève la BD.

Les couleurs surannées des illustrations de Christian MAUCLER portent cette biographie de manière éclatante. Quant au texte de RODOLPHE, il est simple et concis, sans jamais se perdre dans des détails superflus, il va droit au but afin de faire partager cette tranche de vie, laissant l’écrivain en devenir à l’aube de ses 30 ans. Les fans de SIMENON y trouveront largement leur compte. Cette BD vient de sortir aux éditions Philéas, elle est à déguster tranquillement, près d’une source de chaleur.

https://www.editis.com/maisons/phileas-2/

 (Warren Bismuth)

dimanche 4 septembre 2022

Georges SIMENON « Maigret à Vichy »

 


Ce tome, « Maigret à Vichy », n’est bien sûr qu’un prétexte à cette chronique. Ponctuellement je rejoins le commissaire né de l’imagination de SIMENON, je lui fais des infidélités très souvent, plus rarement je l’abandonne durant plus d’une année. Mais il revient dans la même pièce que moi, comme un vieil amant, et cela fait 15 ans que ça dure. Enfin plutôt, que ça durait. En effet, c’est par ce « Maigret à Vichy » que l’aventure se termine dans mes lectures, que se clôt pour moi le cycle des enquêtes du commissaire. Je le confesse, je n’ai pas pris le chemin tout tracé qui m’aurait enjoint de lire tout dans l’ordre chronologique, pour la simple raison que lorsque j’ai repris, de manière active, les enquêtes en 2007, je ne pensais pas parvenir un jour à terme, à avoir lu tout l’univers qui met en scène le célèbre commissaire, je m’imaginais me contenter de grappiller ici et là quelques titres épars.

Bilan du personnage de Maigret : 75 romans, 29 nouvelles, mais aussi les cinq apparitions « proto-Maigret » au tout début des années 1930, cinq enquêtes où le commissaire est ébauché, mais qui ne figurent pas dans la série. Terminer une pareille expérience, c’est un peu comme perdre un membre de sa famille. 15 ans de cohabitation plus ou moins active, 15 ans que lui fume sa pipe et moi mon tabac en le lisant. J’en ai retenu beaucoup d’enseignements, notamment dans le travail psychologique minutieux opéré par SIMENON, et cette précision chirurgicale, comme maladive. J’en suis venu à observer mes semblables et leurs travers, et bien sûr de le regretter illico.

Pendant ces 15 ans, Maigret m’a séduit, jamais ennuyé, jamais je n’ai trouvé le temps long dans une description ou une conclusion d’enquête. Parfois certaines preuves ont pu me paraître un poil hâtives, du genre grosses ficelles que l’on cache derrière le décor. Mais toujours je me suis senti solidaire et plein de tendresse pour ce gros monsieur pataud et malhabile dans ses déplacements.

SIMENON, à qui un journaliste disait que « son » Maigret lui ressemblait de plus en plus, répliqua que c’était lui, SIMENON, qui se rapprochait de plus en plus du personnage qu’il avait créé. C’est le plus bel hommage qu’il pouvait rendre à celui qui l’a rendu célèbre. Mais lui-même n’a-t-il pas rendu Maigret célèbre ?

Pourquoi terminer cette série par « Maigret à Vichy » ? Maigret a grandi à la campagne près de Moulins, dans le département de l’Allier, car oui, Maigret est auvergnat. Et cette enquête à Vichy, qui n’en est pas vraiment une pour lui en tant que commissaire (puisqu’il se trouve alors sur place avec sa femme pour suivre une cure de remise en forme dans les eaux thermales), est une sorte de retour aux sources, en tout cas à quelque 40 kilomètres seulement de son lieu de naissance.

« Maigret à Vichy » est original dans son scénario. Maigret n’est pas là pour poursuivre un tueur, mieux, il est avec sa femme, en amoureux, flânant dans les rues de la ville de Vichy, observant les autres curistes, comme par déformation professionnelle, lorsque l’une d’entre elle, une femme d’une cinquantaine d’années qu’il a déjà remarquée, est assassinée. C’est presque « par accident » qu’il prend part à l’enquête, durant laquelle d’ailleurs sa femme donne quelques pistes, ceci aussi est rare dans la saga. Le fond n’est jamais à sous-estimer chez Maigret, la trame est toujours complexe ou en tout cas solide et soignée. Ce tome ne fait pas exception à la règle. On se laisse comme toujours prendre au jeu avec allégresse et enthousiasme. Maigret est de ces personnages littéraires qui marquent longtemps. Certes, les nombreuses adaptations cinématographiques ou télévisées ont contribué à le rendre encore plus célèbre, mais il faut avoir lu ses enquêtes pour bien se rendre compte du travail méticuleux de l’auteur qui avance par touches minuscules sur le terrain avec Maigret, ne laissant rien au hasard, et surtout pas la météo du jour !

J’ai du mal à réaliser que je dis adieu à Maigret, alors je préfère un « au revoir » timide, peut-être reviendrai-je un jour ou l’autre vers lui, retendre ma main à sa grosse paluche. Je n’ai pas la prétention de pavoiser en connaisseur ès-Maigret, en spécialiste de la question. Mais sachez qu’au fil des décennies, le protagoniste principal évolue peu, que sa vie n’est jamais pleine d’aspérités, aussi ses enquêtes peuvent se lire dans le désordre. Quant au préférences dans le choix, c’est bien simple : aucun tome, aucune enquête ne m’ont paru creux ou invraisemblables, tout vaut le déplacement, même si à titre personnel et avec ce léger recul, les nouvelles m’ont laissé une très forte impression de par leur précision d’horloge suisse en seulement quelques pages, c’est sans doute vers elles que je retournerai en premier lieu si l’envie me vient subitement de renouer avec Maigret. Mais d’ici là, j’aurai peut-être relu « Maigret entre en scène », ce recueil désormais épuisé qui regroupe cinq enquêtes passées inaperçues, qui sont pourtant les racines mêmes du commissaire, celle où par de plus ou moins longues apparitions, il est présenté au lectorat de SIMENON. Si j’effectue le grand saut, je ne manquerai pas de vous en faire part. En attendant, vous pouvez vous plonger sans crainte dans cette série, je vous souhaite 15 années pleines de rencontres et de complicité.

(Warren Bismuth)

dimanche 7 août 2022

Georges SIMENON « Maigret chez le coroner »

 


Pourquoi donc présenter sur ce blog un volet de la série des Maigret de Georges SIMENON alors que tout le monde connaît ce commissaire ? Pour plusieurs raisons : tout d’abord, j’en continue la lecture, jusqu’à ce que mort s’en suive, ou plutôt jusqu’à avoir épuisé l’intégralité de ses enquêtes, défi entamé il y a 15 ans, qui touche à sa fin, et dont je vous reparlerai dans une prochaine intervention. Deuxièmement car il me semble être devenu un personnage incontournable de la littérature du XXe siècle et qu’il faut bien de temps à autre le déterrer afin de l’aérer. Enfin, cet épisode de Maigret est sans nul doute l’un des plus audacieux et des plus originaux de la saga (forte de 75 romans et 28 nouvelles tout de même, sans compter les 5 romans de SIMENON publiés alors sous pseudo et ébauchant les premiers traits et les premières manies du futur commissaire, regroupés sous le titre « Maigret entre en scène »).

Invité par le F.B.I., le pourtant pantouflard Maigret se rend en Arizona afin d’assister à un procès, pour mieux se rendre compte de la manière de travailler de la police Etats-unienne. Au menu une morte, retrouvée près d’un rail de chemin de fer, elle a été percutée par la locomotive. Accident, meurtre ou suicide ? Ce soir-là, ils étaient six jeunes (Bessy la victime ainsi que cinq hommes) à faire la fête et boire plus que de raison. De séductions en disputes et tromperies sur fond de saoulerie mémorable, le drame survient.

Aux Etats-Unis, pas d’interrogatoires en privé mais des procès gigantesques et médiatisés devant public et journalistes. Et bien sûr la foi sous serment de ne dire que la vérité, toute la vérité. Entre souvenirs évasifs, hésitations et sans doute force mensonges, les acteurs de la soirée se confient à la barre…

Pourquoi « Maigret chez le coroner » est-il un tome original de la série ? En premier lieu car le commissaire français assiste au procès, mais ne participe pas. S’il aimerait parfois intervenir pour demander des éclaircissements ou faire part d’un détail qu’il juge erroné, il se contente d’écouter, il est peu actif (alors que d’habitude son imposante et lourde carrure est omniprésente). Ce qui est étonnant, c’est aussi qu’il découvre le confort tout relatif et matérialiste de la société américaine : de l’électroménager dernier cri au développement des assourdissants juke-box, en passant par les limousines de luxe, les yeux du commissaire s’écarquillent, pas toujours par acquiescement. SIMENON montre les Etats-Unis tels qu’ils sont à l’époque (le roman fut écrit en 1949), donnant de nombreux indices sur la technologie montante et galopante.

Maigret aimerait la jouer à l’ancienne, se rendre sur le terrain du drame. Mais aux Etats-Unis, on ne procède pas ainsi, les méthodes du commissaire semblent être devenues obsolètes. S’il est parfois séduit par le pays, le plus souvent il ne le regarde que d’un œil suspicieux, sans jugement toutefois.

Une autre originalité dans ce roman : souvent, SIMENON avait besoin d’avoir quitté une région pour ensuite mettre en scène l’une de ses histoires en ces lieux, il lui était nécessaire de prendre un certain recul géographique pour mieux en dépeindre les contours, comme dans un souvenir de l’essentiel. Il écrit pourtant « Maigret chez le coroner » alors qu’il réside non seulement aux Etats-Unis, mais dans l’Etat d’Arizona, situé près de la frontière mexicaine. Cependant, fidèle à son habitude, il ne s’embarrasse pas de descriptions de la nature et en l’occurrence des grands espaces, il s’en tient à ce qu’il sait faire : explorer l’âme humaine, en tirer des éléments purement psychologiques.

Autre caractéristique de ce roman : si Georges SIMENON est parfois tombé voire a sombré dans la facilité et la caricature sur la notion de race, il se plaît ici à défendre les noirs et un chinois impliqué dans l’affaire. Car il se souvient que Maigret ne juge pas, qu’il sait être empreint d’un humanisme que son auteur n’a certes pas toujours.

Cette enquête de Maigret est déroutante, de par le décor – un huis clos lors d’un procès – dans un pays lointain, mais aussi parce que Maigret est discrètement « posé » dans cette affaire de moeurs. On finit par oublier qu’il s’agit d’une histoire le mettant en scène, on se surprend à croire que nous sommes plongés dans un roman noir américain des années 40 ou 50. Et puis il y a ces réflexions intérieures du commissaire qui constate que les américains boivent beaucoup, alors que la plupart de ses aventures en France se déroulent en partie dans un bar ou devant un verre de bière, de vin ou d’alcool plus nerveux. Il paraît étouffer dans ce monde trop moderne, trop bruyant. Pourtant il ne relève pas que des points négatifs, même s’il reste estomaqué par le fait que là-bas, plusieurs centaines de kilomètres supplémentaires au volant d’un véhicule ne sont « qu’un simple détour ». Ce monde lui semble trop grand, trop rapide, trop superficiel, trop « tape à l’œil ». C’est pourtant là que SIMENON habite en 1949.

« Maigret chez le coroner » se coupe de l’atmosphère habituelle des enquêtes du commissaire, il est un volet singulier dans l’œuvre et il est à déguster tranquillement, lentement, au calme.

 (Warren Bismuth)

dimanche 23 mai 2021

Murielle WENGER « Jules Maigret – Enquête sur le commissaire à la pipe »

 



Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le héros de SIMENON, si tant est que vous soyez attirés par l’un des plus célèbres personnages fictifs du XXe siècle, se trouve dans cet essai très documenté, rendu difficile par cet enquêteur taiseux et pudique.

Murielle WENGER rend hommage à cette figure de la littérature mondiale par un livre entre biographie détaillée et fascination. Elle a décortiqué (le mot n’est pas trop fort) chaque page de la série faite pourtant de 75 romans et 28 nouvelles, écrits entre 1930 et 1972, s’appuyant sur de très nombreux ouvrages consacrés au commissaire. Chaque ligne est passée au peigne fin et le résultat est assez vertigineux. Maigret est scruté minutieusement : son identité, son passé, ses aïeuls, son âge, ses hobbies, son physique, ses habitudes, ses hantises, ses goûts, ses amis, ses collègues, et bien sûr deux sujets qui intriguent tout particulièrement son lectorat, ses méthodes de travail et sa femme.

L’autrice, menant un travail d’historienne, fouille la vie du commissaire, notamment lorsqu’il se confie (rarement), comme c’est le cas dans un tome tout à fait à part dans la série : « Les mémoires de Maigret ». Mais elle va aussi piocher dans les écrits de son créateur, SIMENON lui-même, qui a dévoilé avec parcimonie les traits de son personnage ou les conditions de sa naissance.

Maigret est un enquêteur atypique dans la littérature policière : il ne s’intéresse pas spécialement aux coupables ni à leur châtiment futur, ce qui compte pour lui est l’aspect psychologique : pourquoi le crime a-t-il été commis ? Il s’imprègne des personnages croisés, des lieux, il a un besoin presque vital de ressentir à la place des autres, de se mettre à leur place, comme dans une sorte d’empathie mêlée à un éveil des sens. « Ce n’est pas tellement le « qui l’a fait ? » qui l’intéresse, mais bien le « pourquoi l’a-t-il fait ? » ; la manière dont le crime a été commis a bien moins d’importance pour lui que les motivations du criminel. En se mettant à la place de celui-ci, Maigret tisse des liens avec lui et il éprouve souvent de la difficulté à le livrer à la justice ».

Si chaque volet de la série peut être lu séparément, l’autrice montre bien une évolution réelle dans le personnage. Plusieurs anecdotes viennent démontrer un fil conducteur ténu mais bien présent. « Cependant, à mesure que l’on avance dans la saga, l’interrogatoire final a lieu principalement dans le bureau de Maigret, car Simenon s’est attaché à ce que la description du travail de police soit de plus en plus proche de la réalité, et le commissaire respecte davantage la routine et les règles de son métier que dans les premiers romans. Comme cela apparaît à plusieurs reprises dans les romans tardifs, un changement dans le code de procédure aura pour conséquence que l’interrogatoire final se déroule dans le cabinet du juge d’instruction, ce que le commissaire regrette, et il s’y plie bien malgré lui ».

Ce qui caractérise Maigret, c’est sa compassion, son écoute, sa volonté de se projeter dans l’âme des autres. SIMENON le voyait d’ailleurs en « raccommodeur de destinées ». Mais SIMENON n’est pas toujours très scrupuleux dans les détails égrenés au fil de la série. Par exemple, tout d’abord Maigret, à qui son créateur n’a au départ pas donné de prénom, devient Joseph, puis subitement Jules. Il gardera ce dernier patronyme jusqu’à la fin. Les erreurs sont nombreuses si l’on se penche plus méticuleusement sur la série. Mais Maigret évolue comme évolue SIMENON, qui a d’ailleurs plusieurs fois tenté de le « tuer ». En vain. Comble de l’ironie : le dernier roman jamais écrit par SIMENON (en 1972, il se consacrera ensuite exclusivement à ses mémoires) met en scène le commissaire. C’est « Maigret et l’oncle Charles ». C’est par lui que SIMENON tire sa révérence fictionnelle. Je me souviens que SIMENON disait en substance que ce n’est pas Maigret qui rassembla peu à peu SIMENON, mais bien le contraire, comme si l’auteur avait été dépassé voire hanté par sa propre invention (syndrome de Frankenstein ?).

Seul bémol dans ce travail de titan, l’absence notoire des romans appelés les « proto-Maigret », quand en 1929 SIMENON, encore sous pseudo (plus pour très longtemps), esquisse son personnage, commence à le dessiner, dans cinq romans (par ailleurs regroupés en un volume aux éditions Omnibus sous le titre « Maigret entre en scène », une curiosité à découvrir pour tous les « maigretophiles »). Ce silence est dommageable, même s’il est vrai que ces romans ne font pas à proprement parler partie de la série. Mais ne boudons pas notre plaisir, ce qui est écrit dans cet essai vaut largement le détour et se lit comme une « vraie » biographie, celle d’un personnage historique qui a marqué son époque à sa manière. Sorti en 2019 aux éditions Luc Pire.

(Warren Bismuth)

vendredi 24 novembre 2017

Georges SIMENON « La danseuse du Gai-Moulin »


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Il était inconcevable que je continue à alimenter ce blog sans présenter au moins un volet de la longue série des Maigret (mais il y aura sans doute d’autres chroniques ultérieurement), l'un des personnages fictionnels qui m'a le plus marqué. SIMENON l'a développé tout au long de sa carrière littéraire, comme si Maigret était l'organe respiratoire du romancier, voire le romancier lui-même. Commissaire découvert par le public dans le roman « Pietr le Letton » en 1931 (nous verrons plus loin qu'il est en fait apparu par écrit dans l'univers et l'imagination de SIMENON dès 1929), il rend son tablier en 1972 par « Maigret et Monsieur Charles ». En 1976 si ma mémoire est exacte, après en avoir pourtant fini avec Maigret depuis 4 ans, SIMENON lui écrira une lettre factice pour le remercier sur un ton plein de sollicitude. Durant ces quelques 41 années sont écrits 75 romans (nous verrons là aussi que ce n'est pas tout à fait vrai) et 28 nouvelles, tous d'une grande qualité. Nous passerons sur les nombreuses adaptations télévisuelles ou cinématographiques, nous en aurions le tournis. Maigret est un personnage assez stable, en ce sens où il n'évolue pas tellement durant la vie que lui prête SIMENON, si ce n’est qu’il picole peut-être un peu moins au fil des années (comme son auteur). Maigret représente tout de même près de la moitié des productions de SIMENON à partir de 1931 lorsque celui-ci choisit de signer ses romans de son vrai nom. Ici c'est la dixième enquête (cette chronique montrera par la suite qu'il n'en est rien) officielle du commissaire, parue en 1931 (oui, pas moins de dix romans de Maigret sortiront durant l’année en question). Dans cette affaire se déroulant dans les quartiers de Liège (SIMENON y est né en 1903), deux jeunes hommes, Delfosse et Chabot, cherchent à subtiliser l’argent de la boîte de nuit « Le Gai-Moulin » dont ils sont pourtant des piliers. Après la fermeture, ils se laissent enfermés dans la cave de l'établissement afin d'en fracturer le tiroir caisse. Mais rien ne se déroule comme prévu, et au pied du comptoir menant à la caisse, c'est un cadavre qu'ils rencontrent, celui de Graphopoulos, petit caïd grec sans envergure et comme eux habitué des lieux. Ils s'enfuient à toutes jambes. Le corps de la victime est retrouvé le lendemain, pas du tout dans les murs du « Gai-Moulin », mais dans un jardin d’acclimatation, dans une malle en osier. Un véritable sac de nœuds se présente alors aux services de police liégeois, d'autant que s'il existe bien des questions d'argent dans ce hold-up manqué, se mêlent par-dessus celles de coeur (la présence de la très convoitée Adèle), de rivalité, assorties de dimensions psychologiques chères à SIMENON. Dans ce roman, un détail frappe : c'est l'une des rares fois dans la « vie » de Maigret qu'il ne prononce sa première phrase qu'à environ la moitié de l'enquête. Si l’on aperçoit Maigret effectivement auparavant, ce n'est que par sa silhouette, il ne dit mot, et l'on finit par douter de l’identité de l’inconnu terré dans l'ombre. Autre élément assez significatif : le dénouement est particulièrement soigné, peut-être plus complexe que la moyenne de la série, avec des ramifications assez ténébreuses. Plusieurs rebondissements ainsi que des situations plutôt inédites (« imagine-t-on le commissaire Maigret mis en examen ? » pour presque paraphraser l'ami FILLON) et des trouvailles scénaristiques tout à fait dignes d'intérêt. Il est difficile de « noter » un volume des Maigret car tous me paraissent complémentaires et captivants dans l'exercice dramatique et la construction des faits divers et des enquêtes qui en découlent. À ma connaissance aucune enquête n'est faible, tout est parfaitement huilé (SIMENON aimait à répéter qu'écrire les romans de Maigret le divertissait après les longues et douloureuses suées lors des accouchements difficiles de ses « romans durs »), tout est en place, aucun grain de sable à déplorer dans l'engrenage. Pour vous en rendre compte, je vous conseille de lire par exemple l'une (au moins !) des 28 nouvelles où le commissaire y apparaît, car même en quelques pages les descriptions sont détaillées à l’extrême et les enquêtes minutieuses, de vrais tours de force. J'écrivais au début de cette chronique que Maigret n'a pas vraiment été inventé dans le roman « Pietr le Letton » (pourtant le premier roman officiel de la série) et qu'il y a eu plus de 75 romans avec le commissaire. En effet, avant de signer du nom de Georges SIMENON à partir de 1931, l’auteur a auparavant utilisé divers pseudos, et sous ces faux patronymes, il a déjà fait vivre Jules Maigret, il l'a esquissé, le rendant de plus en plus charpenté au fil des enquêtes. Avant ce « Pietr le Letton » écrit en mai 1930, Maigret a déjà été testé dans les romans suivants : « Train de nuit » (où le commissaire n'est que figurant, mais ici paraît pourtant être sa « vraie » naissance), « La jeune fille aux perles », « La femme rousse », « La maison de l'inquiétude », et « L'homme à la cigarette », cinq romans écrits en 1929 et 1930 mais qui ne seront publiés originellement qu'entre 1931 et 1933 (c'est-à-dire après les premières publications de Maigret, ce qui les a peut-être de fait relayés au second plan, d'autant qu'ils ne seront jamais regroupés dans les intégrales de Maigret car sortis sous pseudonymes, et même pas mentionnés dans les listes pourtant dites exhaustives). Tous les cinq ont été regroupés en un même volume sorti chez OMNIBUS en 2009 : « Maigret entre en scène », un ouvrage de 700 pages, indispensable pour tout fan de Maigret qui se respecte, et une immense surprise à sa lecture, car il est indéniable que Maigret est bien né à ce moment-là, quelques mois avant sa première apparition en édition, avant sa naissance officielle, une sorte de préquelle comme nous dirions aujourd'hui, où tout au long de ces cinq enquêtes, SIMENON se  fait la main et épaissit son personnage au fur et à mesure. Ce ne sont donc plus 75 mais bien 80 romans dans lesquels figure le célèbre commissaire. Il ne sera pas nécessaire de vous présenter ni de vous faire part de toutes les enquêtes de Maigret que je lis (j'en suis un grand consommateur, et me trouve présentement à avoir presque entièrement épuisé la collection), mais je me devais de l'introduire dans ce blog un jour ou l'autre car Maigret m'a accompagné une bonne partie de mon existence, que ce soit par le cinéma (ma préférence ira vers sa représentation sous les traits de Jean GABIN), la télé (un Jean RICHARD un brin emprunté dans ma lointaine jeunesse, puis bien sûr un Bruno CREMER impeccable et crevant l’écran) ou par le « vrai », celui des soirées lecture en mode farniente sous la couette en compagnie de SIMENON (oui, sous la couette, car ce diable de Maigret se consomme de préférence de la fin de l'automne au début du printemps). L'une des plus magiques rencontres possibles avec la littérature de séries, de celles qui vous collent définitivement à la peau et finissent par vous hanter à vie.


(Warren Bismuth)