Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le héros de SIMENON, si tant est que vous soyez attirés par l’un des plus célèbres personnages fictifs du XXe siècle, se trouve dans cet essai très documenté, rendu difficile par cet enquêteur taiseux et pudique.
Murielle WENGER rend hommage à cette figure de la littérature mondiale par un livre entre biographie détaillée et fascination. Elle a décortiqué (le mot n’est pas trop fort) chaque page de la série faite pourtant de 75 romans et 28 nouvelles, écrits entre 1930 et 1972, s’appuyant sur de très nombreux ouvrages consacrés au commissaire. Chaque ligne est passée au peigne fin et le résultat est assez vertigineux. Maigret est scruté minutieusement : son identité, son passé, ses aïeuls, son âge, ses hobbies, son physique, ses habitudes, ses hantises, ses goûts, ses amis, ses collègues, et bien sûr deux sujets qui intriguent tout particulièrement son lectorat, ses méthodes de travail et sa femme.
L’autrice, menant un travail d’historienne, fouille la vie du commissaire, notamment lorsqu’il se confie (rarement), comme c’est le cas dans un tome tout à fait à part dans la série : « Les mémoires de Maigret ». Mais elle va aussi piocher dans les écrits de son créateur, SIMENON lui-même, qui a dévoilé avec parcimonie les traits de son personnage ou les conditions de sa naissance.
Maigret est un enquêteur atypique dans la littérature policière : il ne s’intéresse pas spécialement aux coupables ni à leur châtiment futur, ce qui compte pour lui est l’aspect psychologique : pourquoi le crime a-t-il été commis ? Il s’imprègne des personnages croisés, des lieux, il a un besoin presque vital de ressentir à la place des autres, de se mettre à leur place, comme dans une sorte d’empathie mêlée à un éveil des sens. « Ce n’est pas tellement le « qui l’a fait ? » qui l’intéresse, mais bien le « pourquoi l’a-t-il fait ? » ; la manière dont le crime a été commis a bien moins d’importance pour lui que les motivations du criminel. En se mettant à la place de celui-ci, Maigret tisse des liens avec lui et il éprouve souvent de la difficulté à le livrer à la justice ».
Si chaque volet de la série peut être lu séparément, l’autrice montre bien une évolution réelle dans le personnage. Plusieurs anecdotes viennent démontrer un fil conducteur ténu mais bien présent. « Cependant, à mesure que l’on avance dans la saga, l’interrogatoire final a lieu principalement dans le bureau de Maigret, car Simenon s’est attaché à ce que la description du travail de police soit de plus en plus proche de la réalité, et le commissaire respecte davantage la routine et les règles de son métier que dans les premiers romans. Comme cela apparaît à plusieurs reprises dans les romans tardifs, un changement dans le code de procédure aura pour conséquence que l’interrogatoire final se déroule dans le cabinet du juge d’instruction, ce que le commissaire regrette, et il s’y plie bien malgré lui ».
Ce qui caractérise Maigret, c’est sa compassion, son écoute, sa volonté de se projeter dans l’âme des autres. SIMENON le voyait d’ailleurs en « raccommodeur de destinées ». Mais SIMENON n’est pas toujours très scrupuleux dans les détails égrenés au fil de la série. Par exemple, tout d’abord Maigret, à qui son créateur n’a au départ pas donné de prénom, devient Joseph, puis subitement Jules. Il gardera ce dernier patronyme jusqu’à la fin. Les erreurs sont nombreuses si l’on se penche plus méticuleusement sur la série. Mais Maigret évolue comme évolue SIMENON, qui a d’ailleurs plusieurs fois tenté de le « tuer ». En vain. Comble de l’ironie : le dernier roman jamais écrit par SIMENON (en 1972, il se consacrera ensuite exclusivement à ses mémoires) met en scène le commissaire. C’est « Maigret et l’oncle Charles ». C’est par lui que SIMENON tire sa révérence fictionnelle. Je me souviens que SIMENON disait en substance que ce n’est pas Maigret qui rassembla peu à peu SIMENON, mais bien le contraire, comme si l’auteur avait été dépassé voire hanté par sa propre invention (syndrome de Frankenstein ?).
Seul bémol dans ce travail de titan, l’absence notoire des romans appelés les « proto-Maigret », quand en 1929 SIMENON, encore sous pseudo (plus pour très longtemps), esquisse son personnage, commence à le dessiner, dans cinq romans (par ailleurs regroupés en un volume aux éditions Omnibus sous le titre « Maigret entre en scène », une curiosité à découvrir pour tous les « maigretophiles »). Ce silence est dommageable, même s’il est vrai que ces romans ne font pas à proprement parler partie de la série. Mais ne boudons pas notre plaisir, ce qui est écrit dans cet essai vaut largement le détour et se lit comme une « vraie » biographie, celle d’un personnage historique qui a marqué son époque à sa manière. Sorti en 2019 aux éditions Luc Pire.
(Warren Bismuth)
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