Comme le titre l’indique parfaitement, il va
être question de comptes, de chiffres, de tentative de bilan dans cet essai
paru chez Libertalia pendant les commémorations du 150e anniversaire
de la Commune de Paris. Le nombre de morts durant cette révolution
prolétarienne est peu connu. Et pour cause…
Michèle AUDIN s’attaque à un travail de
fourmi, d’historienne très méticuleuse. Si elle se base sur des écrits plus ou
moins anciens ayant déjà traité le sujet, c’est pour mieux les contrer,
expliquer minutieusement certaines improbabilités, même si elle reconnaît le
sérieux des travaux fournis à un instant T, avant l’arrivée de données
supplémentaires qu’elle possède désormais.
Tout d’abord, rendre compte des chiffres
donnés antérieurement, et les confronter aux avancées de la science, aux
nouvelles façons de comptabiliser, faire resurgir les corps oubliés, etc.
Michèle AUDIN va scruter avec ardeur les
registres d’époque, ceux ayant trait aux morts dans Paris et dans les villes
proches durant cette brève période de la Commune de Paris (18 mars-28 mai
1871). Oui mais ne pas omettre les combattants morts avant, c’est-à-dire ces
communards qui ont péri sur le champ de bataille avant l’avènement du 18 mars.
Et contrairement aux travaux précédents, démontrer avec une grande perspicacité
les morts de la Commune après qu’elle fut renversée, des suites de blessures,
d’assassinats (nous verrons dans cet ouvrage qu’après le 28 mai, les exécutions
sommaires se poursuivront d’effrayante manière).
Les archives des cimetières parisiens ou de
la banlieue proche où avaient eu lieu des échauffourées sont passées au peigne
fin. Michèle AUDIN œuvre magistralement, bout par bout, les chiffres, nombreux,
donnent le tournis. Chaque archive est épluchée, disséquée, analysée au plus
près. L’historienne raconte sa manière de procéder, étape par étape.
Elle insiste sur les barricades, celles des
femmes notamment, des barricades dont on ne sait pas grand-chose, puisqu’il est
évident que les combattants sur le terrain n’avaient guère le temps d’écrire, ce
qui ne fournit pas toujours la matière première nécessaire pour les
spécialistes, peu d’informations étant disponibles (certaines ont été
détruites). Projet ambitieux et impressionnant. Car Michèle AUDIN parle aussi
des viols commis, des abus en tous genres, la barbarie à l’œuvre dans une
guerre violente. « Toutes les fois
que le nombre des condamnés [Communards, nddlr] dépassera dix hommes, on remplacera par une mitraillette les pelotons
d’exécution ».
La semaine sanglante (21-28 mai 1871) est
examinée avec un rare soin, c’est là que tout se joua, que l’ignominie parvint
à son paroxysme. Michèle AUDIN rappelle comment parfois on enterrait les
victimes, dans une fosse commune, le plus vite possible. Elle s’attarde aussi
sur les légendes, en démontre l’impossibilité ou l’exagération notoire.
Les corps furent parfois retrouvés des
décennies après la Commune, notamment lors de travaux de terrassements dans
Paris. Forcément, ces cadavres n’avaient jamais été comptabilisés…
Remarquable travail, qui ne donne pas un
chiffre exact, mais tend à se rapprocher au plus juste du nombre des
combattants tombés. Le nombre ne sera jamais connu. Mais l’estimation de
Michèle AUDIN ne paraît pas farfelue, d’autant qu’elle a su expliquer sa
démarche. Alors 15000 morts ? C’est possible, d’ailleurs l’autrice met un
point d’honneur à ce que ces chiffres avancés ne soient pas vus comme une sorte
de voyeurisme pour sensations malsaines mais bien collant au plus près de la
tragédie. Un essai original et sérieux à découvrir.
Les éditions Libertalia nous offrent cette aubaine avec leur talent habituel pour proposer des textes allant à contresens de l’Histoire, mais jamais de manière évasive ni dogmatique. Paru récemment, ce livre, par ailleurs accompagné de photographies ou peintures d’époque, mais aussi d’un index et d’une massive bibliographie, nous replonge dans cette période somme toute mal connue, avec les fortes tentatives de récupérations politiques diverses, donc déformant forcément une partie de la vérité. Michèle AUDIN tient à rétablir certains faits et s’y prend de manière magistrale et convaincante.
https://www.editionslibertalia.com/
(Warren
Bismuth)
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