Du côté de Calais deux migrants au bord de la route sont fauchés par une automobile. Ce sont Saryas et Qadir, deux frères afghans ayant fui la guerre dans leur pays. Agnès les a soignés à l’hôpital. Elle est aussi la mère de Coralie. Mél quant à elle est une activiste pour l’accueil des migrants et Ulysse un jeune identitaire qui influence certains élèves de sa classe par ses thèses nauséabondes. Coralie va rencontrer Qadir, et le coup de foudre va s’établir entre eux.
Dans ce roman polyphonique sous-titré « Une love affair dans la jungle afghane », de nombreux personnages se succèdent comme à la barre d’un tribunal pour témoigner de la vie à Calais, qu’ils soient pour ou contre l’accueil des migrants qui échouent sur ces terres pour rallier l’Angleterre et son supposé Eldorado. Texte destiné à la jeunesse (ados et jeunes adultes), dans lequel les idées s’affrontent, se comparent, les valeurs aussi. Ce qui en résulte est qu’il faut coûte que coûte éduquer, instruire, insuffler la connaissance aux jeunes, et le rôle des profs est primordial.
Tout comme se succèdent les personnages, les actes s’enchaînent, les faits divers tirés de la vraie vie et mis en scène pour les besoins du scénario. Ainsi, Mél est attaquée et blessée, cette scène relate en fait une vraie agression ayant eu lieu dans des circonstances similaires. La fiction emprunte souvent à la réalité. « Notre prof d’anglais nous a expliqué qu’en France, ce n’était pas comme aux States, on n’a pas une totale liberté d’expression et tant mieux : il est interdit de tenir des propos racistes, xénophobes, homophobes, fascistes, antisémites, sexistes, validistes, grossophobes, etc. Le racisme est un délit, pas une opinion ».
Entre en scène Noé, ami d’Ulysse et amoureux de Coralie, mais Qadir l’a devancé dans le cœur ce cette dernière. Au sein d’une ville coupée en deux entre pro et anti accueil, la cohabitation est parfois tendue, c’est ce que dépeint Veronika Boutinova dans son nouveau roman, un épisode poignant de « l’histoire des migrations contemporaines qui ne font que commencer pour des motifs économiques, politiques, écologiques ». Le texte s’appuie sur de nombreux anglicismes pour bien montrer la difficulté pour un migrant de se faire comprendre avec les simples rudiments qu’il peut posséder d’une langue à son arrivée sur une terre d’accueil.
Démantèlements de jungles, fantasmes du mal absolu, techniques du bouc émissaire, tout est bon pour dénigrer l’étranger. Et l’on parle de remigration dans une rhétorique infecte, vitrine de l’extrême droite. Le rôle des réseaux sociaux est écrasant, les échanges y sont violents, les insultes banales et les intimidations nombreuses. Quelques protagonistes de ce roman vont en faire les frais. Car aujourd’hui, il devient difficile de revendiquer son humanisme dans un monde où tout n’est plus que soi-même et où tout s’achète.
Le cas si particulier de la ville de Calais est ici scruté, détaillé, dans une ville où la position géopolitique est singulière et la solidarité pourtant pas toujours de mise. « Qadir et Coralie » est une version romancée de la pièce de théâtre « Sous l’arbre à brosses à dents » de 2014, également appelée « N.IM.B.Y. » lors de sa première publication aux éditions L’espace d’un Instant, ici signée par la même Veronika Boutinova. La présente version vient de paraître aux belles éditions Le Ver à Soie.
(Warren
Bismuth)
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