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dimanche 4 septembre 2022

Georges SIMENON « Maigret à Vichy »

 


Ce tome, « Maigret à Vichy », n’est bien sûr qu’un prétexte à cette chronique. Ponctuellement je rejoins le commissaire né de l’imagination de SIMENON, je lui fais des infidélités très souvent, plus rarement je l’abandonne durant plus d’une année. Mais il revient dans la même pièce que moi, comme un vieil amant, et cela fait 15 ans que ça dure. Enfin plutôt, que ça durait. En effet, c’est par ce « Maigret à Vichy » que l’aventure se termine dans mes lectures, que se clôt pour moi le cycle des enquêtes du commissaire. Je le confesse, je n’ai pas pris le chemin tout tracé qui m’aurait enjoint de lire tout dans l’ordre chronologique, pour la simple raison que lorsque j’ai repris, de manière active, les enquêtes en 2007, je ne pensais pas parvenir un jour à terme, à avoir lu tout l’univers qui met en scène le célèbre commissaire, je m’imaginais me contenter de grappiller ici et là quelques titres épars.

Bilan du personnage de Maigret : 75 romans, 29 nouvelles, mais aussi les cinq apparitions « proto-Maigret » au tout début des années 1930, cinq enquêtes où le commissaire est ébauché, mais qui ne figurent pas dans la série. Terminer une pareille expérience, c’est un peu comme perdre un membre de sa famille. 15 ans de cohabitation plus ou moins active, 15 ans que lui fume sa pipe et moi mon tabac en le lisant. J’en ai retenu beaucoup d’enseignements, notamment dans le travail psychologique minutieux opéré par SIMENON, et cette précision chirurgicale, comme maladive. J’en suis venu à observer mes semblables et leurs travers, et bien sûr de le regretter illico.

Pendant ces 15 ans, Maigret m’a séduit, jamais ennuyé, jamais je n’ai trouvé le temps long dans une description ou une conclusion d’enquête. Parfois certaines preuves ont pu me paraître un poil hâtives, du genre grosses ficelles que l’on cache derrière le décor. Mais toujours je me suis senti solidaire et plein de tendresse pour ce gros monsieur pataud et malhabile dans ses déplacements.

SIMENON, à qui un journaliste disait que « son » Maigret lui ressemblait de plus en plus, répliqua que c’était lui, SIMENON, qui se rapprochait de plus en plus du personnage qu’il avait créé. C’est le plus bel hommage qu’il pouvait rendre à celui qui l’a rendu célèbre. Mais lui-même n’a-t-il pas rendu Maigret célèbre ?

Pourquoi terminer cette série par « Maigret à Vichy » ? Maigret a grandi à la campagne près de Moulins, dans le département de l’Allier, car oui, Maigret est auvergnat. Et cette enquête à Vichy, qui n’en est pas vraiment une pour lui en tant que commissaire (puisqu’il se trouve alors sur place avec sa femme pour suivre une cure de remise en forme dans les eaux thermales), est une sorte de retour aux sources, en tout cas à quelque 40 kilomètres seulement de son lieu de naissance.

« Maigret à Vichy » est original dans son scénario. Maigret n’est pas là pour poursuivre un tueur, mieux, il est avec sa femme, en amoureux, flânant dans les rues de la ville de Vichy, observant les autres curistes, comme par déformation professionnelle, lorsque l’une d’entre elle, une femme d’une cinquantaine d’années qu’il a déjà remarquée, est assassinée. C’est presque « par accident » qu’il prend part à l’enquête, durant laquelle d’ailleurs sa femme donne quelques pistes, ceci aussi est rare dans la saga. Le fond n’est jamais à sous-estimer chez Maigret, la trame est toujours complexe ou en tout cas solide et soignée. Ce tome ne fait pas exception à la règle. On se laisse comme toujours prendre au jeu avec allégresse et enthousiasme. Maigret est de ces personnages littéraires qui marquent longtemps. Certes, les nombreuses adaptations cinématographiques ou télévisées ont contribué à le rendre encore plus célèbre, mais il faut avoir lu ses enquêtes pour bien se rendre compte du travail méticuleux de l’auteur qui avance par touches minuscules sur le terrain avec Maigret, ne laissant rien au hasard, et surtout pas la météo du jour !

J’ai du mal à réaliser que je dis adieu à Maigret, alors je préfère un « au revoir » timide, peut-être reviendrai-je un jour ou l’autre vers lui, retendre ma main à sa grosse paluche. Je n’ai pas la prétention de pavoiser en connaisseur ès-Maigret, en spécialiste de la question. Mais sachez qu’au fil des décennies, le protagoniste principal évolue peu, que sa vie n’est jamais pleine d’aspérités, aussi ses enquêtes peuvent se lire dans le désordre. Quant au préférences dans le choix, c’est bien simple : aucun tome, aucune enquête ne m’ont paru creux ou invraisemblables, tout vaut le déplacement, même si à titre personnel et avec ce léger recul, les nouvelles m’ont laissé une très forte impression de par leur précision d’horloge suisse en seulement quelques pages, c’est sans doute vers elles que je retournerai en premier lieu si l’envie me vient subitement de renouer avec Maigret. Mais d’ici là, j’aurai peut-être relu « Maigret entre en scène », ce recueil désormais épuisé qui regroupe cinq enquêtes passées inaperçues, qui sont pourtant les racines mêmes du commissaire, celle où par de plus ou moins longues apparitions, il est présenté au lectorat de SIMENON. Si j’effectue le grand saut, je ne manquerai pas de vous en faire part. En attendant, vous pouvez vous plonger sans crainte dans cette série, je vous souhaite 15 années pleines de rencontres et de complicité.

(Warren Bismuth)

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