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vendredi 24 novembre 2017

Georges SIMENON « La danseuse du Gai-Moulin »


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Il était inconcevable que je continue à alimenter ce blog sans présenter au moins un volet de la longue série des Maigret (mais il y aura sans doute d’autres chroniques ultérieurement), l'un des personnages fictionnels qui m'a le plus marqué. SIMENON l'a développé tout au long de sa carrière littéraire, comme si Maigret était l'organe respiratoire du romancier, voire le romancier lui-même. Commissaire découvert par le public dans le roman « Pietr le Letton » en 1931 (nous verrons plus loin qu'il est en fait apparu par écrit dans l'univers et l'imagination de SIMENON dès 1929), il rend son tablier en 1972 par « Maigret et Monsieur Charles ». En 1976 si ma mémoire est exacte, après en avoir pourtant fini avec Maigret depuis 4 ans, SIMENON lui écrira une lettre factice pour le remercier sur un ton plein de sollicitude. Durant ces quelques 41 années sont écrits 75 romans (nous verrons là aussi que ce n'est pas tout à fait vrai) et 28 nouvelles, tous d'une grande qualité. Nous passerons sur les nombreuses adaptations télévisuelles ou cinématographiques, nous en aurions le tournis. Maigret est un personnage assez stable, en ce sens où il n'évolue pas tellement durant la vie que lui prête SIMENON, si ce n’est qu’il picole peut-être un peu moins au fil des années (comme son auteur). Maigret représente tout de même près de la moitié des productions de SIMENON à partir de 1931 lorsque celui-ci choisit de signer ses romans de son vrai nom. Ici c'est la dixième enquête (cette chronique montrera par la suite qu'il n'en est rien) officielle du commissaire, parue en 1931 (oui, pas moins de dix romans de Maigret sortiront durant l’année en question). Dans cette affaire se déroulant dans les quartiers de Liège (SIMENON y est né en 1903), deux jeunes hommes, Delfosse et Chabot, cherchent à subtiliser l’argent de la boîte de nuit « Le Gai-Moulin » dont ils sont pourtant des piliers. Après la fermeture, ils se laissent enfermés dans la cave de l'établissement afin d'en fracturer le tiroir caisse. Mais rien ne se déroule comme prévu, et au pied du comptoir menant à la caisse, c'est un cadavre qu'ils rencontrent, celui de Graphopoulos, petit caïd grec sans envergure et comme eux habitué des lieux. Ils s'enfuient à toutes jambes. Le corps de la victime est retrouvé le lendemain, pas du tout dans les murs du « Gai-Moulin », mais dans un jardin d’acclimatation, dans une malle en osier. Un véritable sac de nœuds se présente alors aux services de police liégeois, d'autant que s'il existe bien des questions d'argent dans ce hold-up manqué, se mêlent par-dessus celles de coeur (la présence de la très convoitée Adèle), de rivalité, assorties de dimensions psychologiques chères à SIMENON. Dans ce roman, un détail frappe : c'est l'une des rares fois dans la « vie » de Maigret qu'il ne prononce sa première phrase qu'à environ la moitié de l'enquête. Si l’on aperçoit Maigret effectivement auparavant, ce n'est que par sa silhouette, il ne dit mot, et l'on finit par douter de l’identité de l’inconnu terré dans l'ombre. Autre élément assez significatif : le dénouement est particulièrement soigné, peut-être plus complexe que la moyenne de la série, avec des ramifications assez ténébreuses. Plusieurs rebondissements ainsi que des situations plutôt inédites (« imagine-t-on le commissaire Maigret mis en examen ? » pour presque paraphraser l'ami FILLON) et des trouvailles scénaristiques tout à fait dignes d'intérêt. Il est difficile de « noter » un volume des Maigret car tous me paraissent complémentaires et captivants dans l'exercice dramatique et la construction des faits divers et des enquêtes qui en découlent. À ma connaissance aucune enquête n'est faible, tout est parfaitement huilé (SIMENON aimait à répéter qu'écrire les romans de Maigret le divertissait après les longues et douloureuses suées lors des accouchements difficiles de ses « romans durs »), tout est en place, aucun grain de sable à déplorer dans l'engrenage. Pour vous en rendre compte, je vous conseille de lire par exemple l'une (au moins !) des 28 nouvelles où le commissaire y apparaît, car même en quelques pages les descriptions sont détaillées à l’extrême et les enquêtes minutieuses, de vrais tours de force. J'écrivais au début de cette chronique que Maigret n'a pas vraiment été inventé dans le roman « Pietr le Letton » (pourtant le premier roman officiel de la série) et qu'il y a eu plus de 75 romans avec le commissaire. En effet, avant de signer du nom de Georges SIMENON à partir de 1931, l’auteur a auparavant utilisé divers pseudos, et sous ces faux patronymes, il a déjà fait vivre Jules Maigret, il l'a esquissé, le rendant de plus en plus charpenté au fil des enquêtes. Avant ce « Pietr le Letton » écrit en mai 1930, Maigret a déjà été testé dans les romans suivants : « Train de nuit » (où le commissaire n'est que figurant, mais ici paraît pourtant être sa « vraie » naissance), « La jeune fille aux perles », « La femme rousse », « La maison de l'inquiétude », et « L'homme à la cigarette », cinq romans écrits en 1929 et 1930 mais qui ne seront publiés originellement qu'entre 1931 et 1933 (c'est-à-dire après les premières publications de Maigret, ce qui les a peut-être de fait relayés au second plan, d'autant qu'ils ne seront jamais regroupés dans les intégrales de Maigret car sortis sous pseudonymes, et même pas mentionnés dans les listes pourtant dites exhaustives). Tous les cinq ont été regroupés en un même volume sorti chez OMNIBUS en 2009 : « Maigret entre en scène », un ouvrage de 700 pages, indispensable pour tout fan de Maigret qui se respecte, et une immense surprise à sa lecture, car il est indéniable que Maigret est bien né à ce moment-là, quelques mois avant sa première apparition en édition, avant sa naissance officielle, une sorte de préquelle comme nous dirions aujourd'hui, où tout au long de ces cinq enquêtes, SIMENON se  fait la main et épaissit son personnage au fur et à mesure. Ce ne sont donc plus 75 mais bien 80 romans dans lesquels figure le célèbre commissaire. Il ne sera pas nécessaire de vous présenter ni de vous faire part de toutes les enquêtes de Maigret que je lis (j'en suis un grand consommateur, et me trouve présentement à avoir presque entièrement épuisé la collection), mais je me devais de l'introduire dans ce blog un jour ou l'autre car Maigret m'a accompagné une bonne partie de mon existence, que ce soit par le cinéma (ma préférence ira vers sa représentation sous les traits de Jean GABIN), la télé (un Jean RICHARD un brin emprunté dans ma lointaine jeunesse, puis bien sûr un Bruno CREMER impeccable et crevant l’écran) ou par le « vrai », celui des soirées lecture en mode farniente sous la couette en compagnie de SIMENON (oui, sous la couette, car ce diable de Maigret se consomme de préférence de la fin de l'automne au début du printemps). L'une des plus magiques rencontres possibles avec la littérature de séries, de celles qui vous collent définitivement à la peau et finissent par vous hanter à vie.


(Warren Bismuth)

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