Recherche

mercredi 14 mai 2025

Georges SIMENON « Monsieur La Souris »

 


La Souris est un clochard des rues de Paris, habitué des commissariats où il se fait coffrer pour dormir au sec. Seulement il vient de tomber sur un corps inerte, un cadavre en somme, muni d’une enveloppe jaune contenant quelque chose comme 4500 dollars. Il va lui falloir jouer fin pour livrer un bout de vérité sur les circonstances de sa découverte, sans toutefois trop en dire, notamment sur le cadavre, que la police n’a pas encore trouvé. Le but est de pouvoir, dans un an et un jour, devenir propriétaire officiel du magot.

La Souris, alsacien désinvolte, culotté et drôle se rend au commissariat, s’y entretient avec Lognon, inspecteur de police municipale. L’enquête avance vite et le mort s’avère être un financier suisse. L’affaire se complique, d’autant que des figures peu reluisantes entrent en piste et qu’une femme accuse le fondé de pouvoir du mort de l’avoir fait passer de vie à trépas, ce qui pourrait bien faire avorter le projet de La Souris. L’enquête est confiée au commissaire Lucas tandis que de son côté, La Souris cherche à en savoir plus sans en avertir la police.

« Monsieur La Souris » est un « roman dur » fascinant de Simenon. Ecrit en 1937 à une époque où Simenon pense en avoir terminé avec son commissaire Maigret (le dernier roman le mettant en scène date de 1934, et Maigret ne réapparaît que ponctuellement dans de courtes nouvelles), il offre pourtant une ambiance absolument similaire. Mieux : son inspecteur Lognon ne va pas tarder à revenir en scène, quelques années plus tard, cette fois en inspecteur… du commissaire Maigret (son surnom « l’inspecteur malgracieux » ne lui vient d’ailleurs pas de l’équipe de Maigret mais bien de ce Monsieur La Souris !). Lucas, ici le commissaire fumant la pipe, fait déjà à cette époque partie des « lieutenants » de Maigret. Janvier, un autre des fidèles de Maigret déjà apparu antérieurement, est mieux qu’aperçu dans ce « Monsieur la Souris ». Bref, ce roman contient tous les ingrédients pour être un Maigret… sans Maigret ! Il est en quelque sorte peut-être le seul Maigret « caché » dans toute l’œuvre de Simenon. Il pourrait faire partie de la saga (il y est même fait quelques allusions à la ville de Vichy, du département d’où Maigret est né, l’Allier).

Ce roman est doublement à ne pas mésestimer, l’enquête et sa conclusion étant tout à fait bien menées pour une chute de choix. Quant à Simenon, il n’a jamais pu se défaire de « son » Maigret et le fait revivre ici sous les traits de son équipe, comme si le commissaire observait ses collègues en direct de sa maison de campagne où il a pris alors sa retraite à Meung-sur-Loire. Quant à Lucas, il apparaît assez brièvement dans un roman contemporain à « Monsieur la Souris », un de ces roman durs dont l’ambiance pourrait se rapprocher des Maigret, « L’homme qui regardait passer les trains ». Lucas interviendra dans d’autres romans durs.

Un bémol toutefois, mais qui n’est pas propre à ce roman. Simenon avait le désagréable réflexe, alors que le corps d’un mort n’a pas encore été retrouvé et que la personne est donc par définition toujours considérée comme vivante, de faire témoigner ses personnages en en parlant systématiquement ou presque au passé, comme s’ils avaient eu vent du décès. Cette faute est constante dans son œuvre, mais peut-être qu’ici elle est encore plus flagrante, d’autant que l’histoire repose en partie sur la non découverte du corps et que les témoignages se succèdent, évoquant tous le financier suisse au passé.

« Monsieur La Souris » montre, comme le recueil de nouvelles « Le petit docteur » déjà chroniqué ici, que Simenon, après avoir plus ou moins effacé Maigret, ne parvient pas à vivre sans lui, sans y faire plus ou moins implicitement allusion. C’est comme un personnage qui le hante, lui empêche de regarder à côté, sans lui. Il est incontestable que ce « Monsieur La Souris », mieux qu’un clin d’œil ou un hommage, est un tome non revendiqué de Maigret où Simenon tente de se séparer de la figure de son héros, comme pour le punir, en confiant une enquête de Maigret à d’autres intervenants. Mais Maigret, expulsé par la porte, reviendra par la fenêtre, cette fois pour toujours dans l’œuvre de Simenon. Pour qui Maigret occupe une place particulière, il me semble déraisonnable de ne pas découvrir ce roman dur, un prolongement de la série. Quant à Monsieur La Souris, rendez-vous dans le roman pour voir ce qu’il advint de lui. Il fut adapté à l’écran en 1942 par Georges Lacombe avec Raimu dans le rôle principal, j’en garde un bon souvenir quoique nébuleux.

(Warren Bismuth)

1 commentaire:

  1. Eh bien, je n'ai jamais lu Simenon... bien sûr, il n'est pas trop tard pour s'y mettre.

    RépondreSupprimer