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lundi 29 janvier 2018

ZEROCALCARE « Kobane Calling »


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Cette BD italienne plutôt épaisse est à la fois un carnet de voyage, un récit de guerre, un travail géopolitique, un recueil de témoignages et une fable humoristique. L’auteur, ici scénariste et dessinateur, ZEROCALCARE, qui a par ailleurs fait ses classes dans la scène punk et alternative italienne au tout début de la décennie 1990 (ce « Kobane Calling » est un hommage au « London calling » de THE CLASH), est allé au cœur de la guerre au Moyen-Orient, pour voir concrètement ce qui s’y passe exactement. Son but : rejoindre cet espace de liberté au Kurdistan autour de la ville de Kobané. Sur la carte, une fine langue syrienne située à la fois sur les frontières turque et irakienne, c’est-à-dire là même où Daech possède des bases et une puissance influente. Je vous fais l’impasse sur les nombreuses péripéties, les anecdotes racontées au fil de ce récit, des histoires diverses, drôles ou émouvantes, décalées ou révoltantes. ZEROCALCARE, au-delà de son voyage, tient à nous informer, nous faire réagir à la situation sur place. Les kurdes de Kobané ont fait fuir les armées de Daech sans aucun appui, ils sont même plutôt mal vus en Syrie, en Turquie et en Irak. EL ASSAD ne les aime pas, ERDOGAN non plus, les religieux pas plus. C’est donc isolés que les kurdes (aidés cependant par le P.K.K.), notamment les Y.P.G., pourchassent l’État Islamique. La BD décrit cette lutte jusqu’en 2015, c’est-à-dire figeant le combat à cette date. Attention, beaucoup de choses se sont passées depuis et il nous faudra nous informer ailleurs pour connaître la suite. Je ne souhaite pas entrer dans les détails sur la forme de la BD car elle est en tous points surprenante : du noir et blanc aux dessins à la fois précis et faussement naïfs, des visages semblant tout droit échappés de mangas, une mise en page pouvant paraître chaotique (sans doute l’influence du punk…), et surtout des dialogues originaux ! Dialogues entre jeunes, avec la langue qui va avec, celle de la rue, mais aussi celle des jeunes « branchés », le tout mixé avec des mots ou expressions typiquement romains (l’auteur est un romain pur jus). L’humour vient égayer les moments tragiques, l’odeur de cadavres, ZEROCALCARE sait manier le burlesque, le loufoque, rendant le récit moins étouffant. Mais il laisse aussi parler les témoins du quotidien : biographies expresses de combattant.e.s, interviews minutes. C’est donc une BD qui parle avec une fausse légèreté de l’un des plus importants conflits de ces dernières décennies, comme pour désacraliser la guerre, dédramatiser l’horreur. En près de 300 pages, l’auteur nous fait comprendre cette lutte, n’oublie pas que les femmes kurdes jouent un rôle prépondérant contre Daech, il sait les mettre en avant (elles représentent 40 % des Y.P.G.). À lire la déclaration des régions autonomes du Rojava, on croirait avoir à faire à un tract libertaire, anarcho-collectiviste. Les choses sont en train de bouger très vite par là-bas, c’est à la fois encourageant, excitant et inquiétant lorsqu’on voit l’isolement des troupes kurdes. En tout cas, cette BD a été traduite en France 2016 aux Éditions CAMBOURAKIS, et je vous conseille d’aller faire un tour dans ses pages, en plus d’y rire vous y apprendrez des tas de choses qui vous serviront lorsque vous assisterez par médias interposés aux suites de cette guerre sans fin.

(Warren Bismuth)

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