C'est un tour de force qu'accomplit Erwan
LARHER dans « Le livre que je ne voulais pas écrire ». Au moins à
deux niveaux : nous avons été noyés sous les images choc, suite au 13
novembre 2015, les textes à sensation des meRdias, comme si la course à
l'horreur était plus forte que l'histoire humaine qui se déroule en
arrière-plan. Erwan LARHER écrit plus tard, au moment où nous sommes abreuvés
de préjugés sensationnalistes, les yeux et la tête embrumés par les traces de
sang du pavé parisien. Il faut sortir de cela, revenir à l'humain, à
l'individu, au groupe, pour tenter de narrer l’inénarrable.
L'auteur se livre beaucoup tout au long de
ces pages, plus qu'un documentaire sur la chronologie des événements, Erwan
LARHER se met à nu, nous confie ses sentiments, ses ressentis, ses peurs et ses
angoisses. Une large part de son œuvre est laissée à ses proches : les
chapitres s'emmêlent, entre récit de sa vie passée, retour sur l'horreur et
témoignages de ses amis, de sa famille, sur leur point de vue pendant le drame.
Et c'est précisément – à mon sens – ce qui fait de cet ouvrage une véritable
œuvre : il y a l'impliqué, celui qui est au centre du maelström, qui est
un caillou, qui ne bougera pas pour échapper aux regards des bourreaux (que
l'on nous présente d'ailleurs, ce qui est fort intéressant car cela recentre le
débat : il s'agit d'une histoire d'humains avant d'être une histoire de
fanatisme et d'extrémisme), il y a toutes celles, tous ceux qui se sont agités
(ou pas), à l'extérieur, entre Facebook, les sites d'infos, la télévision en
continu, les numéros d'urgence, la grande chaîne qui s'est formée au-delà du
Bataclan. L'auteur l'avoue lui-même : il a été plus que soutenu, il a été
porté.
Ce témoignage, ce récit de vie et de mort
est aussi très intéressant car il fait la part belle à l'après. On traite trop
peu de l'après, comme si le simple fait d'avoir réchappé vivant à l'enfer
permettait aux individus de clore ce chapitre et de continuer leur vie. Que nenni,
ce serait trop simple. Il y a les séquelles physiques (la douleur de la balle,
les soins interminables, l'hospitalisation, le questionnement quasi
obsessionnel sur le retour possible de la virilité), mais aussi les séquelles
psychologiques. Pendant longtemps, à travers les pages, l'auteur est dans le
déni. Non, il ne fait pas de cauchemars, il ne rejoue pas la scène, il
plaisante, rigole et s'entoure de ses ami-es, de sa famille, et semble passer à
travers. Jusqu'au moment où il se rend compte que la douleur est tenace,
qu'elle ne passe pas. Le trauma se joue aussi à travers la somatisation, et
c'est là qu'interviennent les individus méritants qui peuplent les hôpitaux,
les cabinets privés, qui questionnent l'être jusqu'à extraire le mal de la
chair. Il y a d'ailleurs un très beau plaidoyer pour le personnel hospitalier,
les petites mains qui réparent les corps et les âmes.
Erwan LARHER met un point d'honneur à
contextualiser l'événement, pourquoi est-il allé à ce concert notamment, avec
un retour sur son enfance et son adolescence, pourquoi y est-il allé seul.
Véritablement, l'auteur donne à voir les mécanismes de défense qui lui
permettent d'avancer de la meilleure manière qui soit : humour et
rationalisation.
Loin des récits chocs et autres témoignages
macabres, voyeuristes primaires, passez votre chemin. Ici on est dans le vrai,
dans l'humain et la note qui reste en bouche après avoir refermé le roman c'est
l'espoir. L'espoir et la joie. Le thème de base n'est pas tant cette soirée au
Bataclan que l'humain, dans son essence, face aux violentes aspérités que la
vie nous balance injustement en pleine face, sans qu'on s'y attende, sans qu'on
ait pu le pressentir.
Je vous engage donc vivement à lire
« Le livre que je ne voulais pas écrire », sorti aux éditions Quidam
en 2017. Quant à moi je vais aller fouiner dans la bibliographie d'Erwan LARHER
dont le style m'a beaucoup touchée.
Et je vous engage aussi à regarder le très
poignant documentaire réalisé par Netflix , « 13 novembre :
Fluctuat Nec Mergitur ».
(Émilia
Sancti)
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