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jeudi 26 juillet 2018

Erwan LARHER « Le livre que je ne voulais pas écrire »


C'est un tour de force qu'accomplit Erwan LARHER dans « Le livre que je ne voulais pas écrire ». Au moins à deux niveaux : nous avons été noyés sous les images choc, suite au 13 novembre 2015, les textes à sensation des meRdias, comme si la course à l'horreur était plus forte que l'histoire humaine qui se déroule en arrière-plan. Erwan LARHER écrit plus tard, au moment où nous sommes abreuvés de préjugés sensationnalistes, les yeux et la tête embrumés par les traces de sang du pavé parisien. Il faut sortir de cela, revenir à l'humain, à l'individu, au groupe, pour tenter de narrer l’inénarrable.

L'auteur se livre beaucoup tout au long de ces pages, plus qu'un documentaire sur la chronologie des événements, Erwan LARHER se met à nu, nous confie ses sentiments, ses ressentis, ses peurs et ses angoisses. Une large part de son œuvre est laissée à ses proches : les chapitres s'emmêlent, entre récit de sa vie passée, retour sur l'horreur et témoignages de ses amis, de sa famille, sur leur point de vue pendant le drame. Et c'est précisément – à mon sens – ce qui fait de cet ouvrage une véritable œuvre : il y a l'impliqué, celui qui est au centre du maelström, qui est un caillou, qui ne bougera pas pour échapper aux regards des bourreaux (que l'on nous présente d'ailleurs, ce qui est fort intéressant car cela recentre le débat : il s'agit d'une histoire d'humains avant d'être une histoire de fanatisme et d'extrémisme), il y a toutes celles, tous ceux qui se sont agités (ou pas), à l'extérieur, entre Facebook, les sites d'infos, la télévision en continu, les numéros d'urgence, la grande chaîne qui s'est formée au-delà du Bataclan. L'auteur l'avoue lui-même : il a été plus que soutenu, il a été porté.

Ce témoignage, ce récit de vie et de mort est aussi très intéressant car il fait la part belle à l'après. On traite trop peu de l'après, comme si le simple fait d'avoir réchappé vivant à l'enfer permettait aux individus de clore ce chapitre et de continuer leur vie. Que nenni, ce serait trop simple. Il y a les séquelles physiques (la douleur de la balle, les soins interminables, l'hospitalisation, le questionnement quasi obsessionnel sur le retour possible de la virilité), mais aussi les séquelles psychologiques. Pendant longtemps, à travers les pages, l'auteur est dans le déni. Non, il ne fait pas de cauchemars, il ne rejoue pas la scène, il plaisante, rigole et s'entoure de ses ami-es, de sa famille, et semble passer à travers. Jusqu'au moment où il se rend compte que la douleur est tenace, qu'elle ne passe pas. Le trauma se joue aussi à travers la somatisation, et c'est là qu'interviennent les individus méritants qui peuplent les hôpitaux, les cabinets privés, qui questionnent l'être jusqu'à extraire le mal de la chair. Il y a d'ailleurs un très beau plaidoyer pour le personnel hospitalier, les petites mains qui réparent les corps et les âmes.

Erwan LARHER met un point d'honneur à contextualiser l'événement, pourquoi est-il allé à ce concert notamment, avec un retour sur son enfance et son adolescence, pourquoi y est-il allé seul. Véritablement, l'auteur donne à voir les mécanismes de défense qui lui permettent d'avancer de la meilleure manière qui soit : humour et rationalisation.

Loin des récits chocs et autres témoignages macabres, voyeuristes primaires, passez votre chemin. Ici on est dans le vrai, dans l'humain et la note qui reste en bouche après avoir refermé le roman c'est l'espoir. L'espoir et la joie. Le thème de base n'est pas tant cette soirée au Bataclan que l'humain, dans son essence, face aux violentes aspérités que la vie nous balance injustement en pleine face, sans qu'on s'y attende, sans qu'on ait pu le pressentir.

Je vous engage donc vivement à lire « Le livre que je ne voulais pas écrire », sorti aux éditions Quidam en 2017. Quant à moi je vais aller fouiner dans la bibliographie d'Erwan LARHER dont le style m'a beaucoup touchée.

Et je vous engage aussi à regarder le très poignant documentaire réalisé par Netflix , « 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur ».


(Émilia Sancti)

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