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mercredi 4 juillet 2018

Thomas CADENE & Christophe GAULTIER « La tragédie brune »


En 1934, le journaliste français Xavier de HAUTECLOCQUE publiait « La tragédie brune », un ouvrage ô combien prémonitoire résultant de ses nombreux voyages en Allemagne, à Berlin surtout. Au fil des années, il avait pu observer le changement radical dans les mentalités, conséquence de la crise économique et de l’accession d’HITLER au pouvoir. Il dénonçait la montée en flèche du racisme, de l’antisémitisme, les délations, les nouvelles lois visant les juifs, l’anticommunisme haineux, le début des camps de travail, disciplinaires, de concentration fleurissant dans le pays, les rafles de plus en plus gigantesques, toujours irrationnelles. Il cherchait à comprendre comment l’Allemagne en était arrivée au point de non retour, notamment par les discours d’HITLER, d’une violence inouïe. Après la sortie de ce bouquin, il retourna voir l’étendue des dégâts en Teutonie nazie, c’est là qu’il sera empoisonné par ces mêmes nazis, le 3 avril 1935.

Cette BD n’est pas une fiction, c’est une version en vignettes de ce livre. Elle relate point par point la régression au sein de l’Allemagne, la catastrophe irréfutable à venir. L’auteur de ce bouquin ne se nourrit pas de rumeurs, il va au cœur de l’action, allant jusqu’à s’infiltrer dans les murs de la Gestapo. Il va se glisser tout près des chemises brunes, des noires, va entrer en contact avec des informateurs allemands qui vont lui faire part de la réalité, le faire visiter Dachau et d’autres camps (de l’extérieur uniquement, trop dangereux de pénétrer intra muros) dans une Allemagne sombrant dans la folie, le chaos et la haine, les bitures gigantesques de soldats prêts à tout pour la gloire de leur patrie. Mieux : les anciens adversaires du nazisme reconvertis comme par enchantement à la grandeur de la nation. Un véritable lavage de cerveau orchestré par le IIIe Reich. En effet, aux élections de 1933, les électeurs sont prévenus : s’ils ne votent pas pour le parti nazi durant les législatives ou s’ils s’abstiennent, il leur en cuira, notamment par une interdiction de territoire allemand. Le peuple sait aussi être soumis à l’autorité, et c’est exactement ce qui a lieu quelques années avant le déclenchement de la guerre.

Aujourd’hui tout paraît limpide, cette montée inexorable du nazisme, les pays adversaires impuissants ou tout simplement ignorants de la gigantesque purge en cours en Allemagne. Pourtant, certains savaient, avaient averti. Xavier de HAUTECLOCQUE fut ce que l’on nommerait aujourd’hui un « lanceur d’alerte », il le paiera de sa vie, et la guerre qu’il redoutait tant aura pourtant bien lieu avec les conséquences que l’on connaît. Cette « Tragédie brune » entre dans les documentaires de devoir de mémoire, pour bien rappeler que tous les journalistes ne sont pas des ventres mous, certains font leur métier dignement, dangereusement, y jouant leur vie à chaque minute. HAUTECLOCQUE fait partie de ces téméraires, qui ont certes parlé ou écrit dans le vent, mais qui de nos jours apparaissent comme de véritables paratonnerres. C’est parce que les autorités n’ont pas voulu savoir que la suite a pu prendre forme.

Certes ce n’est pas tout à fait aussi schématique, pourtant on ne peut s’empêcher de refaire l’Histoire dans notre tête et nous sentir révoltés en lisant parfois qu’avant la guerre personne ne savait. Non, la politique de l’autruche était le sport à la mode, à grands renforts d’inutiles négociations. Cette BD est un magnifique exemple de résistance passée et, à l’heure où des locaux fascistes ou néo-nazis s’ouvrent un peu partout en toute légalité, cet album sorti en 2018 aux Editions Les Arènes BD est un bon moyen pour réfléchir sur l’avenir que l’on désire.

Après une telle lecture et le goût amer, âpre en bouche, j’allais oublier de donner quelques précisions sur les dessins, sobres, sombres, très « old school », parfois plus colorés sans être bariolés, ils montrent le primordial, celui qui marque, ne s’attardant pas dans des détails qui pourraient sonner comme une digression. Et comme décidément ce bouquin est complet, en fin de volume vous pouvez retrouver les 12 premiers chapitres de « La tragédie brune » de Xavier de HAUTECLOCQUE, comme pour vous pousser à continuer les investigations, comme pour vous amener à lire l’intégralité de l’original de la matière première de cette BD. Vous en ressortirez certes horrifiés, mais en vous disant que le futur n’est pas tracé à l’avance et qu’il n’est jamais trop tard pour écouter les lanceurs d’alerte. Il existent, parfois ils se sacrifient pour l’humanité, à nous de les dénicher.


(Warren BISMUTH)

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