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samedi 21 juillet 2018

Jacques JOSSE « Ombres classées sans suite »


Une petite cinquantaine de pages agrémentées des dessins tourmentés et tempétueux en noir et blanc de Georges LE BAYON. Ce qui étonne au début de ce petit bouquin de Jacques JOSSE, c'est le langage un peu plus populaire qu'à l'accoutumée : « La valise dort sous le lit. Des fois, surtout les soirs givrés d'hiver, quand il en a marre de tourner dans sa turne, il sort, la pose sur la table, ouvre large sa belle gueule en fibrine toute gaufrée crocodile, y balance, en vrac, des livres, des poèmes, des brouillons… Un cliché, deux, trois flasques d'alcool fort et un flingue de petit calibre... ».

Pour le fond c'est définitivement du Jacques JOSSE et son atmosphère simple, décharnée et pourtant envoûtante (ah, cette écriture qui vous prend aux tripes pour ne plus vous lâcher, puissance dévastatrice). De petites tranches de vies, de la poésie en prose entre micro-nouvelles, anecdotes ou faits divers. On ne sait trop, c'est la force de cet auteur.

Il y a l'agonie d'un grand-père bientôt libéré du poids de la vie, la solitude d'êtres bourrus : « Rien, ici, n'attise les anciennes tragédies. Personne ne demande de larmes à personne ». Il est question de marins, de curés, de cimetières (fascination), KEROUAC (fascination bis), de la mort d'Otis REDDING, de poètes errants, col relevé, de ports (celui de Saint Brieuc notamment), la houle, les cirés, de bars maritimes peuplés de marlous restés à quai, de suicide bien sûr : « Ben alors, il s'est carrément foutu en l'air ce con. Il a foncé avec sa bagnole droit dans le bassin mais pas ici tu comprends, non, Monsieur fait des manières, il va se flinguer là-bas, à Pétaouchnok, histoire de s'éclater contre le ventre bombé d'un pinardier en provenance d'Alger », c'est l'occasion de constater que les « gueules » rencontrées ici se font moins taiseuses que d’habitude, se livrent plus volontiers, avec une gouaille à la AUDIARD, sans toutefois se lancer dans de hardis monologues. 

Dans ce récit atypique, on y rencontre peut-être plus de faune, de flore, de nature vivante et grouillante que dans les autres œuvres de JOSSE. Ce qui ne change pas : on fête les morts qui sont placés en haut de la pyramide après des accidents bêtes, quelconques, ou par leur désir de quitter la piste après la dernière valse. Comme toujours, ces petits faits divers que l'on lit dans les journaux dans la rubrique des chiens écrasés, en bas de page, pour les plus téméraires des lecteurs assommés par l’alcool. On prend l'air et on croise un christ bringuebalant en ferraille rouillée trônant sur une pierre moussue, les bourgs en friche eux aussi, les trottoirs humides et glissants de la ville, les ornières de chemins boueux des villages, on trinque aux disparus, morts ou volatilisés. Car oui certains, bien que pas enterrés, ne sont jamais revenus.

Côté papier, épais, grumeleux, solide comme pour affronter une tempête. C'est sorti en 2001 chez Cadex Éditions. C'est précieux. C'est JOSSE.

http://www.cadex-editions.net/-Presentation-

(Warren Bismuth)

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