Ce pourrait être un récit de voyage, mais
en fait pas du tout, d’ailleurs l’auteur se méfie des récits de voyages, c’est
en tout cas ce qu’il écrit. De mars à août 2015 il a entrepris avec sa compagne
un périple en Europe de l’est. Il en livre des chroniques brûlantes, écrites
presque en direct. Une virée en ex-Yougoslavie où il n’est pas question de
faire du tourisme ordinaire.
C’est bien de géopolitique dont nous
entretient Emmanuel RUBEN, l’Histoire d’un pays morcelé en petites nations
devenues touristiques et passages obligés par des ponts de plusieurs siècles
qui ont souffert de toutes les guerres mais qui sont toujours fiers et debout,
ponts censés être une passerelle entre les peuples alors que l’Europe érige des
murs, un cloisonnement.
L’auteur évoque Emir KUSTURICA, lui
taille un costume en règle, l’accusant d’avoir trahi sa terre natale. Pourtant
et paradoxalement, il nous donne envie de – re – voir « Underground »,
un des plus célèbres films du cinéaste.
Étape à Sarajevo, et un pont, encore. Celui
sur lequel s’est fait dessouder en juin 1914 l’archiduc d’Autriche
François-Ferdinand, déclenchant à très court terme la première guerre mondiale.
D’ailleurs, la guerre, il en est partout question, les paysages et les édifices
gardent les stigmates des différents conflits, du mondial au local en passant
par le national, du militaire au civil.
RUBEN ne pratique pas la lange de bois, il
ose les polémiques caustiques tout au long de ces chroniques : « C’est dans ces lieux que s’illustrèrent, il
n’y a pas si longtemps, des criminels de guerre comme le général franco-croate
Ante GOTOVINA, ancien soldat de la légion étrangère, protégé de Jacques CHIRAC,
qui fut d’abord condamné à vingt-quatre ans de prison par le TPI de La Haye
avant d’être acquitté un an plus tard, la chambre d’appel estimant que
« la température de l’air » et « la vitesse du vent » des
déviations des tirs d’artillerie sur des cibles civiles, balayant d’un coup le
chef d’inculpation principal, celui de crime contre l’humanité et ruinant
définitivement la crédibilité du TPI ».
Ces chroniques sont une sorte
d’historiographie expresse des Balkans, avec ses peines, ses tragédies et ses
blagues douces amères : « Savez-vous
quelle est la différence entre un Nokia et la Serbie ? Chaque année il y a
un plus petit modèle, mais si chez Nokia le nouveau modèle est meilleur que
l’ancien, en Serbie, plus le modèle est petit plus il est pourri ! ».
RUBEN dénonce les politiques de Vladimir
POUTINE et de Viktor ORBAN sur la scène internationale avant de traverser
l’Albanie et ses 700 000 bunkers, accessoirement le deuxième pays le plus
pauvre d’Europe, après une halte au Monténégro et après s’être offert un moment
de nostalgie et de mélancolie sur les traces de Tintin. Il va croiser des
migrants cherchant la terre promise mais pourtant indésirables, va faire un
crochet par la Grèce, loin de l’image d’Épinal donnée par les dépliants
touristiques. Un voyage plein d’enseignements, une manière de revisiter
l’Histoire de l’Europe de l’est.
Ces chroniques ne sont pas sans rappeler
une partie de la ligne éditoriale de l’excellent éditeur L’Espace D’un Instant,
catalogue proposant de formidables pièces de théâtre contemporain militant,
très axé sur l’Europe de l’est.
J’oubliais : le format de ce livre
est assez minuscule, plus petit q’un livre de poche. Les 90 pages, dans un
papier de haute qualité, sont lues lentement, comme pour bien assimiler toutes
les références données. C’est paru en cette année 2018 aux incontournables
Éditions de La Contre Allée, dans leur petite collection Fictions d’Europe.
Avec un nom pareil, ce « Cœur de l’Europe » ne pouvait qu’y trouver
un nid douillet
(Warren
Bismuth)
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