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jeudi 5 juillet 2018

Jean-Denis PENDANX & Stéphane PIATZSZEK « Les oubliés de Prémontré »


Depuis l’an 1121 l’asile de Prémontré abrite des aliénés quelque part en Picardie près de Soissons. Dès le déclenchement de la première guerre mondiale an août 1914, l’armée allemande est en vue et les dirigeants de l’asile demandent à ce que les malades soient évacués. En vain. S’ensuit de nombreux rebondissements propres à la guerre : asile réquisitionné, famine, pénurie de charbon et de bois, le seul aliéniste du lieu déserte avec l’ambulance. Plus de moyen de transport pour les malades (le véhicule servait aussi au ravitaillement), plus de professionnel pour les aider. Pour ne rien arranger, la ville la plus proche, Soissons, est attaquée, l’ennemi se rapproche.

Prémontré : petite ville de 1500 âmes dont 1300 malades, est laissée à l’abandon par les autorités françaises. Cependant un aliéniste vient proposer ses services à un asile à bout de souffle où les patients meurent en nombre, oui mais voilà, c’est un commandant allemand. La mort continue son travail de métronome, et l’hiver venu, pas question de fabriquer des cercueils, le bois est trop précieux pour chauffer les survivants. Alors les défunts seront basculés, comme ça, roulés dans des couvertures, et hop ! Directement dans la terre.

Certains professionnels de l’établissement peuvent néanmoins se réchauffer le cœur car, si l’absinthe a bien été interdite en France en 1914, des stocks ont été enterrés avant la prohibition. Pour la nourriture, les américains ont bien proposé leur aide, mais leurs produits sont hors de prix, à la guerre comme à la guerre ! Alors entre les murs de l’asile on survit comme on peut, de plus en plus difficilement, d’autant que la fièvre jaune vient de s’installer et que les allemands ne vont pas tarder à rappliquer. Alors on tente le tout pour le tout : faire réquisitionner des patients pour servir de main d’œuvre car s’ils restent sur place, ils seront exécutés (on n’aime pas les improductifs, de surcroît en temps de guerre).

Il faut absolument aller jusqu’à l’ultime page de cette BD historique pour découvrir le sort de cette maison damnée, sorte de porte-poisse permanent ! L’histoire est certes tragique, mais elle nous informe du mépris affiché par les autorités françaises pour les habitants d’un lieu inutiles à la guerre, les « fous » ne pouvant pas combattre pour la glorieuse armée française. Un établissement laissé complètement en friche par un pays ayant de facto établi d’autres priorités : la guerre envers et contre tout.

Au centre de ce documentaire historique, les auteurs ont fait vivre des êtres fictionnels au sein de l’asile, leur destin est celui de beaucoup d’autres gens ayant existé, il est bien sûr tragique et très bien mis en scène par des dessins à dominante ocre, aérés et très plaisants à suivre. Ils s’imbriquent parfaitement dans l’espace temps. Une BD à découvrir, peut-être pour tomber des nues devant un pareil gâchis, mais aussi et surtout pour revivre un épisode particulier et méconnu de la première guerre mondiale. Paru en 2018 chez Futuropolis.


(Warren Bismuth)

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