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jeudi 26 juillet 2018

John WILLIAMS « Butcher’s Crossing »


Années 1870 dans le Kansas, un type de 23 ans, Will Andrews, encore vierge, échoue dans un de ces trous du cul de l’ouest des U.S.A., Butcher’s Crossing. Rapidement il se lie avec des habitants du bled, dont Francine, prostituée et femme affirmée. Il va longuement discuter avec Miller, chasseur expérimenté, qui va vite devenir son interlocuteur privilégié. Près de 10 ans auparavant, Miller a vu, pas aperçu hein, sur une terre un peu éloignée, le saint Graal : des milliers de bisons dans des montagnes, une harde puissante et énorme. Il cherche depuis à trouver des têtes brûlées afin de faire le voyage qui permettra de dézinguer les troupeaux et vendre les peaux un bon prix à un certain McDonald de Butcher’s Crossing pour assurer ses arrières et vivre – qui sait ? – comme un pacha. Il en parle à Andrews qui paraît très motivé pour le périple.

Il faut deux hommes supplémentaires pour une telle expédition, ils seront trouvés à Butcher’s Crossing : Charley Hoge, manchot d’une foi démesurée, ne s’éloignant jamais de sa bible. Schneider, de racine allemande, viendra clore le quatuor. Les préparatifs sont longs et organisés. Pour partir à cette chasse très spéciale, Andrews va devoir se séparer de Francine, ce sera chose faite après qu’il refuse de coucher avec elle.

Début des hostilités sur des étendues sans fin, des plaines immenses, des montagnes arrogantes, des bœufs pour porter le nécessaire de survie, et les chevaux pour porter les fiers destriers. Des bisons, nos quatre comparses vont en voir à foison, décimer les troupeaux, sans jugement ni retenue, un carnage en règle, toujours sous le commandement autoritaire et téméraire de Miller, tout ça pour récupérer des peaux, et accessoirement le nécessaire de nourriture puisque la viande ne manque pas. Des milliers de bisons vont ainsi être exécutés sur l’autel de dame la Thune, une boucherie sans nom.

Seulement voilà : le génocide bisontin a duré plus longtemps que prévu, et l’hiver s’installe bien trop tôt. Les quatre protagonistes sont rapidement pris au piège avec leurs peaux et leurs carrioles, ils vont devoir attendre la fonte des neiges durant de nombreux mois. Ce roman est celui de la toute puissance de l’homme blanc : exécutions en masse de bisons pour le profit, spirale infernale aboutissant à une sorte de fanatisme de la tuerie.

Mais la nature a décidé de punir pareille horreur, les chasseurs sont bloqués, des animosités se créent, l’ambiance devient tendue voire délétère, il est désormais bien question de survie. Patienter est le maître mot. Pourtant, avant l’arrivée de la neige, l’équipée sanglante n’a jamais vraiment patienté ni réfléchi à ce qu’elle était en train d’entreprendre. Ce récit est aussi celui de la quête de la vérité. Comme vous pouvez vous en douter, le quatuor ne reviendra pas indemne avec tous ses membres d’origine, et ceux qui reviendront s’en retrouveront traumatisés. Ce brigand de McDonald, peu vu dans le roman, en est pourtant en partie la clé : « Vous naissez, vous tétez votre lait sur fond de mensonges, vous vous sevrez sur fond de mensonges et vous apprenez des mensonges encore plus élaborés à l’école. Vous passez toute votre vie avec des mensonges et quand vous êtes sur le point de mourir, vous avez une révélation – il n’y a rien, rien que vous et ce que vous auriez pu accomplir. Sauf que vous n’avez rien accompli, parce qu’on vous a assuré qu’il y avait autre chose, après. Alors vous vous dites que vous auriez pu devenir le maître du monde, parce que vous seul connaissez ce secret. Mais trop tard. Vous êtes trop vieux ».

La conclusion de ce roman a quelque chose d’apocalyptique. Elle représente la déchéance des certitudes de l’être humain, un besoin d’annihiler toute cupidité.

Ah, et bien sûr, il y a les grands espaces, mis en scène de manière remarquable, la nature omnisciente, vengeresse. Une ambiance à la MCMURTRY mais sans l’humour ni les répliques, un roman glacial dont une partie de l’épilogue n’est pas loin de rappeler « Le trésor de la Sierre Madre » de B-TRAVEN.

Des romans sur le grand ouest, il y en a eu des chiées, les résultats sont comme toujours inégaux. Mais vous pouvez y aller au galop pour celui-ci : l’écriture sobre ne verse jamais dans une sorte de voyeurisme malsain, ne s’embarrasse pas de larmes, le style décharné (le scénario est totalement épuré) rend une puissance maîtrisée de bout en bout, une sorte de western minimaliste et psychologique.

Et puis j’ai un faible pour ce genre d’auteurs : très peu productifs voire faignants, comme s’ils préféraient contempler que conter. Seulement quatre romans à l’actif de ce John WILLIAMS, deux traduits en France (le premier était « Stoner » dont je vous parlerai un jour sans faute). Il a pourtant vécu 72 printemps (décédé en 1994), loin des paillettes et des bruits médiatiques. Dans ce roman, beaucoup de sujets, nonchalamment, sont abordés, un coup de bluff franchement déconcertant. Grands espaces et grand livre. Sorti en 2016 chez Piranha Editions pour un grand moment de lecture. Bravo.


(Warren Bismuth)

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