Souvenez-vous l'excellent pavé
« Lonesome Dove » (1200 pages déjà chroniquées dans nos pages), le
western à avoir absolument lu, épopée gigantesque d'une bande de Texas Rangers
sur les pistes cahoteuses du Texas et du Nouveau Mexique. Un beau jour la
lumière s'est faite dans l’esprit de Larry McMURTRY : et s'il écrivait,
non pas la suite, mais les prémisses (« préquelle ») de cette
histoire un brin sauvage ? Top là ! Ainsi nous retrouvons nos joyeux
drilles en 1841 dans une position quelque peu équivalente à celle de
« Lonesome Dove », sauf que les protagonistes ont pas mal d'années de
moins et de l'énergie à revendre.
Dans cette « Marche du mort »,
nous assistons à la rencontre entre Augustus McCrae (Gus) et Woodrow Call (les héros de « Lonesome
Dove »), un moment particulièrement émouvant pour les fans de la saga. Gus
et Call sont les plus jeunes Rangers d'une fine troupe dans laquelle ils
viennent de s'engager, et les voilà lancés comme une balle dans des aventures
rocambolesques à travers les déserts du sud-ouest des États-Unis en ce milieu
de XIXe siècle, afin de décrocher une apothéose en forme de banques pillées à
Santa Fe. Mais survivre sur la route aux attaques des indiens, des mexicains,
des ours grizzlis ne sera pas facile, l'équipée de deux cents têtes finira
décimée après avoir affronté tout ce qui semble possible sur terre :
crues, soif, faim, famine même, froid intense, chaleur insupportable, divers
ennuis entre les blessés qu'il faut soigner, les faibles, les mourants qu'il faut
pourtant porter, les grands espaces vertigineux, les déserts sans fin.
D'ailleurs « La marche du mort » est le nom de l'une de ces zones
désertiques au froid polaire : 3000 kilomètres à traverser, peut-être
plus, les chevaux ont été volés, il va donc falloir faire tout ce chemin à
pied, supporter les meurtrissures, les humiliations.
Dans ce tome, Call et Gus, les presque
frères de « Lonesome Dove », font connaissance, prennent leurs
marques, entrent en compétition, pour les femmes mais aussi pour décrocher les
grades. Call est fait caporal, Gus ronge son frein de rage et de jalousie. Gus
est dans cet épisode bien plus cliché que dans « Lonesome Dove », du
moins au début, uniquement passionné par les femmes et le jeu, mais surtout les
femmes. Un homme obsédé qui ne cesse de parler de chair, de sexe (un peu lourd
à la longue), blessé par une flèche ennemie dès le début du récit. Les Rangers
vont être faits prisonniers, les caractères se durcissent avec les souffrances.
Ici tout le monde est farouche et rusé.
Les amis vont vivre le pire, des carnages
aux caprices de la nature, des joies aux désillusions, de l'amitié à la
désolation de voir un proche mourir juste à côté. Ce volet est farci
d'anecdotes sur le mode de vie de ce XIXe siècle, c'est instructif au possible.
Exemple : comment faire dans un désert lorsque l'on crève de soif et que
l'on est une bande à cheval ? Bonne question. Eh bien, il suffit de tuer
un des chevaux (le plus faible de préférence), d'en extraire la vessie du
cadavre et d'en boire le contenu, c'est aussi simple que cela. D'autres
passages plus tragiques viennent émailler ce « road book », comme le
trafic d'enfants, surtout noirs, une horreur absolue. L'arrivée dans un camp de
lépreux alourdit le bide du lecteur. Mais la plume de McMURTRY évite les
écueils. L'écriture est alerte, joyeuse (mais pas cucul), et les dialogues sont
savoureux, ce sont eux qui tiennent en grande partie le rythme de ce récit
haletant et drolatique au coeur de grands espaces à couper le souffle et de
canyons majestueux. McMURTRY sait causer de la nature dans toute sa puissance,
et c'est un atout majeur, mention spéciale pour cette image se nourrissant
d'environ un million de bisons en plein désert, l'imaginaire déborde, le
cerveau fait des bulles.
McMURTRY aussi un maître pour dépeindre
des personnages très touchants, incroyablement attachants, qui nous semblent
devenir rapidement nos potes, notre famille. C'est un bouquin à découvrir dans
le genre, western à l'italienne mais en version papier et américain, et l'on
remplace les héros solitaires par une bande de types moitié clowns moitié
bourrins, un peu ivrognes, sans foi ni loi, qui sont prêts à tout pour rester
en vie. Un ton en-dessous de « Lonesome Dove », cette « Marche
du mort » en est cependant très proche par la trame, l'humour, le froid,
la chaleur, les ennemis complètement fantasques, extravagants, siphonnés. Et puisque
McMURTRY semble aimer les situations tarabiscotées, sachez que ce volume a
été suivi d'un autre préquelle, « Lune comanche » (on apprend dans le
présent volet que la lune comanche est la pleine lune), que l'on ne tardera pas
à vous présenter ici même, restez fidèles au poste, derrière votre poste. Le
tout est évidemment sorti chez Gallmeister (collection « nature
Writing » puis « Totem » en poche) et c'est incontestablement
une pièce maîtresse en matière de longues sagas faites d’aventure.
https://www.gallmeister.fr/
(Warren Bismuth)
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