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vendredi 13 juillet 2018

Larry McMURTRY « La marche du mort – Lonesome Dove : les origines »


Souvenez-vous l'excellent pavé « Lonesome Dove » (1200 pages déjà chroniquées dans nos pages), le western à avoir absolument lu, épopée gigantesque d'une bande de Texas Rangers sur les pistes cahoteuses du Texas et du Nouveau Mexique. Un beau jour la lumière s'est faite dans l’esprit de Larry McMURTRY : et s'il écrivait, non pas la suite, mais les prémisses (« préquelle ») de cette histoire un brin sauvage ? Top là ! Ainsi nous retrouvons nos joyeux drilles en 1841 dans une position quelque peu équivalente à celle de « Lonesome Dove », sauf que les protagonistes ont pas mal d'années de moins et de l'énergie à revendre.

Dans cette « Marche du mort », nous assistons à la rencontre entre Augustus McCrae (Gus) et  Woodrow Call (les héros de « Lonesome Dove »), un moment particulièrement émouvant pour les fans de la saga. Gus et Call sont les plus jeunes Rangers d'une fine troupe dans laquelle ils viennent de s'engager, et les voilà lancés comme une balle dans des aventures rocambolesques à travers les déserts du sud-ouest des États-Unis en ce milieu de XIXe siècle, afin de décrocher une apothéose en forme de banques pillées à Santa Fe. Mais survivre sur la route aux attaques des indiens, des mexicains, des ours grizzlis ne sera pas facile, l'équipée de deux cents têtes finira décimée après avoir affronté tout ce qui semble possible sur terre : crues, soif, faim, famine même, froid intense, chaleur insupportable, divers ennuis entre les blessés qu'il faut soigner, les faibles, les mourants qu'il faut pourtant porter, les grands espaces vertigineux, les déserts sans fin. D'ailleurs « La marche du mort » est le nom de l'une de ces zones désertiques au froid polaire : 3000 kilomètres à traverser, peut-être plus, les chevaux ont été volés, il va donc falloir faire tout ce chemin à pied, supporter les meurtrissures, les humiliations.

Dans ce tome, Call et Gus, les presque frères de « Lonesome Dove », font connaissance, prennent leurs marques, entrent en compétition, pour les femmes mais aussi pour décrocher les grades. Call est fait caporal, Gus ronge son frein de rage et de jalousie. Gus est dans cet épisode bien plus cliché que dans « Lonesome Dove », du moins au début, uniquement passionné par les femmes et le jeu, mais surtout les femmes. Un homme obsédé qui ne cesse de parler de chair, de sexe (un peu lourd à la longue), blessé par une flèche ennemie dès le début du récit. Les Rangers vont être faits prisonniers, les caractères se durcissent avec les souffrances. Ici tout le monde est farouche et rusé.

Les amis vont vivre le pire, des carnages aux caprices de la nature, des joies aux désillusions, de l'amitié à la désolation de voir un proche mourir juste à côté. Ce volet est farci d'anecdotes sur le mode de vie de ce XIXe siècle, c'est instructif au possible. Exemple : comment faire dans un désert lorsque l'on crève de soif et que l'on est une bande à cheval ? Bonne question. Eh bien, il suffit de tuer un des chevaux (le plus faible de préférence), d'en extraire la vessie du cadavre et d'en boire le contenu, c'est aussi simple que cela. D'autres passages plus tragiques viennent émailler ce « road book », comme le trafic d'enfants, surtout noirs, une horreur absolue. L'arrivée dans un camp de lépreux alourdit le bide du lecteur. Mais la plume de McMURTRY évite les écueils. L'écriture est alerte, joyeuse (mais pas cucul), et les dialogues sont savoureux, ce sont eux qui tiennent en grande partie le rythme de ce récit haletant et drolatique au coeur de grands espaces à couper le souffle et de canyons majestueux. McMURTRY sait causer de la nature dans toute sa puissance, et c'est un atout majeur, mention spéciale pour cette image se nourrissant d'environ un million de bisons en plein désert, l'imaginaire déborde, le cerveau fait des bulles.

McMURTRY aussi un maître pour dépeindre des personnages très touchants, incroyablement attachants, qui nous semblent devenir rapidement nos potes, notre famille. C'est un bouquin à découvrir dans le genre, western à l'italienne mais en version papier et américain, et l'on remplace les héros solitaires par une bande de types moitié clowns moitié bourrins, un peu ivrognes, sans foi ni loi, qui sont prêts à tout pour rester en vie. Un ton en-dessous de « Lonesome Dove », cette « Marche du mort » en est cependant très proche par la trame, l'humour, le froid, la chaleur, les ennemis complètement fantasques, extravagants, siphonnés. Et puisque McMURTRY semble aimer les situations tarabiscotées, sachez que ce volume a été suivi d'un autre préquelle, « Lune comanche » (on apprend dans le présent volet que la lune comanche est la pleine lune), que l'on ne tardera pas à vous présenter ici même, restez fidèles au poste, derrière votre poste. Le tout est évidemment sorti chez Gallmeister (collection « nature Writing » puis « Totem » en poche) et c'est incontestablement une pièce maîtresse en matière de longues sagas faites d’aventure.

https://www.gallmeister.fr/

(Warren Bismuth)

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