Un roman qui dérange beaucoup. Qui dérange
car il pousse le lecteur jusque dans ses derniers retranchements, un lecteur
qui ne sait analyser ce qu’il vient de lire, y donner un nom, s’en faire une
idée précise, « cataloguer » ce récit de manière rationnelle. Mais je
m’explique.
Léonard Balmain est un écrivain écossais
qui répond à une petite annonce banale : un certain Torquil Tod cherche un
« nègre » pour écrire ses mémoires, une sorte d’autobiographie écrite
par une tierce personne. Rapidement, Balmain rencontre Tod, les deux hommes
font affaire et le projet est lancé. Sur les propres pistes et aveux de Tod,
Balmain va devoir mener à bien cette expérience, il va titrer l’ouvrage
« Une simple obsession ». Fin de la première partie.
La seconde est consacrée au contenu du livre
lui-même (la fausse autobiographie), le parcours de Tod, sa rencontre avec
Abigail, une femme d’une immense emprise sur lui, passionnée de magie blanche,
mystique et se définissant elle-même comme sorcière. Ils vont vivre dans une
communauté hippie au cœur des années 70, avec ses règles et ses excès. D’un
chapitre à l’autre, l’horreur va se contextualiser, les rites païens poussés à
l’extrême font que l’on assiste impuissants à une scène atroce : un infanticide
cannibale ! Attention, ce passage n’est pas une énième volonté de faire du
gore, du trash gratuit pour émouvoir le lecteur en mal de sensations, il a une
signification toute particulière appuyant un peu plus l’attrait de Tod pour
l’Apocalypse et le fait qu’il est convaincu que certaines prophéties annonçant
la fin du monde pour l‘année 1981 vont fatalement se réaliser.
La fausse autobiographie terminée, Balmain
donne son propre point de vue sur ce qu’il vient d’écrire, c’est-à-dire son
avis sur les confessions pour le moins déstabilisantes de Tod. Quant à la
dernière et courte partie précédant la postface, je ne peux absolument rien en
dire, tout le livre et ses secrets réside dans ces quelques pages, pages qui
font douter un peu plus encore le lecteur, si toutefois il était jusqu’à là sûr
de ce qu’il avait lu.
En refermant ce roman, une question nous
hante : qu’est-ce que nous venons de lire ? En effet, l’auteur
dynamite les clichés psychologiques ou psychanalytiques voire métaphysiques,
nous oblige à nous poser des questions profondes que l’on ne perçoit pas
souvent dans une lecture, il nous force à être actifs. Niveau ambiance, c’est à
la fois classique, gothique avec un je ne sais quoi de thriller psychologique
diablement efficace. C’est un peu Edgar Allan POE qui prend en stop Daphne du
MAURIER sous le regard amusé du plus tarabiscoté des HITCHCOCK qui aurait
ouvert une bible afin de la détourner. John HERDMAN est écossais, donc bien sûr il
n’est pas interdit de penser à « L’étrange cas du docteur Jekyll et de
mister Hyde » du grand STEVENSON (qui reste aujourd’hui, permettez-moi de
pleurer, plus connu pour son chemin dans les Cévennes que pour son œuvre
pourtant riche). Plus on avance dans la lecture, plus la question du
dédoublement se pose, je n’en dis pas plus, mais ce point m’a particulièrement
désorienté et m’a précisément ramené à STEVENSON.
Un roman qui ne peut laisser de marbre,
qui peut être lu, perçu de diverses manières, chaque lecteur devant se faire sa
propre approche, sa propre (ses propres ?) conclusion. J’avoue ne pas être
absolument certain des miennes, mais c’est paradoxalement ce qui rend ce récit
très fort, très puissant, la magie des mots, des phrases et leur interprétation.
Dans un roman, la logique veut que plus on avance dans la lecture, plus on
obtient de réponses à nos questionnements. Eh bien ici c’est précisément le
contraire : le début est simple, structuré, très cartésien, puis le doute
s’installe jusqu’à l’éclosion d’une profonde migraine.
Voilà un bouquin qui rend zinzin, qui
exige la camisole, je ne sais pas si je dois féliciter ou condamner l’excellent
Quidam éditeur pour cet exercice côtoyant la folie, originellement sorti en
1996 mais paru pour la première fois en version française en cette année 2018.
Cet éditeur est bien sûr à suivre, nous en reparlerons d’ailleurs très prochainement
par le biais d’une autre nouveauté, qui sera peut-être un peu plus reposante
que cette « confession » qui a mis nos nerfs à dure épreuve. Bravo et
merci en tout cas à l’auteur, à l’éditeur, mais organisez-vous une période de
sieste après fermeture de l’ouvrage, il vous faudra un repos bien mérité après
pareille aventure un brin fantastique. Listez bien vos questions, vous aurez
besoin de place, et éventuellement d'un filet pour amortir votre chute après une telle
expérience qui pourrait presque être qualifiée de paranormale.
(Warren
Bismuth)
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