Dans ce roman qui vient tout juste de
sortir, Erlingen est une ville allemande fictive de 12000 âmes où est censé
arriver un train ou plusieurs afin d’embarquer toute la population qui court un
danger imminent. Ce danger le lecteur ne le connaîtra pas précisément.
Cependant SANSAL va tellement le mettre sur la piste qu’il réalisera rapidement
qu’il s’agit de l’islamisme fanatique et radicalisé. C’est par des biographies également
fictives que SANSAL va faire ressurgir la réalité, d’Allemagne en Angleterre,
de la France aux U.S.A. Il va à ce propos se remémorer les massacres des
peuples indiens, anéantis par des colons venus d’Europe, colons nettoyant tout
sur leur passage afin d’imposer le nouveau monde, compétitif et cruel (allusion
au radicalisme actuel, bien sûr). Quant à ce train fantôme, que certains
attendent hâtivement, d’autres avec angoisse, il représente bien ceux qui se
rendaient à la queue leu leu vers des camps dont le terminus était souvent la
chambre à gaz quelque part en Allemagne (déjà) ou en Pologne.
Comme toujours chez SANSAL, ce livre n’est
pas qu’un roman, c’est aussi une longue page d’Histoire, une fable démente, un
essai philosophique, un pamphlet contre l’islamisme (pas contre l’Islam, SANSAL
tient à être clair là-dessus). Cette fois-ci, ce sont également des échanges
épistolaires entre une mère et sa fille, sauf que la fille ne lira les lettres
de son aïeule qu’une fois cette dernière décédée, et ne lui répondra qu’à ce
moment-là.
Chez SANSAL les personnages semblent
toujours secondaires, ils ne sont d’ailleurs pas toujours très bien brossés,
ils manquent de caractère, de charpente, ils racontent plus qu’ils ne vivent,
aussi je ne m’attarderai pas sur eux mais plutôt sur le fond, car si ce roman
est totalement dans la lignée de ces précédents par les thèmes, les constats et
les cris d’alerte, ici il est fortement imprégné par au moins trois écrivains.
Le premier, et l’aurez peut-être constaté
dès le titre du présent roman, est KAFKA et sa « Métamorphose »,
planant durant tout le récit et véritable question de fond : un être
humain peut-il se réveiller un jour métamorphosé, avec de nouveaux principes,
un cœur perdu et une haine palpable ? Ce roman est très kafkaïen, beaucoup
de questions sont soulevées, peu sont résolues. On ne connaît pas exactement
l’ennemi, on ne voit pas comment le combattre : « Le mystère actuel est l’envahisseur. Nous ne
savons rien des croyances qui l’animent mais sa façon de se couvrir de hardes,
d’être partout et nulle part, de se tapir dans l’ombre et de frapper dans le
dos, de savourer ses victoires par des cris aberrants et des transes
échevelées, semble dire que sa religion, si c’en est une, s’est construite sur
la tradition des peuples chasseurs-cueilleurs et s’exalte de nos jours sur des
ruminations propres aux groupes humains qui sont passés de la société archaïque
menacée d’extinction à la société de consommation compulsive sans passer par la
société de labeur et de production de biens ».
Le deuxième auteur influent est Henry
David THOREAU dont les thèses parsèment le roman, on sent bien que SANSAL est
pénétré d’une grande admiration pour lui, même s’il convient que THOREAU n’a
passé que deux ans protégé des hommes et de leur folie.
Le troisième, et c’est bien moins net, est
le Dino BUZZATI du « Désert des tartares », livre dans lequel SANSAL
voit la destinée imagée du monde en marche et futur. Il est cité en fin de
volume.
Mais chez SANSAL ce n’est pas la douche
froide en permanence, d’abord parce que la langue est d’une rare richesse,
ensuite parce qu’il sait provoquer des situations cocasses afin d’amener un
sourire réparateur voire rédempteur. Et puis il y a ces expressions désuètes
qui fleurent bon le parler de naguère. Donc, si ce roman ressemble fort aux précédents
de SANSAL, jusqu’à cet islamisme comparé au nazisme qu’il avait déjà fortement
évoqué dans « Le village de l’allemand » par exemple, ce « Train
d’Erlingen » est à lire, car il est peut-être plus complexe que tous les
précédents, notamment par la structure originale en poupée gigogne. Peut-être
aussi plus abouti que « 2084 », quoique dans la même lignée.
Vous n’y apprendrez rien de nouveau
concernant les convictions et les combats de SANSAL, mais vous passerez un très
bon moment aux côtés d’un écrivain érudit et très méticuleux, un auteur
hautement engagé qui se fait lanceur d’alerte par sa plume et son militantisme.
SANSAL est de ces écrivains indispensables qui savent prendre des risques pour
faire éclater la vérité. Laissons-lui la parole afin de clore cette
chronique : « Notre funeste
erreur face à l’ennemi aura été la colère. Ecrasés par nos peurs et nos
angoisses, nous avons cessé de réfléchir et nous sommes laissés gagner par le
morbide attrait de la soumission ou celui de la furie destructive. Rabaissés à
ce point, nous lui avons cédé le beau rôle du vainqueur magnanime qui, désolé
et prêt à aider, regarde le fou trépigner et appeler à la mort ».
(Warren
Bismuth)
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