Rentrée littéraire 2018, Carole FIVES
circule dans pas mal de groupes féministes de la toile, je tente ma chance avec
« Tenir jusqu'à l'aube ». Une couverture épurée, une femme qui nous
tourne le dos, tout est fait pour que l'on s'identifie. Agréablement chapitré
et aéré, entre récit quotidien et extraits de forum, ce roman se lit comme un
documentaire. La fable de « la chèvre de monsieur Seguin » vient
apporter son éclairage au récit.
« Elle », mère célibataire (madame
Leroy, à la fin du roman) vit au 6ème étage droite, avec l'enfant. Pas de père
dans ce décor, il a manifestement fichu le camp sans préavis, en laissant
planer la possibilité d'un retour, incarnée dans un gilet XXL ou dans un SMS
sibyllin. « Elle » se débat : impayés trop nombreux et visite
d'huissier, perte de sa féminité, paradoxes et incohérences d'un système dont
les injonctions contradictoires mènent au burn-out, maternel et professionnel.
Mise à l'écart du monde professionnel, mise à l'écart des autres, à commencer
par les voisins, qui se méfient comme de la peste de cette mère célibataire qui
vit en vase clos avec l'enfant, mise à l'écart de la tendresse, des étreintes,
femme fatiguée et éteinte par les galères. L'attente est au centre du roman, la
(re)construction aussi : il s'agit de mourir ou de s'en sortir. La
narratrice ose tout : les journées marathon à travailler chichement au
rythme des siestes du petit, les courses interminables pour atteindre la seule
crèche qui lui octroie une place et donc une chance de refaire son carnet
d'adresses. Sa seule respiration : s'enfuir. L'enfant fait ses nuits,
alors elle choisit de se laisser happer par la nuit, par les bords du Rhône. Là
elle est libre le temps que lui laisse son chronomètre, de plus en plus
longtemps, elle s'aventure de plus en plus loin, à la recherche de tout ce
qu'elle a dû mettre entre parenthèse.
Je craignais sa trivialité, j'en ai retiré
de l'émotion. Plaidoyer à la douceur et à l'indulgence, à la bienveillance, il
faut batailler contre les préjugés. Internet, la toile fabuleuse aux mille
informations est jugeante, moralisatrice, vieux jeu, elle relaie le climat
ambiant qui enferme les mères célibataires dans des carcans, difficiles à
briser. La narratrice y trouve, mêlées, des informations de qualités
discutables et des discours hargneux, méprisants, jugeants. Être mère
célibataire n'est pas un état dans lequel on se met mais plutôt un état dans
lequel on est propulsé, car la société nous renvoie inlassablement à cet état
d'être élevant seul son enfant. Les hommes sont absents de ces 177 pages, ou
presque : un père qui brille par son absence, tant physiquement que
financièrement, un grand-père présent par bribes mais sporadiquement, un
inconnu qui étreint. Des regards. Le voisin qui l'ignore. Le vide. Seul le
petit garçon nous offre des parenthèses d'espoir « il était drôle,
joyeux la journée pour compenser l'angoisse de la nuit » (p. 134).
Aussi intéressant que « La femme
brouillon » d'Amandine DHEE (chroniqué le 18 juin 2018) bien que dans un
autre registre, les ouvrages se complètent l'un l'autre, à mon sens.
Jusqu'où va aller la narratrice dans sa
fuite éperdue ? Je vous invite chaudement à le découvrir dans ce roman
résolument optimiste, féministe, fort et courageux.
Une pensée à toutes ces femmes guerrières.
(Emilia Sancti)
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