Dans ce très court texte, Arno BERTINA
imagine le monde de la Culture seulement quelques mois après qu’il l’ait écrit,
en 2014. Entre 2016 et 2019, les évènements se précipitent : le Cameroun
demande à la France la restitution des œuvres camerounaises exposées au musée
du Quai Branly à Paris, arguant que ces oeuvres appartiennent au patrimoine
africain et non européen. Devant le refus embarrassé (voir plus loin),
réclamation pour la gratuité de l’entrée de ces mêmes musées pour les
ressortissants camerounais qui ne devraient pas avoir à payer pour contempler
des œuvres façonnées par leurs propres aïeuls, appartenant à leur culture. Le
Cameroun va jusqu’à solliciter la gratuité des visas pour les camerounais se
rendant en France dans le but de voir les œuvres exposées.
Enclenchement soudain d’un effet boule de
neige, puisque de nombreux pays, surfant sur l’intérêt suscité par le sujet,
réclament les mêmes droits. Pour en revenir à la France, elle est gênée aux
entournures par les requêtes du Cameroun, puisque les œuvres affichées ont soit
été pillées, soit échangées, soit payées illégalement, le plus souvent durant
la période coloniale. Nouvelle doléance du Cameroun : il souhaite que les
œuvres européennes puissent être exposées dans les musées africains pour que
leurs habitants en profitent aussi. Les tractations s’annoncent ardues.
Un texte bien plus ingénieux qu’il n’y
paraît au premier coup d’œil. Derrière le ton détaché, comme neutre, serti d’un
humour féroce, distancié là aussi, c’est bien la Françafrique qui ressurgit, la
colonisation qui refait les gros titres, la généalogie qui est scrutée
(l’humain a su se mélanger et c’est tant mieux, comment peut-on aujourd’hui
bâtir des frontières culturelles alors que les œuvres voyagent et s’exposent
partout dans le globe ?). BERTINA tient un discours par l’absurde pour
retomber avec maestria sur ses pattes et nous mettre le nez dans notre
crotte : certaines œuvres majeures, véritables figures de proue de musées,
ne pourraient-elles pas être réclamées par les pays d’origine, qui eux ne
voient pas une seule pièce de l’argent collecté ? Ce texte aborde la
gratuité dans la culture (un sujet qui fâche et divise !), mais aussi, et
assez subtilement, le sort des migrants. Pourquoi, à l’instar de leurs œuvres,
ne pourraient-ils pas s’implanter un peu partout dans le monde sur des terres
accueillantes ? On ouvre nos portes aux arts mais bâtissons des frontières
imaginaires aux humains descendants de ceux qui les ont fabriqués.
Ce texte me semble aussi être à la fois
une réponse et un pied de nez au discours de Dakar de SARKOZY en 2007, quand le
alors tout nouveau Président de la République Française avait déploré que
l’Afrique ne fût pas entrée dans l’Histoire (sic !). Des œuvres d’art montrent le contraire sans
contestation possible. Un petit texte très vite lu mais que je vous engage à parcourir
d’urgence, chaque phrase pose question, lance un débat, se transforme en pavé
dans la mare. C’est un vrai petit bijou de 60 pages format minuscule paru en
2015 dans la collection Fictions d’Europe des géniales Éditions de La Contre
Allée. Encore !
(Warren
Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire