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lundi 10 septembre 2018

Pauline DELABROY-ALLARD « Ça raconte Sarah »


« Ça raconte Sarah », ça raconte ça, Sarah conte Sarah, Sarah compte Sarah, pourquoi toutes ces possibilités ? Roman de la rentrée 2018 venant tout juste de paraître aux Éditions de Minuit, c’est avant tout une histoire d’amour à mort, une passion destructrice. La narratrice, enseignante et mère d’une jeune fille issue d’un premier mariage, séparée mais avec un nouveau fiancé, rencontre cette Sarah, qui joue de la musique classique dans un quatuor partant souvent en tournées un peu partout dans le monde. Sarah, avec ce S sent le soufre (symbole chimique « S »), imprévisible, capricieuse, violente même, folle amoureuse de la narratrice et pourtant si envahissante par ce caractère emporté et volcanique (« L’amour avec une femme : une tempête »). Elles tombent amoureuses l’une de l’autre, première expérience lesbienne pour chacune d’elles.

Sarah est une impatiente qui désire tout et tout de suite. La narratrice est sous son emprise, elle est même atteinte de mimétisme lorsqu’elle fait tout comme Sarah, vit comme Sarah, mange comme Sarah, aime comme Sarah. Elle s’oublie en Sarah, elle en oublie sa propre fille, sa propre vie. Sarah est partout, tout le temps, alors qu’elle est pourtant souvent en tournée, c’est d’ailleurs là que son amour déborde : lorsqu’elles sont loin l’une de l’autre. Lors des retrouvailles, c’est souvent la fête, l’alcool. Seulement voilà, Sarah devient moins amoureuse, moins présente, plus mystérieuse, jusqu’au jour où elle déclare à la narratrice qu’elle est atteinte d’un cancer.

Un roman froid servi par une écriture tranchante, désenchantée. Deux parties distinctes : la première avec Sarah, la seconde sans elle, car, et vous l’aurez peut-être deviné, Sarah va mourir. C’est ensuite que la véritable plongée dans les méandres de la vie va commencer pour la narratrice. Pourquoi « Sarah conte Sarah » comme relevé en préambule de cette chronique ? Car la narratrice s’est fondue en Sarah, a tellement voulu lui ressembler qu’elle est parfois devenue Sarah elle-même. Pourquoi « Sarah compte Sarah » ? À un moment, seule, en Italie, la narratrice voit des Sarah partout, obsession, folie, toutes les femmes s’appellent Sarah, elles sont innombrables.

L’auteure surligne cette phase de « latence », lorsque tout est figé avant un recommencement. Cette latence entraîne ici une remise en question, en tout cas des doutes sans fin : « Elle est morte. Je ne regarderai plus sa bouche, ahurie, me dire qu’elle ne m’aime plus, qu’elle n’est plus amoureuse de moi. Je suis sauvée ». Mais deux pages seulement plus loin « Il faut que je m’en sorte. Elle est morte, putain. Elle ne m’aime plus. Elle ne veut plus m’aimer. (…) Ma petite fille. Mon enfant si douce, si drôle ». Ambivalence à chaque page.

Ce roman est une descente aux enfers, avec ces retours sur les lieux où elles ont été heureuses, l’Italie, pour bien se faire mal, un peu plus, un peu plus profondément. L’alcool, mais plus pour les mêmes raisons, les mêmes prétextes. Des rituels, de la bouffe aux gestes, comme un robot, la narratrice perd pied. D’ailleurs, les références musicales, cinématographiques, nombreuses dans la première partie du bouquin, sont presque inexistantes dans la seconde, même si des titres ou refrains de chansons viennent encore jouer un air, comme pour provoquer une joie qui ne vient pas. Désintéressement soudain.

Un premier roman court, une écriture soignée (parfois volcanique comme Sarah), et quelques questions en suspens après la dernière page tournée, attendons la suite.

www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

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